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Système national de santé : la prestation de soins entre proximité et sectorisation

par Farouk Zahi

Dans une contribution datée du 11/12/2010, nous écrivions en conclusion de l'article de presse intitulé : «La refondation pyramidale des soins de santé, acte premier de la réforme hospitalière» ce qui suit :

« Ce projet de configuration sanitaire, dont la prétention ne pourrait être que contributive, rappelle toutefois que la carte sanitaire élaborée à l'orée des années 80, n'avait pas encore « les moyens de sa politique » et la toute dernière n'a malheureusement pas été au-delà du « concassage » du secteur sanitaire pour aboutir à l'Etablissement Public Hospitalier appelé « hôpital » sous toutes les latitudes et l'Etablissement Public de Santé de Proximité appelé ailleurs « polyclinique » ou « dispensaire ». Quant au centre de santé, pierre angulaire de l'édifice, il a été lamentablement laminé. Après une expérience vieille de plus de 30 ans, le pays, qui entretemps a fait du chemin, peut se doter d'un système de soins à même de le hisser au rang des nations avancées. Ces nations qui font de leur organisation sanitaire un objet de fierté. Cuba, ce petit pays insulaire, en est l'exemple où l'on pourrait aisément s'inscrire ».

Entamée dès 2008, cette réorganisation s'est presque faite dans la précipitaion. Après sept ans de pratique plus ou moins concluante, on tente de recoller les morceaux épars d'une entité appelée, jadis, secteur sanitaire et créée en 1973. Patiemment élaborée, cette organisation sanitaire territoriale tenait compte et des bassins de population couverts et des substrats administratifs, sur lesquels elle reposait, constitués par la commune et la daïra. L'unique avantage tiré de ce réaménagement a été, sans nul doute, le délestage de l'Etabissement public hospitalier (EPH), terme consacré par l'opération, de ses nombreux satellites et dont l'éloignement, notamment au Sud et dans les Hauts-Plateaux, constituait un sérieux handicap managérial. Il en est de même des zones montagneuses et d'accès difficile que ce soit dans le Tessala, le massif de Collo ou l'Ouarsenis. Et c'est justement dans ce cas de figure qu'il faut repenser à une stratégie mobile d'intinérance sanitaire. Faut-il comprendre aussi que la proximité ne peut être envisageable que lorsque l'acte de soins, de dépistage et de prise en charge, tout ou en partie, est assuré à demeure ; faute de quoi, il serait illusoire de prétendre tarir ou du moins réduire les sources de la morbidité pourvoyeuse d'un état de santé précaire des groupements humains. En sus de la multiplication des centres de décision qui parfois se chevauchent dans un même espace géographique, la ressource humaine a connu un bond considérable en matière d'ouverture de postes administratifs. Ceux-ci induisant plus de postes spécifiques d'encadrement que d'exécution. La desintégration des parcs automobiles et des moyens généraux n'a pas été sans conséquences sur les coûts et l'entretien des nouvelles acquisitions. Il n'est cependant pas tenu compte dans cette énumération des acquisitions en bureautique et autres gadgets inutiles. Les espaces supposés techniques réadaptés à la nouvelle fonction bureaucratique auront été sans effet sur l'acte de soins proprement dit.

La structure sanitaire dite de proximité et quelque soit son statut devra impérativement s'inscrire dans un programme par objectifs à l'effet d'être en phase avec les déterminants d'efficience d'une politique nationale de santé. Le maitre mot du continuum en sera le dépistage à visée préventive ; faut-il aussi que tous ses éléments constitutifs soient réunis. Une polyclinique incapable de dépister une tuberculose pulmonaire, un paludisme, un cancer du col utérin, une maladie parasitaire ne peut, en aucun cas, se targuer d'être le vigile de veille sanitaire. Ne pas disposer d'un glucomètre et de bandelettes pour le dépistage du sucre dans le sang, révèlerait de l'hérésie. La lutte contre les vecteurs environnementaux est à inscrire au frontispice de la construction sanitaire. Ne pas disposer de vaccin contre la rage, de sérum contre le tétanos ou contre la piqure de scorpions et autres antidotes, est certainement le meilleur moyen de décrédibiliser l'institution. La perte de confiance menant vers la désillusion est probablement la pire des sanctions morales qu'on puisse infliger à une personne physique ou à une entité morale. Un aide-soignant initié aux programmes de dépistage et muni d'un glucomètre et d'un tensiomètre débusquera plus de diabétiques et d'hypertendus qu'une équipe multidiscilinaire sans objectifs.

