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Algérie-France : le «trop» et le «pas assez»

par Bouchan Hadj-Chikh

Après la rencontre entre les présidents Bouteflika et Hollande une succession de ministres et de personnalités françaises ont visité le pays entre le 15 juin et le 29 octobre. Dans les relations algéro-françaises, c'est ou le « trop » ou le « pas ssez ».

Là, nous sommes un peu dans du jamais-vu. Côté français : «L'Algérie et la France sont unies par des liens exceptionnels et uniques. Pour nos peuples, il est essentiel de maintenir nos relations au niveau historique de confiance, de concertation et de dialogue qu'elles ont atteint», a écrit le président Hollande dans un message adressé au président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à l'occasion de l'anniversaire du 1er Novembre 1954.

Le président français a relevé que «l'impulsion politique que nous avons donnée à travers la Déclaration d'Alger en décembre 2012 s'est traduite par de nombreuses réalisations, nous devons continuer à travailler ensemble avec le même niveau d'ambition».

Côté algérien : « L'audience que m'a accordée le président français François Hollande traduit la très bonne qualité des relations entre les deux pays et la volonté des deux chefs d'Etat dans la mise en œuvre d'un partenariat d'exception », déclarait lundi 26 octobre à Paris le ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, M. Ramtane Lamamra.

«Liens exceptionnels». «Partenariat d'exception».

« Partenariat stratégique » est la toute récente formule. Bien. Gardons la tête froide. Ces superlatifs de supériorité raisonnent comme raisonnaient dans nos oreilles d'autres expressions tout aussi fortes qui ont jalonné les relations entre les deux pays ces dernières décennies. Avant que la mayonnaise ne tourne. Parce que, de part et d'autre, les partenaires ne mettaient pas les mêmes ingrédients dans ce qu'ils voulaient concocter ensemble. Donc, pour nous résumer, les « liens exceptionnels » ont engendré un « partenariat d'exception » suivis d'une coopération basée sur des « intérêts bien compris » pour aboutir, plus récemment, à un nouveau concept de « partenariat gagnant-gagnant ». Comme si cela pouvait ne pas être le cas ! Et ne fut pas le cas.

La laborieuse construction de relations entre les deux pays intervient au moment où la Chine vient, dans ses relations avec l'Algérie, supplanter la France dans de nombreux domaines en dépit des dispositions d'une partie à se faire comprendre de l'autre dans la même langue. Sans doute parce que les deux parties n'utilisent pas le même langage. La charge de chaque mot. Pour donner un sens aux termes employés. Alors que, de l'autre côté, Pékin s'engage et approfondit la coopération avec l'Algérie sans que leur partenaire ne soit expert en Mandarin. Ni eux en langue arabe, amazigh ou française.

En somme, depuis 1962, Algériens et Français ne cessent de se redécouvrir. En se cachant derrière des excès de langage quand il suffit de dire que ces relations sont «normales».

C'est nouveau : M. Bouchouareb soulignait « le cachet particulier » des relations entre les deux pays, indiquant, selon la presse, que la réunion du Comité mixte économique algéro-français -présidé par les deux ministres des Affaires étrangères- « renforce au quotidien nos relations économiques et industrielles, ce qui encourage les investisseurs françaises à venir en Algérie ». Il avance pour preuve que neuf accords ont été signés. Qui seront suivis d'autres.

Voilà. Nous y sommes. Et nous, nous n'avons rien à leur vendre !

Le froid. Ces envolées intervenaient après la fouille à corps de trois ministres algériens dans un aéroport parisien. Le froid. Suivi du tapis rouge déroulé pour accueillir la délégation ministérielle conduite par le ministre d'Etat des Affaires étrangères, M. Lamamra. Le chaud. A quelques jours des grimaces des responsables algériens quant aux maigres résultats obtenus au terme de plusieurs années de coopération entre l'Algérie et la Communauté européenne. Des relations que la chef de la diplomatie de l'Union européenne, Mme Federica Mogherini, qualifiait, en septembre dernier, d' « excellentes ». Le chaud. Evaluation que l'Algérie ne semblait pas partager. Pour preuve, on entend dire que l'Algérie « ne vise nullement à remettre en cause l'Accord d'association, mais bien au contraire à l'utiliser pleinement dans le sens d'une interprétation positive de ses dispositions permettant un rééquilibrage des liens de coopération ». Au final : « l'Algérie a beaucoup donné et peu reçu » de son partenaire européen qui s'arc-boute sur le volet « droit de l'homme ». Ligne rouge qui appelle au « respect de ses choix ». Le tiède. Précèdera-t-il le chaud ?

