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Combien de victimes faudra-t-il pour prétendre à une Shoah ?

par Mohammed Alioui *

«Ceux qui aiment la paix doivent apprendre à s'organiser aussi efficacement que ceux qui aiment la guerre.» Martin Luther King Jr.

En quoi La Shoah, ce terme hébreu signifiant la catastrophe, évoquant l'anéantissement, l'extermination par les Nazis des juifs à travers le monde est il différent de la Nekba ? Sémantiquement, les deux termes signifient catastrophes, horreur des crimes de masse, génocides?

La Shoah constitue donc un événement qui a impacté moralement, culturellement et religieusement l'histoire universelle. Il en est ainsi pour la Nekba, sauf que cette dernière n'a pas bénéficié d'une stratégie de médiatisation accentuée et de campagnes de communication axées sur l'aspect cognitif, affectif et conatif en même temps.

L'expression Nekba des Palestiniens, prononcée ou écrite reste une notion ambiguë pour les occidentaux, contrairement à la Shoah qui est étudiée dans les programmes scolaires Européens, illustrée par le syndrome de «la victimisation» des occidentaux et médiatisée à outrance.

Dans La Destruction des Juifs d'Europe, Raul Hilberg analyse la Shoah comme un processus, dont les étapes sont la définition des Juifs, leur expropriation, leur concentration, et enfin leur destruction .Raul Hilberg a été le premier à reconstituer le processus d'ensemble du génocide perpétré à l'encontre des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale dans tous ses aspects politiques, économiques, techniques, administratifs et humains .

Dans la destruction des Palestiniens, Israël utilise le même processus et dans les mêmes aspects et si par honnêteté intellectuelle, Hilberg devait se pencher sur la définition des Palestiniens, leur expropriation, leur concentration et leur destruction, il qualifierait certainement ces étapes de Shoah 2.

La sémantique a donc son pesant dans la stratégie de communication et le terme Shoah, dans le langage universel est associé à l'holocauste, à l'extermination des «gentils juifs» uniquement.

Stratégie de communication et prévoyance oblige, Monsieur Jean-Marc MOSKOWICZ, Président d'Europe Israël a demandé à l'académie Française de faire rentrer le mot Shoah dans le dictionnaire de l'académie, il rappelle dans sa lettre qu'il est un mot passé progressivement dans le langage usuel depuis la sortie du célèbre film de Claude Lanzmann le 23 octobre 1985, le mot «Shoah».

«Shoah», écrit-il, ce mot hébreu qui signifie «anéantissement», mais aussi «cataclysme», «catastrophe», a été pour la première fois employé en 1944 par le juriste Raphaël Lemkin afin de désigner l'extermination des Juifs d'Europe.

Claude Lanzmann qui cherchait un titre pour son film choisit de ne pas utiliser le terme couramment employé à l'époque pour désigner l'extermination des Juifs d'Europe, le terme «Holocauste», en raison de sa connotation religieuse et sacrificielle impropre. Ne trouvant pas de titre approprié pour désigner ce qu'il appelait «la Chose», il décida d'utiliser le mot «Shoah» terme utilisé par des Rabbins après la guerre pour désigner cet événement.

C'est ainsi que le mot «Shoah» commença à rentrer dans le langage usuel français mais aussi mondial. Il est désormais ancré profondément dans notre culture nationale à tel point qu'il existe à Paris un Mémorial de la Shoah. Même les correcteurs orthographiques des logiciels reconnaissent le mot «Shoah»?, précise le président d'Europe-Israël.

Le président d' Europe-Israël va jusqu'à appuyer sa demande par une argumentation logique et affective, précisant qu'aujourd'hui, le mot «Shoah» fait partie intégrante du langage mais aussi de l'héritage historique. L'extermination systématique par l'Allemagne Nazie des trois quarts des Juifs de l'Europe occupée est un évènement majeur du XXème siècle qui a profondément marqué les générations successives.

Il précise que le terme «Holocauste» employé tout de suite après guerre a peu à peu été abandonné en raison de sa connotation religieuse et sacrificielle.

Le terme «génocide» utilisé dans les manuels scolaires pour évoquer l'extermination des Juifs est aujourd'hui largement dévoyé de toutes parts. En effet, si vous tapez dans Google le mot génocide vous trouverez 15 700 000 pages de résultats. Comprenez donc, que le mot «génocide» est faible au regard de ce que les juifs ont subis.

Monsieur Moskowicz va jusqu'à rappeler aux membres de l'académie qu'en explorant les premières pages de résultats de moteurs de recherche sur Internet, aucune ne parle du génocide des Juifs d'Europe. Vous y trouverez le Rwanda, le génocide Arménien et bien d'autres mais ce n'est qu'en seconde page du premier moteur de recherche mondial que l'on trouve enfin une page liant le mot génocide et l'extermination des Juifs? Signe des temps, écrit-il.

Monsieur Moskowicz, précise aux membres de l'académie que le mot génocide est par ailleurs employé largement pour qualifier toutes sortes d'exactions meurtrières, banalisant ainsi comme «un génocide de plus» l'extermination systématique des Juifs en Europe occupée.

Ce qui reste à préciser donc, c'est à partir de quel seuil d'exactions, de terreur, de perte peut-on évoquer la notion de génocide ou de Shoah. Cette dernière au sens, du président d'Europe Israël est beaucoup plus importante qu'un génocide.

OSONS LA SHOAH 2 !

Si la Shoah est entrée dans le vocabulaire usuel universel, rien ne nous empêche de l'utiliser comme vocable désignant un génocide à grande échelle, tel que celui de la Palestine que l'on pourra appeler Shoah 2, celui du Rwanda que l'on pourra surnommer Shoah 3, enlevant ainsi ce «monopole» du sacrifice et cette expropriation de «l'affect» par Israël.

Dans le cas du malheur des Palestiniens et ce qui s'abat sur Gaza ? Osons donc le Shoah 2 en lieu et place de la Nakba, question de rappeler aux Juifs que les affres qu'ils ont subis sont les mêmes que subissent les Palestiniens et au monde, rappelons que l'extermination de la race humaine par des procédés barbares n'est pas que la «spécialité» des Nazis. Pourquoi ne brandissons pas nous aussi des pancartes appelant à cesser la Shoah2, question de faire diluer ce terme et lui retirer le titre de propriété judaïque et ainsi décliner cette appellation à tous les massacres contre des civils ?

Parlons donc le langage des Israéliens, utilisons leur panoplie de communication, utilisons leur communication. Le monde occidental comprendra certainement qu'il ne peut y avoir une seule Shoah et que la Shoah n'est ni plus ni moins qu'un «anéantissement «, une extermination des peuples et nous savons tous, sans faire dans la langue de bois que nous avons besoin de l'écoute et de l'empathie des occidentaux, faute de courage et d'initiative de nos dirigeants arabes .

Si les mass médias, les réseaux sociaux abondent dans cette nouvelle appellation du massacre des palestiniens, qui n'est qu'un vecteur de communication et réussissent à faire coexister deux Shoah comme une suite, l'une à l'autre, le monde se réveillera peut être et les juifs sincères verront d'une manière humaniste, non politisée, le ressenti des palestiniens, leur ressenti dans la Shoah 1. A nous de scander au monde : «que cesse la Shoah 2 .L'histoire retiendra qu'un enfant palestinien est l'égal d'un enfant Juif, qu'une mère juive qui a pleuré ses enfants et ses disparus est l'égale d'une mère palestinienne qui pleure ses enfants et ses disparus et que le sionisme comme le nazisme n'est qu'un courant, appelé à disparaître un jour.

* Enseignant - Paris