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Transition démocratique

par Mourad Hamdan*

L'un des impératifs majeurs de la pratique démocratique « a trait à la portée effective de la souveraineté populaire, spécialement à la possibilité réelle qu'ont les électeurs non pas tant de choisir leurs gouvernants pour la première fois que de les renvoyer par un vote négatif lors d'une consultation ultérieure ». Guy HERMET (politologue)

La notion de «transition démocratique» a fait l'objet de longues discussions. Utilisée d'abord pour désigner le changement pacifique de régime en Espagne, elle a fait ensuite l'objet de nombreux débats. Rejetée pour ses connotations et surtout son finalisme qui néglige l'incertitude et la réversibilité des processus de démocratisation, elle est, dans les années 1990, de plus en plus remise en question et remplacée par la notion de réforme qui renvoie plus aux problèmes de changement systémique, de gestion efficace de l'économie et de «bonne gouvernance». Sans entrer dans ces débats terminologiques, on peut ici retenir l'expression, de façon pratique et minimaliste, sous trois angles :

- Dans son acception courante, la Transition est envisagée comme un processus de nature politique qui occupe un intervalle séparant deux formes différenciées et reconnues de régimes politiques, en l'occurrence la dictature et la démocratie. En jouant le rôle de passerelle, la Transition présente nécessairement un caractère hybride car elle emprunte des éléments à chacun des deux états entre lesquels elle se situe.

 - Dans son acception étymologique, la Transition est une manière de passer d'un état à un autre. Sur cette base, laTransition démocratique est une modalité de changement politique.

 - Dans son acception temporelle, la Transition démocratique est simplement la période ambigüe de changement de régime. On peut la définir comme une période de flux institutionnel, d'incertitude, où la norme démocratique tend à s'imposer comme critère de légitimation et oriente les perceptions et les comportements de la majorité des acteurs.

 Le recours à l'expression courante de « transition démocratique » n'est guère adapté si l'on entend par là que le phénomène serait d'essence démocratique. Les moyens employés pour faire advenir la démocratie ne sont pas forcément couplés à une pratique de même nature. Par ailleurs, si la démocratie apparaît comme l'horizon institutionnel et moral à conquérir, l'analyse du processus doit se garder de toute tentation téléologique, d'autant que la sortie démocratique n'est pas l'issue exclusive d'une transition. Celle-ci gagne à être étudiée comme un moment d'indétermination et de recherche d'identité. Elle se profile telle une entreprise mouvante, oscillant entre deux formes politiques distinctes, dans un contexte où les protagonistes éprouvent des stratégies variées et où les règles de fonctionnement sont à définir et à expérimenter.

COMPREHENSION DE LA TRANSITION DEMOCRATIQUE

La transition démocratique suggère alors à la fois l'idée d'un projet de société, la démocratie libérale pour plus et mieux deliberté, et d'une dynamique politique dans la construction du cadre institutionnel de son éclosion. Comprendre latransition démocratique, c'est tenter de l'intérieur une analyse du procès d'invention du politique à travers les institutions et les jeux d'acteurs multiples aux logiques diverses impliqués dans le processus d'institutionnalisationen question.

À partir des faits et des logiques d'acteurs impliqués dans ces transitions démocratiques, il est aisé de comprendre que :

? d'une part, que les transitions politiques se déclinent en deux temps avec une forte tendance de recomposition des autoritarismes;

? d'autre part, que l'historicisation du politique reste fortement marquée par la permanence de pesanteurs socioculturelles et des contraintes géo-économiques qui contrarient l'horizon de l'idéal démocratique libéral enmême temps qu'elles renforcent l'incertitude dont rend compte une certaine asthénie démocratique.

NATURE MEMORIELLE DE LA TRANSITION

Ayant défini les contours de la Transition au sens strict, en tant qu'opération politique, il convient désormais d'en présenter la seconde dimension, de nature mémorielle.

Il apparaît essentiel de souligner que tout processus de changement historique rend particulièrement aigu la question des représentations collectives, en ce qu'il participe de l'élimination d'un ordre antérieur pour en bâtir un nouveau. Une transition a vocation à être un moment fondateur où s'éprouvent des identités collectives qui reposent sur une articulation renouvelée, par le biais du présent, entre passé et avenir. Or, cette dernière définition s'applique également à la mémoire, en tant que phénomène complexe dont la fonction consiste, à l'échelle des individus et des groupes sociaux, à tisser un lien entre passé et futur.

Pendant la Transition, les protagonistes de la scène publique, bien qu'ils se distinguent par des sensibilités idéologiques variées, recourent à une forme de ruse mémorielle dans leur rapport au passé (et ses traumatismes). En d'autres termes, ils abusent à dessein du passé ou font mine de s'abuser sur ce dernier, par des biais distincts, dans l'espoir de fortifier un projet d'envergure politique où réside le sens qu'ils attribuent à la Transition.

D'où l'importance déterminante accordée à l'analyse des propos publics, à visée performative, tenus sur le proche passé. La référence à ce dernier est clairement un enjeu de pouvoir, à plus forte raison dans les périodes d'incertitude quant aux valeurs collectives que partage une communauté.

