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Le lire ou l'écrire ? Le dilemme du livre

par El Yazid Dib

Sila, un dimanche férié. Une organisation impeccable qu'un monde fou, hélas, réussit à anéantir l'effort ainsi mis. Le parking est un embarras, les salles un brouhaha.

Le pavillon central et ses ailles sont comme le boulevard Didouche ou Benmhidi. Une foule qui vaque à ses besoins littéraires, une autre plus grosse, enfant et bébés aux bras, vaque aussi aux siens. Voir, encombrer et passer.

Plus d'occupants que de lecteurs. Plus d'éditeurs que de libraires. Plus de visiteurs que d'acheteurs. Dans un salon on trouve le pays, son invité d'honneur et les autres. On y vend tout, de la recette de couscous à la façon d'expliquer ses rêves jusqu'à celle du comment tailler ses griffes selon le rite musulman. Il y a donc de la cuisine, de l'oreiller et de l'onglerie. Un appartement au lieu d'un salon. Mieux que rien.

Le salon international du livre d'Alger est une opportunité extraordinaire qui permet de faire savoir à quiconque invétéré, badaud ou autre, les nouveautés de la production littéraire nationale ou étrangère. C'est un support classique de marketing pour les maisons d'éditions pour une action supplémentaire de publicité qu'elles n'arrivent pas encore à maîtriser. Ces maisons, du moins celles de chez nous, se remarquent, tel qu'il a été constaté par le ministre de la Culture, par l'absence criarde de deux piliers structurels confortant toute publication, la commission de lecture et l'organe de propagande. Si ce n'étaient les rubriques culturelles de quelques rédactions, personne n'en saurait davantage sur tel ou tel auteur.

Chaque année, le SILA ne change que de logo et de couleurs. Les auteurs sont presque les mêmes, quand de nouveaux débarquent sur les tables des dédicaces. Il est une occasion annuelle où sont censés se rencontrer les industriels du livre avec les consommateurs du même produit. Ce n'est plus cependant une opportunité d'acheter à moindre coût un ouvrage donné, ni de pouvoir satisfaire sa curiosité avec quelques dinars. Le salon recommande tout un budget.

Dans le temps, dans ces moments d'engagement et ailleurs qu'à Alger la foire du livre, au plan local ou régional, constituait un évènement. En ces temps-là, la révolution culturelle ne manquait que d'une culture révolutionnaire. Sinon, le soutien accordé aux prix du livre importé, sur budget de l'Etat, ne rimait pas avec commercialité, rentabilité ou performance des entreprises. Ce soutien garantissait un nivellement culturel de masse. Il permettait aux petites bourses de rentrer en jouissance par l'acquisition d'œuvres universelles. Votre serviteur en a profité pour avoir à ce jour une riche panoplie de livres. La crise était chez les autres et ne pouvait pointer son nez dans notre giron. A la même époque, les coopérants dits techniques faisaient de cette circonstance un marché florissant et ne s'empêchaient pas de rafler les meilleures éditons surtout scientifiques. Les prix pratiqués défiaient la concurrence et l'imagination. Le dinar valait plus que le franc de l'époque.

Déjà il fut constaté alors que ces foires avaient engendré par l'importation massive d'ouvrages moyen-orientaux à forte connotation religieuse et qui auraient fait fatalement le soubassement intellectuel de l'extrémisme qui commençait à peine à éclore. En cette édition de 2015, ce genre de livre continue à garnir les étals et attire aussi de nombreux visiteurs. Face à la liberté d'expression existe celle de la consommation. Face à l'avis subsiste la conviction.

Le SILA devrait à l'aide de ses sponsors (peu nombreux et hors champ culturel) créer l'envie de lire. Il devra entre autres, de paire avec ses « clients » et patentés que sont les éditeurs, inciter à la consommation bibliographique. Il n'est cependant en aucun cas responsable de la léthargie dans laquelle se trouve la situation atrophiée du taux négligeable de lecture actuelle. Le prix est certes déterminant dans la relance de la lecture, mais il ne peut être l'unique facteur de la régression lectorale. Que faut-il attendre pour la politique du livre, que si dans un pays le prix d'un livre de poche dépasse celui de la poule de chair ? Une eau de source mise en bouteille vaut plus cher qu'un litre de gasoil, prospecté, trouvé, extrait, transporté, traité, raffiné, taxé et distribué à la pompe ? Le constat est amer. Il est des attributions pédagogiques de l'école de donner l'envie de lire et de bouquiner. C'est à ce niveau-là que l'on doit faire apprendre à nos enfants de disséquer un texte, d'analyser un récit, de parcourir un ouvrage et d'en faire une fiche synthétique de lecture. Enfin, ce repli face à la passion d'ingurgiter les pages, de compulser les chefs-d'œuvre, de découvrir les jeunes talents, les poètes en herbe, les nouvellistes attise à bien des égards d'innombrables craintes.

