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Premières leçons de la primaire du PS

par Paris : Akram Belkaïd

Parlons de la « primaire citoyenne de la Belle Alliance populaire » - un nom plutôt ridicule et trompeur.

Autrement dit, puisqu'il est préférable d'appeler les choses par leur nom, parlons de la primaire du Parti socialiste français pour l'élection présidentielle du printemps prochain. Cette bataille électorale fait naître pour le présent chroniqueur des sentiments contradictoires. Il y a d'abord une volonté sourde de ne pas se sentir concerné et de ne pas participer à ce scrutin qui, d'une certaine façon américanise la vie politique hexagonale, et qui, surtout, induit les électeurs dans l'erreur puisqu'il donne l'illusion que la compétition est ouverte à tous. En réalité, et du fait de l'exigence de parrainages, le filtre habituel qui consiste à écrémer la liste des candidats est bel et bien réel.

Ensuite, il y a cette satisfaction au vu du score réalisé par Manuel Valls, ancien premier ministre et ancien ministre de l'intérieur de François Hollande. A en croire les journalistes politiques parisiens, rappelons que c'est ce même Valls qui aurait été à la manœuvre pour empêcher l'actuel président de se représenter. On ne le regrettera pas mais notons tout de même que cette déloyauté n'aura pas servi à en faire un candidat incontesté. En effet, Valls ne s'est classé que second du premier tour de la primaire derrière Benoît Hamon (31,19% des suffrages contre 36,21%, ces chiffres étant à manier avec précaution étant donné le micmac au sujet de la participation réelle au vote ? micmac qui s'inscrit dans la longue liste de tripatouillages électoraux du PS). Trahir pour en arriver là?

Les soutiens et la valetaille du représentant de la gauche dite « de gouvernement » (on y reviendra) pourront toujours se consoler en notant que rien n'est encore joué pour le second tour (même si Arnaud Montebourg peut donner la victoire à Hamon après avoir appelé ses 17,62% d'électeurs à voter pour ce dernier). Ils peuvent aussi ? mais c'est moins sûr et l'argument peut se retourner contre eux ? rappeler que leur poulain et maître n'avait obtenu que 5,63% des votes lors des primaires de la gauche pour l'élection présidentielle de 2012. Une belle progression? mais ces 31% de suffrages sonnent déjà comme une première gifle en attendant, il faut l'espérer, la seconde ce dimanche.

Certainement vexé d'avoir été relégué au second plan, Valls a sorti l'artillerie lourde contre son adversaire. C'est un peu le challenger qui joue le tout pour le tout quitte à employer des procédés nauséabonds. On ainsi a vu le député de l'Essonne (il a repris son mandat au début du mois de janvier) et ses amis accuser Hamon de coupables sympathies pour le « communautarisme » et pour « l'islamo-gauchisme ».

Comme l'ont relevé plusieurs internautes sur les réseaux sociaux, ces accusations venant de la gauche, ou supposée telle, s'adressent à toutes celles et tous ceux qui refusent de dire systématiquement du mal de l'islam et qui osent critiquer la vision radicale de la laïcité.

Il fut un temps où, pour disqualifier un concurrent de la même famille, les candidats de gauche le qualifiaient de « gauchiste » ou d'ultra-radical. Aujourd'hui, c'est l'épouvantail de l'islamisme qu'ils peuvent agiter en sachant que cela paye. Valls et ses amis ne font rien d'autre qu'utiliser les mêmes ficelles alarmistes et islamophobes employées par les partisans de Fillon contre Juppé. Qu'importe qu'il s'agisse d'exagérations et de raccourcis.

Qui peut vraiment croire un instant que Benoît Hamon soutient les Frères musulmans ? Personne, mais la mise en cause médiatique peut s'avérer utile dans un contexte où l'islam fait peur.

Il est d'ailleurs étonnant, mais cela peut vite arriver, que la question du voile dans l'espace public, voire à l'université, ne fasse pas l'objet de mises en cause et d'injonctions. Valls camperait encore mieux ce rôle qui lui va à merveille, celui de l'homme fort qui ne fait aucune concession aux islamistes et, ce faisant car c'est le but de la manœuvre, à toutes les communautés musulmanes de France. Un homme fort et intransigeant qui, par exemple, dit tout haut que Karim Benzema ? mis en examen pour une sordide affaire de chantage ? ne peut jouer en équipe de France (le joueur nie et n'a pas été condamné) mais ne dit pas à un mot à propos du handballeur vedette des Bleus Nikola Karabatic reconnu coupable d'escroquerie en 2015 dans l'affaire des paris dits suspects (condamnation suspendue car le joueur a fait appel). Mais, bon, soyons prudents car rappeler ce double traitement, c'est prendre le risque d'être accusé de communautarisme?

Il convient maintenant d'étonner le lecteur en se demandant s'il ne serait pas préférable de souhaiter la victoire de Valls à ces primaires. Le triomphe de sa ligne droitière règlerait définitivement le cas du Parti dit socialiste. « Gauche de gouvernement »? Valls use et abuse de cette formulation. Que veut-elle dire exactement ? Une gauche « réaliste » qui refuserait l'idée de modifier l'ordre des choses et qui, en somme, n'aurait pour objectif que celui de limiter les dégâts ? Une gauche qui s'accommoderait d'un système qui a démontré ses limites notamment en ce qui concerne la lutte contre le chômage, les inégalités et l'évasion fiscale ? En réalité, cette expression veut tout simplement dire « droite » ou, si l'on veut être indulgent, « centre-droit ».

En se rendant aux urnes dimanche prochain, les électeurs de gauche auront donc le choix entre envoyer Valls rejoindre Hollande, du moins pour quelques temps, et faire en sorte que le PS disparaisse à court terme en se choisissant un candidat qui n'a rien à voir avec les idées progressistes.