TRANSITION A LA DEMOCRATIE

Partant de la définition de Schumpeter selon laquelle la démocratie est déterminée par le faitque le peuple puisse choisir ses gouvernants, les transitologues s'accordent grosso modo sur la conception procédurale de la démocratie politique dont Robert Dahl a précisé les critères :un régime politique caractérisé par des élections libres et ouvertes, avec des barrièresrelativement basses pour la participation, une compétition politique véritable et une sérieuseprotection des libertés civiles.

Considérer qu'une démocratie politique minimale estnécessaire pour commencer à parler de démocratie ne signifie pas forcément qu'on limite ladéfinition de la démocratie à ces procédures indispensables. Mais en revanche, aucunedémocratie digne de ce nom ne peut faire l'impasse sur la démocratie politique.

Cette base théorique relève d'un consensus nouveau, ralliant de larges fractions du spectrepolitique de la droite et à la gauche, le consensus fondateur précisément des transitions à ladémocratie. Car l'analyse théorique, aussi indépendante soit-elle, s'inscrit dans les évolutionspolitiques de son époque. Le concept de transition à la démocratie est ainsi directement lié àun double aggiornamento politique (au niveau transnational d'ailleurs) qui a donné lieu auxsorties pacifiques de nombreuses dictatures à travers le monde.

Considérer que la démocratie n'est pas terminée après les premières élections libres etqu'il faut pousser les réformes au de-là de la démocratie minimale posée par la transitionconstitue un choix politique légitime. D'ailleurs, les théoriciens des transitions posent troispossibilités pour la phase ultérieure : l'hypothèse négative, une régression autoritaire, ou bienle maintien consolidé ou instable du simple cadre institutionnel démocratique procédural, ouencore la mise en œuvre de nouvelles avancées démocratiques. Mais estimer que ladémocratie se révèle finalement « introuvable » après la fin de la dictature, cela constitue à lafois une remise en cause de la valeur intrinsèque de la démocratie politique instaurée par latransition et une critique à l'égard du processus et des promoteurs de la Transition.

CONSOLIDATION DEMOCRATIQUE

L'accent mis sur l'opposition entre dictature et démocratie par les transitions à la démocratie a contribué à réévaluer la démocratie politique sans pour autant forcément limiter ladémocratie au champ institutionnel ni la couper de la lutte sociale. Après la sortie d'unedictature, tous les choix y compris ceux des définitions divergentes de la démocratie s'ouvrent à nouveau et notamment celui d'une démocratie sans cesse en mouvement, enperfectionnement. Mais alors, le consensus sur la nécessité de poser une démocratie minimalepour éventuellement l'approfondir ensuite s'affaiblit progressivement laissant ressurgir despositions radicales opposées : d'un côté, la réduction de la démocratie au champ politiquerisquant de la figer dans des cadres formels sclérosés, de l'autre côté, sa perpétuelle remiseaux lendemains qui chantent à la vouloir trop parfaite. Ces débats sont désormais au cœur desthéories sur la « consolidation démocratique », nouveau concept qui complique encore celuide « transition démocratique » !

LA DEMOCRATIE EST?ELLE COMPATIBLE AVEC L'ISLAM ?

Les savants stipulent que le fait de statuer sur une chose est une conséquence de sa conception. Ainsi, si nous voulons connaître le statut de la démocratie, il nous faut définir la démocratie et connaître les éléments constitutifs de la démocratie pour savoir si ces éléments seraient en contradiction avec les valeurs de l'islam. En effet, l'enseignement est tiré du contenu et non pas des appellations.

Selon la célèbre formule d'Abraham Lincoln (16ème président des Etas Unis de 1860 à 1865), la démocratie est : le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. C'est la définition couramment reprise. Mais qui a dit que le gouvernement du peuple était en contradiction ou en opposition au jugement d'Allah ? Un gouvernement est dit démocratique par opposition aux systèmes monarchiques d'une part, où le pouvoir est détenu par un seul, et d'autre part, aux systèmes oligarchiques, où le pouvoir est détenu par un groupe restreint d'individus. La démocratie s'oppose donc à la dictature et au totalitarisme.

Selon Alexis de Tocqueville (philosophe politique et homme politique français 1805 ? 1859), la démocratie désigne une forme de société ayant pour valeur la liberté et l'égalité. En quoi ceci ne serait pas compatible avec l'islam ?

Les principaux éléments qui définissent la démocratie sont les suivants : Le libre choix d'un gouvernement, l'état de droit, le suffrage universel, le fait pour l'élu d'avoir à rendre des comptes devant ses électeurs et la séparation des pouvoirs. Y a ? t ? il une contradiction entre les principes fondamentaux sur lesquels se fonde la démocratie et les références cardinales islamiques ?

Apparemment non. Les principaux éléments de la démocratie sont tout à fait compatibles avec l'islam. Ces principes sont applicables partout, mais il appartient à chaque société de trouver son modèle de démocratie correspondant à son histoire, sa culture et aux défis auxquels elle doit faire face.

* Consultant en management

Références : Renée Fregosi et Moncef Zenati