Engager, consolider, dit-on, un « partenariat stratégique » qui, depuis 2012 aurait enregistré « ces dernières années des avancées importantes ».

En fait, dès 2013 la France perdait son rang de premier fournisseur de l'Algérie au profit de la Chine avec des échanges s'élevant à 10,5 milliards d'euros en 2014 en dépit du « dynamisme » des 7 000 entreprises françaises exportatrices vers l'Algérie et les 450 autres qui y sont déjà installées. PME et géants comme Renault confondus. D'où l'offensive.

Second temps fort. Le deuxième personnage de l'Etat Français, M. Gérard Larcher, président du Sénat, était dans nos murs du 8 au 11 septembre à l'invitation du président du Conseil de la Nation, M. Abdelkader Bensalah. Au menu de cette rencontre : « Approfondissement des relations bilatérales ». Au terme de cette visite, un accord de coopération parlementaire selon lequel les deux assemblées se réuniront « sur une base régulière, dans le cadre d'un Forum de haut niveau ».

Pour consolider l' «alliance nouvelle». Bien.

En decrescendo des visites, entre le 2 et le 3 octobre 2015, Mme Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, séjourne à Alger à l'invitation de M. Abdelwahab Nouri, ministre des Ressources en eau et de l'Environnement. Visite s'inscrivant dans « la perspective de la prochaine réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau, qui doit avoir lieu à Alger en début d'année prochaine » et de la tenue de la Conférence mondiale de Paris sur le Climat (ou COP 21).

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre française de l'Education et de l'Enseignement supérieur, la suit peu après, entre le 24 et le 25 octobre, pour rencontrer le Premier ministre Abdelmalek Sellal et les ministres de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Tahar Hadjar, et de la Formation professionnelle, Mohammed Mebarki. Un accord entre les deux parties permettrait aux étudiants algériens en formation en France d'accéder à l'emploi. Et réciproquement.

Des cadres à bon compte, en somme. Et quel appel d'air !

Le lendemain, le sénateur maire socialiste de Lyon, M. Gérard Collomb -qui conduit une délégation d'élus, d'industriels, de représentants des cultes, du monde universitaire ou encore d'institutions économiques- se rend à Sétif, une ville partenaire de sa ville depuis 9 ans. Les deux villes signent des ententes sur des «échanges culturels et économiques, coopération technique en matière d'espaces ou encore d'éclairage public, qui a d'ailleurs abouti à la mise en lumière du patrimoine historique de Sétif», indique le communiqué de la ville de Lyon. Sans jeux de mots.

La question d'un « rapprochement entre les chambres de commerce et d'industrie des deux villes et des rencontres universitaires » est à l'honneur, comme on dit. « Pour ce sénateur socialiste, la coopération entre la métropole de Lyon et Sétif pourra constituer un rôle moteur dans l'axe stratégique France/Algérie », lit-on dans la presse. C'est un peu excessif, mais ça passe. La délégation lyonnaise s'est rendue à Oran pour participer au séminaire organisé par la Chambre de commerce et d'industrie et rencontrer des représentants universitaires et Monseigneur Vesco, évêque d'Oran, originaire de Lyon.

Au sein de la délégation on comptait M. Khaled Bouabdallah, président de l'Université de Lyon, Jean-Charles Foddis, directeur de l'ADERLY (Invest in Lyon), mais aussi Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon. Que du lourd.

« Pour convaincre les chefs d'entreprises lyonnais, l'ambassade de France a fait appel à plusieurs responsables de boîtes et de groupes privés déjà présents en Algérie pour présenter leur expérience qui s'est soldée par un véritable succès en dépit des obstacles rencontrés en cours de route. C'est le cas notamment du PDG de Sanofi, Pierre Labbé, qui relatera une expérience très riche qui a commencé en 1991 avec la création de la première usine en Algérie pour arriver à mettre sur pied aujourd'hui le plus grand complexe pharmaceutique d'Afrique et du Moyen-Orient. Le secret de cette «success story» réside, selon lui, dans le capital sympathie arraché par le groupe du fait de son engagement en Algérie dans les moments difficiles ». « Nous sommes le premier partenaire de la santé en Algérie», dit Pierre Labbé qui conseille aux chefs d'entreprises lyonnais de profiter des «potentialités algériennes» pour développer des «partenariats durables ».

M. Abdellaoui, originaire de Lyon, indique que Algérie, le plus stable pays de la région du Maghreb, à ses yeux, ne va pas attendre les investisseurs français « car nous évoluons dans une concurrence internationale où les Chinois et les Turcs ont fait leur entrée». C'est dit. Son groupe a établi « la plus grande plateforme logistique d'Afrique pour le compte de CEVITAL ».

