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L'opposition piégée par Boutefilka

par Abed Charef

Bouteflika a coupé l'herbe sous les pieds de l'opposition. En proposant une commission électorale indépendante, il ôte à la CNLTD un de ses principaux arguments.

L'opposition voulait une instance indépendante de surveillance des élections. Le Président Abdelaziz Bouteflika a exaucé ses vœux. Il l'a lui offerte sur un plateau d'argent. Non seulement il accepte la revendication, qui figure en tête des demandes de la coalition de l'opposition, regroupée au sein de la CNLTD, mais dans une attitude très algérienne, il fait de la surenchère. Il va plus loin, en proposant d'introduire cette institution dans la constitution. Pas moins. Pourquoi ne pas le faire, dans la mesure où une nouvelle constitution verra bientôt le jour ?

A elle seule, cette affaire révèle toute la duplicité de la vie politique algérienne. Elle montre la méthode de gestion du Président Bouteflika, faite de manœuvres, de raccourcis et de séduction, comme elle met à nu l'incroyable duplicité de l'opposition, incapable de saisir là, les vrais enjeux de ce moment que traverse les pays.

Pour le chef de l'Etat, il s'agira du troisième amendement de la constitution depuis qu'il a accédé au pouvoir. Amender la constitution constitue, pour lui, une simple formalité, qui servira de meubler la vie politique pour quelques semaines, ou quelques mois. Mais la nouvelle constitution n'apportera rien de fondamental. Les amendements antérieurs de la constitution n'ont pas fait évoluer les choses. Pire, ils ont, clairement, provoqué une régression du pays sur le plan institutionnel. Le prochain amendement dévalorisera encore davantage ce texte, qui n'a plus rien de fondamental. Les Algériens sont déjà largement convaincus qu'une constitution sert à habiller un pouvoir, non à organiser les pouvoirs. Ce sentiment d'inutilité de la constitution et, par extension, de la loi, ne fera que se renforcer.

« UN PAS GIGANTESQUE POUR LA DEMOCRATIE »

En tout état de cause, si le Président Bouteflika avait de quelconques convictions démocratiques, le pays s'en serait aperçu pendant ses mandats antérieurs. Ce n'est pas au bout du quatrième mandat, alors qu'il est, fortement, diminué sur le physique qu'il va faire des miracles pour la démocratie. Les éléments de langage utilisés par les « partis de l'allégeance » pour justifier et glorifier ses propositions relèvent de la propagande primaire. Ce n'est pas non plus M. Farouk Ksentini, pour qui la décision du chef de l'Etat constitue « un pas gigantesque pour la démocratie », qui va convaincre les Algériens que la nouvelle constitution va améliorer le fonctionnement des institutions. Quant aux propos de Amar Saadani sur « l'état civil », ils font partie des mesures d'accompagnement traditionnelles destinées à faire avaliser une décision du chef de l'Etat.

Celui-ci a une tactique bien rôdée. Elle a fait ses preuves en économie, après avoir été largement utilisée en politique. Pour acheter la paix sociale, le chef de l'Etat a fait les concessions nécessaires en termes de salaires et de subventions. Il a distribué ce qui ne lui appartient pas. Il procède de la manière en politique, en offrant à l'opposition des concessions qui ne lui coûtent rien, et ne menacent, en aucune manière, son pouvoir. En quoi une constitution ou une commission électorale changeraient-elles le fonctionnement du pays, dans un pays où les décisions les plus importantes se prennent, en dehors de la constitution ? M. Bouteflika peut pousser le chic jusqu'à parler de séparation de pouvoirs, lui qui ne n'est jamais adressé au parlement algérien.

L'OPPOSITION PRISE DE COURT

Dans cette opération, le Président Bouteflika réalise un joli coup. Il coupe l'herbe sous les pieds de l'opposition. Ce qui permet à M. Farouk Ksentini de dire que le chef de l'Etat a « répondu à une revendication essentielle de l'opposition ». Pour enfoncer le clou, M. Ksentini ajoute que « même si l'opposition n'a pas participé, d'une manière directe, à la rédaction de la future Constitution, ses idées et propositions ont été prises en compte ».

Dans une étrange cécité, l'opposition réclamait une élection présidentielle anticipée, refusant de voir où se situaient les vrais problèmes du pays. Elle refusait de voir, notamment, que les dispositifs électoraux qui ont porté M. Bouteflika au pouvoir et l'y ont maintenu, ensuite, sont toujours en place. Elle fermait les yeux sur une autre évidence : toutes les élections, depuis vingt ans, ont été validées par une « commission électorale indépendante », présidée par des hommes aussi valeureux que Mohamed Bedjaoui et Salah Bouchaïr. Ce faisant, l'opposition a oublié les bases d'un vote libre. On peut en rappeler les fondamentaux. Pour l'Algérie, trois d'entre eux deviennent, aujourd'hui, centraux. Il s'agit de la liberté d'action politique avant le vote, de la neutralité de l'administration, et de l'égalité des candidats devant les électeurs. Comment un chef de parti non autorisé à tenir une réunion publique peut-il, demain, rivaliser avec un président en exercice, avec une administration à son service, disposant de tous les moyens de l'Etat, soutenu par les puissances de l'argent auxquelles il accorde d'immenses facilités?

Nombre de dirigeants de l'opposition connaissent ces données, pour avoir, un jour ou l'autre, participé à une élection présidentielle avec les gagnants. Leur attitude, d'aujourd'hui, serait-elle dictée par le secret espoir de disposer, un jour, de ce dispositif de désignation-élection ?