Qu'en est-il à présent de cette sectorisation à chaque fois mise en avant pour ne pas satisfaire à la demande de soins induite auprès d'autres services en dehors du territoire de compétence ? Cette dérobade est éhontément pratiquée par des praticiens dont le rôle premier est de soulager les patients et non pas de s'ériger en censeurs. Le mauvais exemple est donné par certains services médicaux présumés citadelles scientifiques de la capitale et de sa périphérie. Pour rappel, cet enfant victime d'un traumatisme de l'avant et après une longue attente dans les bras de son père, dans un grand CHU réputé par son service de chirurgie infantile, est renvoyé sans ménagement vers son hôpital d'origine. Si les hôpitaux parisiens pratiquaient la même démarche, beaucoup des nôtres seraient éconduits. Récemment, une parturiente dont l'état était qualifié de sérieux (grossesse à haut risque) a été redirigée, par l'assistance de garde d'un hôpital de la périphérie ouest d'Alger, sur son village de résidence sous le fallacieux pretexte qu'elle relève d'une autre wilaya. Peut-elle adopter la même posture en excercice libéral ? Il y a tout lieu d'en douter ! Le plus révoltant dans ce comportement c'est que la residente présente à l'entretien a, elle même, dans une précédente consultation, demandé des examens complémentaires à la patiente et dont les résultats étaient en sa possession. Cette désinvolture ne peut être expliquée que par le peu de considération accordée, d'abord à son propre confrère ou consœur, ensuite à l'usager, dût-il être en situation de vulnérabilité aussi bien physique que mentale. Le serment prêté pour exercer cette noble mission est apparemment de pure forme. Oui, nous applaudissons à une sectorisation rationnelle et pernitente, mais pas aux faux-fuyants mystificateurs !

Dans toute organisation hiérarchisée, il y a des précautions préliminaires à prendre pour éviter les errements d'une machine susceptible de s'emballer à tout moment. Il faudrait que la chaine de soins soit bien lubrifiée pour prévenir tout grincement qui contrarie la dynamique mise en branle. La sectorisation sous-tend un processus ininterrompu de gestes actant l'objectif final escompté. Et ce n'est certainement pas avec une recommandation anonyme adressée à un praticien anonyme qu'on pourra faire prendre en charge une quelconque pathologie. L'on remarquera que la formule consacrée dans les échanges entre praticiens est : « Cher confrère, je me permets de vous « adresser », au lieu de vous confier, le patient susnommé qui présente?.pour PEC (prise en charge). Veuillez croire? Cette laconique lettre de liaison ne recevra presque jamais de réponse du destinataire encore moins un rapport médical sur l'état du malade à sa sortie d'une hospitalisation. Le feed back ou le retour d'écoute est non seulement un devoir éthique mais un acte de formation dû au vis-à-vis. Le mépris affiché à l'égard du médecin traitant qui la plupart du temps est omnipraticien est devenu un trait saillant de certains spécialistes.

Le paradoxe du système public de santé et dont le secteur privé lui vient en complément, dit-on, est en l'état actuel des choses, un système national à deux vitesses. Dans le secteur libéral on ne s'embarasse jamais de la provenance du quémandeur de soins, la rétribution financière est là pour gommer les différences les plus marquées. La sectorisation dans sa connotation la plus accomplie devra être accompagnée par des autoroutes de l'information instantanée qui restitue en temps réel les capacités installées de chacune des structures hospitalières. Encore que cette option idyllique n'est malheureusement pas pour demain vu les cloisonnements que subissent les services d'un même établissement. Le conjoint d'une parturiente hospitalisée dans une maternité universitaire, chargée de faire exécuter des analyses hématologiques en ville, a dû courir en ce jour férié de 1er novembre les laboratoires de 2 ou 3 communes de la périphérie d'Alger, sans succès. Il ne put arriver au bout de ses peines qu'en apprenant à son retour que cet examen est pratiqué normalement au laboratoire central du même hôpital. Il ne suffisait au prescripteur que de s'informer auprès du service prestataire. Les quelques déviances comportementales rapportées dans le propos ne constituent cependant pas la règle générale. Il est des hommes et des femmes de grande probité morale qui s'acquittent admirablement de leurs tâches dans des conditions loin d'être idéales. Et c'est justement pour toutes ces raisons qu'il faut cibler et dénoncer ces scories qui accablent les corps professionnels de santé quel que soit leur régime d'exercice.

Le réseau intranet lancé il y a quelques années déjà devra être le moteur de cette activité communicative. Faut-il aussi que le gestionnaire y mette du sien en dotant les services les plus sollicités de moyens indoines. Les abus ont certes découragé les plus entreprenants, mais l'objet est trop sérieux pour demeurer confiné dans la suspicion et la méfiance.