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Révision de la loi fondamentale : peut-on Constituer une conscience ?

par Abdellatif Bousenane

Les grandes lignes de la réforme constitutionnelle dévoilées par le président de la République visent effectivement la modernisation de la vie politique en Algérie. Mais qu'en est-il de leur perception de la part des acteurs politiques et de la société? Cela est l'enjeu majeur de cet évènement.

La lettre du président à l'occasion du 1er Novembre a surpris beaucoup de monde. Non pas par l'annonce de l'approche de dépôt du projet, mais par la profondeur des réformes proposées. L'étonnement a été tel que les partis politiques les plus farouches au système Bouteflika n'ont rejeté la proposition que du bout de lèvre, ils ont même fait entendre qu'ils attendront le contenu du projet pour avoir une idée plus claire. Cela veut dire qu'ils ne sont pas systématiquement contre la proposition, de toute manière, dans tous les cas de figures ! On est dans le raisonnable.

Or, certains peuvent penser à une énième manœuvre politicienne machiavélique pour duper les acteurs politiques très opposés ou, au pire, pour diviser une fois encore une opposition, très divisée déjà, sur une question cruciale. Toutefois, la lecture la plus plausible, à mon sens, c'est que le chef de l'État veut laisser son empreinte sur la Loi fondamentale du pays au bout de 20 ans de règne. C'est une question trop sérieuse pour qu'elle soit l'outil d'un quelconque petit jeu politicien.

« DEMOCRATIE APAISEE », EST-CE POSSIBLE ?

Le premier point qui va certainement faire réagir à plusieurs niveaux c'est « l'approfondissement de la séparation et de la complémentarité des pouvoirs, en même temps que l'opposition parlementaire sera dotée des moyens d'assumer un rôle plus actif, y compris par la saisine du Conseil constitutionnel ». En attendant plus de détails et d'explications dans le projet, le ton est déjà donné, l'intention d'élargir les pouvoirs des parlementaires est clairement affichée, dont la saisine du Conseil constitutionnel constitue l'élément le plus novateur et le plus séduisant pour une opposition qui se plaint souvent du manque d'outils de contre-pouvoir et d'arsenal juridique pour réagir contre une autorité présidentielle et exécutive très ferme dans ses décisions.

La mise en place d'un « mécanisme indépendant de surveillance des élections » va également dans le même sens de garantir plus de transparence dans l'exercice de la démocratie. Il faut tout de même le rappeler, cette question était toujours parmi les revendications essentielles des partis de la CNLTD.

En revanche, beaucoup de citoyens croient que le problème n'est pas dans la loi elle-même mais il est plutôt dans son application. Le laxisme de l'Etat ou la justice à géométrie variable causent de vrais préjudices à la crédibilité de la parole publique. Dans cette perspective, la nouvelle Constitution propose, cependant, à travers « les garanties nouvelles proposées de conforter le respect des droits et libertés des citoyens ainsi que l'indépendance de la justice ». Plus d'indépendance, notamment au juge d'instruction, est évidement un changement profond qui nécessite forcément une formation plus rigoureuse et très ciblée des magistrats qui seront confrontés aux responsabilités d'une autorité aux larges pouvoirs.

Le président de la République espère « que cette révision constitutionnelle contribuera à l'affirmation d'une démocratie plus apaisée dans tous les domaines... ». Tout dépendra en effet de la perception que les différents acteurs politiques et même les citoyens en ont faite. C'est eux seuls qui peuvent donner du sens à ces réformes, fut-elles primordiales et essentielles. C'est la capacité de notre conscience à intégrer ces progrès et les rendre intelligibles pour enfin les exercer pleinement dans la société. Comme l'exemple d'une équipe de football qui se distingue par une culture de jeu excessivement défensif et que tous les mécanismes et le système éducatif de ses joueurs et staff technique se basent sur cette « philosophie » de jeu. On a beau changer ainsi toutes les règles de football pour encourager les attaquants à marquer plus de buts et dissuader par conséquent les défenseurs par des règles très contraignantes, notre équipe citée dans cet exemple aura toujours des difficultés énormes pour pouvoir bénéficier de ces « réformes », si elle ne prévoit pas de revoir sa perception de ce sport.

HISTOIRE ET IDENTITE NATIONALE, LE GRAND DEFI !

Ce chapitre est beaucoup plus complexe et problématique, qui reflète mieux l'enjeu et le rôle de la conscience dans la réussite de n'importe quel effort de changement. D'abord, sur l'essence même de cette réforme : « la révision de la constitution aspire à consolider l'unité nationale autour de notre histoire, de notre identité et de nos valeurs spirituelles et civilisationnelles », quels seront concrètement les amendements et les nouveautés concernant cette dimension très sensible ? Est-ce en décrétant quelques nouvelles lois ou en améliorant d'autres déjà existantes qu'on va pour autant apaiser les tensions mémorielles, et les crispations identitaires de part et d'autre ? On reste très sceptique lorsqu'on observe les déclarations d'un certain nombre d'acteurs politiques et de personnalités historiques dans notre pays, qui s'accusent mutuellement à tort et à travers de tous les qualificatifs de traîtrise. Comme si les mots et les adjectifs sont devenus sans aucun sens ! Sans aucun poids ! Peut-on déléguer cela à une absence totale de lucidité ou plutôt à un fait intentionnel qui vise sciemment à faire douter ? Il s'agit, bien sûr, des dernières déclarations du député Nordine Ait Hamouda et également de l'ancien ministre Dahou Ould Kablia, quoiqu'il se soit racheté en disant qu'il a été mal compris ! Mais le malaise est là, la guerre des accusations fait rage entre Ammar Benouda et Khaled Nezzar ; ces personnalités historiques de la nation sont-ils conscients de la gravité de leurs propos et du tort qu'ils font à la Révolution du 1er Novembre et donc à l'existence même de l'Etat-nation algérien ?

Les médias qui offrent des tribunes et un temps de parole aux séparatistes du MAK, sont-ils conscients du mal qu'ils causent à l'unité de la nation et à l'imaginaire collectif de toute une région qui souffre toujours des clichés, des stigmates et des malentendus les plus fantasmatiques. Autrement dit, la Constitution actuelle n'a pas empêché la liberté d'expression ou le fait de donner la parole aux ennemis de l'unité nationale ! Dans ce cas-là, faudrait-il plus ou moins de démocratie ?

Malgré l'importance de ces amendements pour l'avenir du pays, on voit clairement que le vrai défi c'est notre perception de la modernité, donc notre compréhension du sens même de ces changements. Puisque devenir une société mature est un état d'esprit qui relève de l'éducation, de la formation, du discours que les médias véhiculent, du langage religieux aussi dans les mosquées et la société d'une manière générale. Ainsi donc, il faut une vraie révolution dans nos discernements de beaucoup de notions qui caractérisent notre monde actuel. Et l'édification de l'Etat de droit devient, dès lors, très liée à notre volonté collective de rentrer dans le temps, d'être dans l'histoire, car la modernité, la civilisation ne se décrète pas par décret gouvernemental !