Point d'orgue de ce séjour, à son retour à Alger, la rencontre de M. Gérard Collomb avec M. Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères, qui laisse augurer, selon lui, « que le meilleur reste à venir en matière de partenariat et de coopération avec l'Algérie ». Toujours. Suit ?

Mme Fleure Pellerine, entre le 27 et le 29 octobre, entend, selon l'ambassade de France, mettre « à l'honneur la densité des liens culturels entre la France et l'Algérie ». On l'aura compris.

La ministre française a lancé, en la Résidence de France, la plateforme « France Alumni Algérie », réseau rassemblant les anciens étudiants algériens en France animée par Campus France dont le but est de développer les relations entre des entreprises et des universités. But : consulter les offres d'emplois de part et d'autre et « favoriser les relations socioprofessionnelles ».

Dans le langage de la droite, cela s'appelle « immigration choisie ».

« Plus de 5.000 étudiants algériens, précise-t-elle, rejoignent chaque année les établissements français. Ils sont actuellement près de 22.000 sur les bancs des établissements d'enseignement supérieur ».

Autre chapitre : la France, dit-elle, est «fière et très flattée» d'avoir été choisie comme pays à l'honneur du 20e Salon international du Livre d'Alger. En contre-partie Mme Fleur Pellerin propose au Premier ministre Abdelmalek Sellal que la ville de Constantine, en sa qualité de capitale de la culture arabe, soit la ville à l'honneur lors du Salon du Livre de Paris en mars 2016.

Mme Fleur Pellerin a évoqué, lors de cette conférence, une feuille de route de la coopération culturelle entre l'Algérie et la France, touchant aux domaines cinématographique, littéraire, artistique, mais aussi journalistique et la protection du patrimoine. Pourquoi pas ?

Nous voici submergés donc. Changement de continent :

« Je félicite l'Algérie pour ses importants développements juridiques et institutionnels dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, et je tiens également à féliciter l'Algérie pour la reconnaissance internationale de ces développements », déclarait, de son côté Mme Polaschik, l'ambassadrice des Etats-Unis. « L'ambassadeur félicite l'Algérie suite à la reconnaissance par le Groupe d'Action Financière (GAFI) de progrès significatifs de l'Algérie dans l'amélioration de son régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme », lit-on dans un communiqué qui note que les deux pays, « partagent l'objectif d'assurer un système financier transparent et efficace où les fonds criminels ou terroristes n'ont pas de place ».

Blanchiment d'argent sale et financement du terrorisme, d'accord. Mais quid de la corruption ? L'évoquer ferait mauvais genre, sans doute. Ou de la peine à Chekib Khalil.

Dans la foulée, pour rester dans le ton et le naturel, « le gouvernement algérien interdit la participation de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) à la 6e Conférence des Etats-parties de la Convention des Nations unies contre la corruption qui à lieu à Saint-Pétersbourg, en Russie » en ce début novembre, déclare le porte-parole de l'Association, Djilali Hadjadj.

Curieusement, note-t-il, « c'est la 4ème fois consécutive que le gouvernement algérien use et abuse de ce honteux droit de veto, ce qu'il n'avait pas osé faire lors des 1ère et 2ème éditions en 2005 et 2006 », fort de l'application d'un « article scélérat du règlement intérieur de la Conférence des Etats-parties » qui permet à « un pays ayant ratifié cette Convention de se passer de la présence de représentants de sa société civile », participation recommandée « très explicitement » par ailleurs.

Où en sommes nous ?

Dans une contribution publiée le 26 octobre, on lit :

« En cette ère de mondialisation, il me semble erroné de parler de stratégie industrielle, ce qui supposerait une autonomie totale de la décision économique surtout pour un micro-Etat comme l'Algérie, alors que la tendance est aux grands ensembles, d'où l'importance d'espaces économiques fiables maghrébin, euro-méditerranéen et africain, espace naturel de l'Algérie qui peut devenir un pays pivot, son avantage comparatif futur étant l'Afrique. Cela passe par une démystification idéologique vis-à-vis de l'entrepreneur privé qu'il soit algérien ou international. Nous sommes à l'ère de la mondialisation, devant éviter de vendre des utopies néfastes, l'économie de marché concurrentielle, tenant compte des anthropologies sociales spécifiques à chaque nation ayant ses propres règles ».

C'est réglé ? Alors, on rend les armes ? Un mois de novembre ?