Il est vrai que les nouvelles technologies ont agi énormément sur la version papier. Il est facile pour un jeune de s'accrocher à sa boite portable et surfer pour pouvoir savoir ce qui se passe dans le monde et en temps parfois réel. Il lui est également loisible de télécharger des tomes, des encyclopédies et autres documents inaccessibles autrement, car très coûteux. L'on remarque par ailleurs que ce temps de navigation est plus dépensé dans les réseaux sociaux que dans la lecture en ses propres sens.

Il est vrai que la fonction de la lecture ne peut avoir uniquement une connotation marchande. Ce n'est pas un créneau exclusivement de profit. Pas plus qu'un plaisir. Un passe-temps. A la limite une distraction cérébrale. La réflexion sur la stimulation vers l'engouement de la lecture est de mise seulement après avoir tenu un plan d'incitation pour ce faire. Le ministère de l'Education nationale et celui de la Culture à qui incombe la construction d'une politique générale du livre ne devraient pas se contenter pour l'un de distribuer seulement le livre scolaire et d'aider ceux qui créent matériellement le livre pour l'autre. Le fonds affecté à la promotion du livre est une vision fortement complexe. L'équité n'y est pas de mise. L'on a tendance à voir toujours l'identique de sigles habitués et abonnés qui émargent aux fonds d'aide et de promotion. Les autres bleus, inconnus, sans ancrage dans la cible ministérielle ou ses alentours doivent faire le deuil dans le silence des tiroirs et des œuvres mortes par défaut de publication. Voilà que les restrictions budgétaires viennent pour forcer la marque d'une pause et regarder un peu ce qui s'y passe.

Le ministre chargé des écoles et des lycées peut en un encart publicitaire lancer une campagne de lecture. Un jeu, un concours, une attraction livresque quelconque feront le reste.

L'on a vu dans des communes éloignées, juchées dans les monts et les piedmonts des « salles de lectures » érigées sur fonds d'Etat, fermées, contenant des centaines de livres neufs et jamais ouverts. C'est là où décidément périssent les sommes importantes des achats globaux sur fonds publics. Les étagères des salles visitées englobent jusqu'à une douzaine d'exemplaires de chaque volume édité par l'argent de l'Etat. Une bibliothèque doit savoir créer des lecteurs. Encore que, si une cité, un douar manque cruellement de centre de santé, une salle de lecture n'ira pas en symbiose pour lui apporter le besoin primaire pour une survie ou un niveau vital. C'est çà aussi une partie de la politique du livre. Encourager l'édition suppose en aval l'encouragement de la lecture. Car l'importance d'un livre ne se confine pas dans son exposition mais bel et bien dans son effeuillement, sa consommation itérative.

L'industrie du livre doit refléter une politique générale, claire et juste à l'égard de touts les opérateurs. Le plus important dans cette chaîne logistique reste sans ambages le libraire. Il n'y a plus de librairies au sens noble. Il y a des kiosques à livres où se juxtaposent livres, jouets et coran.

Derrière chaque libraire se réfugie un éditeur. Derrière chaque grand éditeur se cache une imprimerie. Le réseau de distribution s'apparente drôlement à celui qui se pratique dans l'agroalimentaire ou les matériaux de construction.

Les retards de livraison, les dépôts-vente, le vice de paiement, le retour d'invendus font la même scène que s'il s'agissait de yaourt ou de jus aromatisés. Ainsi, tel qu'épilogué par un compagnon en butte à l'édition, « derrière chaque livre, il existe une grosse affaire d'argent » pour son fabricant. L'auteur n'en tire qu'une légère satisfaction avec ses 5%.

Enfin, est-ce là un bon signe de voir à chaque SILA de nouveaux auteurs qui ne se représentent plus à l'autre et qui par miracle disparaissent dès la première publication ? Écrire, est-il un acte occasionnel au cours duquel l'on expurge ses passions et ses envies ou bien se réserve-t-il à un corps de professionnels dont le métier est de noircir les pages blanches ? Je ne saurai répondre. Je dirai tout juste, qu'écrire reste un sentiment impérissable, une forme libre dans l'expression sans monopole ni exclusivité. J'affirme en outre, étant entièrement persuadé, que si un livre est là, il faudrait le lire. La valeur d'un bouquin n'est pas dans sa possession, elle commence à l'ouverture de sa première page pour se finir à la dernière. Le lire ou l'écrire, deux exaltations différentes. Une seule finalité. Savoir.