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Les Guerrièr(E)S

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres La délivrance. Roman de Assia Sadoun Chaib-Draa. Editions Bouzid-Rafar, Alger 2016, 170 pages, 400 dinars.

Une histoire d'amour ? Non ! Une histoire de guerre ? Non ! En fait, une histoire de (grand et bel) amour au temps de l'Algérie colonisée... un temps où il ya avait une certaine douceur de vivre ( ?!)... au sein de sa communauté malgré toute la dureté de la vie quotidienne et toutes les contrariétés nées de la présence étrangère.

L'amour de deux jeunes gens, Khaled de la campagne (d'une famille de nomades de la région de Tiaret), Nacera de la ville (d'une famille moyennement aisée de La Casbah d'Alger, avec ses us et traditions assez conservatrices surtout en ce qui concerne la gent féminine). Ils se rebellent contre l'ordre établi et s'enfuient ensemble. A l'époque, pris entre le l'enclume d'une société conservatrice et le marteau colonial, pas facile de faire son «trou» et de survivre. Ils y arrivent quand même grâce à une tante compréhensive... et sans enfant.

Hélas, la belle Nacera meurt lors de l'accouchement si attendu, laissant une orpheline.

Hélas, la guerre est là... C'est l'engagement dans le combat libérateur... et la mort de Khaled.

Heureusement, il y a toujours quelqu'un (e) qui sème l'espoir et qui élèvera l'enfant. La victoire de la vie sur la mort.

Un roman triste et poétique en même temps, qui nous permet de découvrir du pays et des personnages des années 50 : Alger, la Casbah, Relizane, Tiaret... L'existence est simple... mais avec les femmes prises dans le carcan des traditions.

L'auteure : Animatrice de radio (Chaîne III), auteure d'un premier ouvrage, en 2008 (Alpha Editions) «La singerie de Sidi Fredj» (qui racontait de manière romancée, l'emprisonnement de son père dans une «singerie» transformée en lieu de détention et de torture durant la guerre de libération nationale) déjà présenté dans cette chronique.

Extraits : «Dans la tête de chaque Algérien, il existe au fond une envie de se rebeller dès que l'occasion lui est donnée. Il reste aussi ce réflexe de solidarité et d'entraide qui prend une place capitale, durant la longue guerre de libération nationale» (p 134).

Avis : Se lit rapidement et facilement.

Citation: «La mort reste brutale, même quand on l'attend» (p 127)

Colonel Châabani. Rendez-vous avec la mort. Textes et documents sélectionnés et commentés par Kamal Chehrit. Alger-Livres Editions, 2016. 120 pages, 500 dinars.

Tahar Chabane est né le 4 septembre 1934 à Oummache (Biskra). Il fréquenta d'abord l'école de la zaouia de sa localité, son père étant le principal de l'établissement. A l'âge de 6 ans, il est envoyé à Biskra pour suivre le cycle élémentaire. Ensuite, c'est Constantine qui l'accueille afin d'emtamer des études au sein de l'Institut de Cheikh Ben Badis. Ses idoles : Ben Badis, Ferhat Abbas, Lamoudi, Ben Boulaid, Aissani, Ben M'hidi...

Fin 1955 : Entrée dans la lutte de libération, nationale. Mise à l'épreuve : première action, premier succès, le sabotage d'une unité de réalisation routière. Le moudjahid Mohamed Chaabani est né ! La suite est un parcours de combats réussis au sein de la wilaya I. Juillet 1959, il succède à la tête de la wilaya VI au charismatique Si El Haouès, tombé au champ d'honneur en mars de la même année. A l'âge de 24 ans !

1962 : Il choisira le «parti» de Ben Bella...mais il sera amnené assez vite à revoir son jugement, à prendre ses distances, ne supportant pas certains éléments de l'«Armée des frontières» dirigée alors par Houari Boumediène, devenu ministre de la Défense nationale.

La suite est connue ( ?!) : ayant échappé à la mort durant toute la guerre, il sera «dévoré» par la lutte des clans, les complots et l'appétit des uns et des autres pour le pouvoir. Insulté (des «éditos assassins !») et accusé de tous les maux, arrêté, supplicié, torturé, jugé (par une Cour martiale, un «monstre juridique») mais toujours debout bien que malade, il est condamné à mort...et exécuté juste après, le 3 septembre 1964, à 5 heures 14 minutes du matin.

Il n'avait que 30 ans ! L'auteur : Journaliste

Extraits : «Chaabani est la victime directe de la course au pouvoir, âpre, durant toute cette période de l'après-indépendance. Sacrifié dans le bras de fer Ben Bella-Boumediène. Victime du lobbie des officiers de la jeune armée algérienne, déserteurs de l'armée française dont le poids offusquait et inquiétait Chaabani» (p 14), «Il avait 29 ans, ironie du sort, la première exécution de l'Algérie indépendante visait son plus jeune Colonel !» (Commandant Amor Sakhri, officier de la wilaya I- sud, p 69).

Avis : Utile pour tenter de comprendre un des plus grands drame (et traumatisme) de l'Armée nationale ; elle aussi, encore si jeune mais déjà bien meurtrie.

Citation : «Avant même sa condamnation par le Tribunal, sa tombe était déjà creusée !» (Mahdi Chérif, ex-officier de l'Anp, p 40)

Lalla Zouleikha Oudaï, la mère des résistants. Ouvrage historique et documentaire de Kamel Bouchama (Préface de Amar Belkhodja et une note aux lecteurs de Farouk Zahi). Juba Editions, Alger 2016, 295 pages, 950 dinars

Elle s'appelait Yamina Echaib, épouse Oudaï, mais toutes et tous l'appelaient Lalla Zouleikha. Lalla ? Un substantif qui nous vient ?tradition citadine- du grand respect, voire de vénération vouée aux aînées. Lalla ? Parce qu'elle était une femme de caractère, «radjel ou nass». Lalla ? Parce qu'elle était une nationaliste très tôt engagée, suivant ainsi l'exemple de son père, aux côtés de son époux et des combattants pour la libération du pays du joug colonial. Lalla ? Parce que cela n'était guère facile dans une ville comme Cherchell (ville de l'époux), où se trouvait installée une Ecole militaire bien gardée et gardant toutes les Portes de la ville et ville dominée par des colons. Pourquoi ? Une Cherchelloise bien née, taillée dans le roc des Berbéro-Hadjoutis, cette tribu hadjoute, éternelle rebelle.

Née à Marengo (Hadjout aujourd'hui) en 1911, elle fut une des rares «indigènes» à décrocher son Certificat d'études (en 1924, à l'âge de treize ans), prenant en même temps conscience de son statut de colonisé...

Son fils aîné, Lahbib, ayant «fait l'Indochine», de retour au bercail, prend le maquis. Il tombera au champ d'honneur en janvier 1957 à Sidi El Kebir, dans la région de Chréa, deux mois après l'exécution de l'époux, El Hadj Larbi.

Organisatrice hors pair de la résistance, responsable du «nidham» à Cherchell, elle animera les réseaux des soutien (deux cellules, l'une composée de femmes, et l'autre d'hommes) au sein et en dehors de la ville, parfois au nez et à la barbe des services de sécurité.

A la suite d'une dénonciation, le 21 mars 1957, elle rejoint définitivement le maquis... et pourtant, la lutte continue. Hélas, elle est arrêtée le 15 octobre de la même année... torturée (Le nom de son bourreau est connu : le lieutenant-colonel Le Cointe, devenu par la suite général de corps d'armée), puis assassinée, exécutée le 25 octobre à 15 heures. Son corps ne sera retrouvé que plus tard, en mai 1982... Elle est enterrée aujourd'hui au cimetière des chouhada de Menaceur.

Pour la petite histoire, Assia Djebbar après avoir tourné son film, en 1977, «La nouba des femmes du Mont Chenoua» avait publié (en 2002) un roman à succès sur Lalla Zouleikka, «La femme sans sépulture». Son nom est entré dans la légende du monde... et un des enfants de Lalla Zouleikha, Mohamed, est devenu... général au sein de l'ANP. Il n'avait que 8 ans à la mort de ses parents.

L'auteur : Homme politique (Fln 100%... avant), ancien ministre (...un des plus jeunes du gouvernement de l'époque... à la Jeunesse et les Sports), ambassadeur, conférencier... et homme de culture, amoureux fou de sa région natale, Cherchell (et de l'Algérie), auteur d'un grand nombre d'ouvrages (des essais, un roman «La clé d'Izemis», des ouvrages documentaires et historiques...), maîtrisant parfaitement l'arabe et le français, collaborateur de presse impénitent... et des projets plein la tête.

Extrait: «Dans ces combats de tant d'années, il y avait des dominateurs et des opprimés, il y avait ceux qui avaient raison, en défendant leur droit, et ceux qui n'en avaient point, parce qu'ils exploitaient un pays qui n'était pas le leur» (p 148).

Avis : Un style qui n'a pas changé. Littérature, prose, commentaire, multiples digressions, rappels historiques remontant à loin, très loin, références vérifiées... et engagé... le style Bouchama ! On s'y perd un peu, mais à la fin, on aime... car on apprend.

Citations : «Même si on doit me brûler comme Jeanne d'Arc, je ne parlerais pas !» (Lalla Zouleikha Oudaï, p 20), «Malheureusement, les Algériennes sont souvent les grandes oubliées de l'histoire de leur pays» (Mildred Mortimer, professeur, Usa,p 280)

PS : Pour Wassiny Lâaredj (présent à la 9ème édition du Festival du Théâtre arabe, organisé à Oran et Mostaganem), «la culture n'est pas la 5ème roue du carosse... et il est temps de mettre le paquet dans ce secteur, afin d'éviter de retomber dans les erreurs du passé qui on coûté cher au pays». Avec l'idée, si j'ai bien compris, de prise en charge par l'Etat. Mais, les erreurs du passé ne sont-elles pas les conséquences d'une «prise en charge» de la Culture par l'Etat... avec tout ce que cela impliquait comme ingérences bureaucratiques et politiques (de l'administration centrale, du Fln et de ses organisations de masse). N'est-il pas temps, plutôt, de «libérer» les hommes de culture et leur esprit créatif et de promouvoir une liberté d'initiative... régulée (par des textes et des cahiers des charges) cela s'entend.