Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le capital privé est-il autant responsable ?

par Driss El Mejdoub

Festivités d'indépendance et euphorie vécues, le pays se projetait vers son destin, marqué par un dénuement attendu.

Au lendemain de son indépendance, sans infrastructures de médecine, sans infrastructures d'éducation, sans infrastructures universitaires, sans infrastructures d'emplois, sans infrastructures de vie sociale, sans infrastructures de vies spirituelles et culturelles, sans infrastructures de service public assujetti à son seuil minimum, le peuple (de prés de dix millions d'habitants) heureux de sa souveraineté reconquise et de sa dignité rétablie, occultait le contexte économique. Dix millions d'habitants à grande majorité rurale, marqués par ses 95 % d'illettrés, ne lisant pas l'avenir, se trouvaient convoités pour leur adhésion aux mouvances existantes ou naissantes.

La vocation du Pays est à 90% agricole et halieutique, L'expertise économique était rare ou inexistante. Le colon a pris le soin d'occulter la vocation et les atouts économiques. Seul le négoce de base, primaire (dans une monnaie non algérienne) portant sur les besoins alimentaires de survie, constituait l'activité commerciale. Les quelques activités à valeur ajoutées, héritées de la présence coloniale de naguère, étaient considérées par les 95% d'illettrés comme propriété collective. C'était l'éruption commerciale des MPS (magasins pilotes socialistes) et la floraison des comités de gestion.

Les sociétés nationales n'étaient pas encore promues. La notion de gestion dans son concept universel était ignorée et le bilan de tel ou tel acte de gestion n'intéressait personne. Tous les actes d'Administration ou de gestion assurés par volontarisme populaire, se sont convertis pour générer 52 ans plus tard une administration étouffante et bureaucratique. A elle seule, l'indépendance renfermait la bravoure, l'héroïsme, la démagogie, le politique, l'économie, le pouvoir par le peuple et pour le peuple ainsi que tout ce qui pouvait briller aux yeux des 95% d'illettrés.

Collectivisme, socialisme, socialisme spécifique, socialisme scientifique, capitalisme etc.? faisaient bon ménage dans le discours du Commissaire politique. La chartre socialiste des entreprises (1970) allait promouvoir des Directeurs Généraux, des Présidents d'ATE (Président de l'Assemblée de travailleurs de l'entrepris) et Présidents d'ATU (Président de l'Assemblée des travailleurs de l'unité) pour régir les activités sectorielles. C'était le corollaire de la première bataille violente mais feutrée post -indépendance qui a opposé deux visions pour prendre en charge le néant politique et économique qui se présentait à ce Pays : l'ignorance et la compétence, le pouvoir et l'argent. Etre riche ou accéder à la richesse était le rêve non déclaré de tout citoyen. Mais être riche était réactionnaire.

Accéder aux premières fonctions du pouvoir provoquait l'ire des rivaux et l'admiration de la tribu. Etre socialement positionné sans compétence était un exploit. La compétence était le berceau de la réaction. La démonstration était faite qu'il y a ceux qui font l'histoire, il y a ceux qui la subissent et enfin il y a ceux qui la volent.         

Le rang social autorisait l'accès à la " caverne d'Ali Baba ". La candeur d'une société fraichement obligeante permettait l'accumulation indécente et illégitime de fortune sous toutes ses formes. Une fortune qui ne s'est pourtant pas érigée en capital, contribuant fondamental de la croissance et donc .du développement nécessaire. De dix sept sociétés nationales dans les années 70, le nombre de ces entreprises passe à cent vingt sociétés nationales en 1982 et plus d'un millier quinze années plus tard, toutes à capitaux marchands (ou privés) de l'Etat. Que de chemin parcouru ! C'était l'ère de l'industrie " industrialisante ". Le développement se passait de la promotion de l'entité économique à capitaux privés qui n'était pas tolérée.

L'état d'accablement du capital privé l'a poussé notamment dans les années 90 vers l'informel où il s'est construit une puissance organisée et solidaire dictant le comportement du marché. Les dix millions d'habitants sont devenus prés de 39 200 000 de consommateurs en 2014. En 52 ans, l'informel, passant par les commerces multiples et autres, a pris le temps de structurer ses méthodes, de cibler ses intervenants en amont et en aval et de réaliser ses alliances et ses réseaux. A l'avènement de l'économie de marché en 1995 ( Loi sur les capitaux marchands de l'Etat), s'était très vite substitué l'exercice de " l'économie de spéculation " polluant et dépravant sournoisement le monde des affaires. Cette " économie de spéculation " motivée par un marché de plus de 39 000 000 de consommateurs trouve sa marque dans le manque de traçabilité intégrale de l'acte commercial ; elle surprend l'observateur averti, par l'opacité de son exercice commercial depuis sa naissance jusqu'au bout de son cheminement.

Elle sait digérer à son avantage tous les privilégies sociaux et salariaux octroyés au travailleur ainsi que les subventions et le soutien des prix. Elle a l'art et le savoir d'anéantir tout pouvoir d'achat du citoyen. Elle sait pervertir les pratiques à l'effet de maintenir la demande du marché et cela n'est pas sans la timidité d'intervention des moyens de l'Etat (ces moyens sont nombreux). C'est favoriser la pratique anti concurrentielles. Bien des pays économiquement avancés, comme les Etats Unis, les pays de l'OCDE et d'autres, en 1970, ont connu cette transition. C'était bien avant le lancement du programme GATT devenus par la suite OMC.

Ils ont osé, sans renier leurs doctrines économiques respectives, baliser la règle concurrentielle afin d'arbitrer entre les activités rentables et celles non rentables. Ils ont fait valoir l'adaptation des politiques douanières, des politiques de stockages, des réglementations d'accès aux différentes professions commerciales etc.

Le statut juridique de cette " économie de spéculation " veille à sa pérennité. Sur les 980 000 intervenants économiques déclarés que compte le gisement d'opérateurs, seuls 92 000 d'entre eux se déclarent sous le statut juridique de personne morale (ou société SARL, SPA, EURL, PME, PMI etc?) soit à peine 9,3 %.. Pour rappel le statut commercial de personne morale place celle-ci dans une existence qui lui permet difficilement de " s'évaporer ".

La personne physique (soit 888 000 opérateurs), sous couvert d'une activité librement déclarative et sans repères lui permet d'être à la tète d'une économie souterraine parallèle qui ne facilite pas l'analyse, l'évaluation et l'appréciation des agrégats et ratios économiques. L'art de spéculer occulte le déclin de la production; produire est " risqué". C'est le " rôle " de l'entreprise à capitaux d'Etat. Bien pire ! " Cette économie de spéculation " se prête volontiers à l'exportation des richesses et en initiant la création au cout de milliards, des structures qui ne survivront pas aux alliances. Les lobbies à durée déterminés s'éteignent mais sèment la rupture avec la première force de la croissance, le travail.

L'activité tertiaire (petits commerces et services) non normée mais représentant plus de 80% du tissu économique s'impose comme le monopole de cette " économie de spéculation". L'Etat n'exerce plus de monopole. L'ouverture économique s'est distinguée par une réaffectation du monopole à la place d'une redistribution des rôles économiques. La contribution fiscale et aux ressources budgétaires du nouveau monopole, vaguement quantifiable contribue à creuser déficit budgétaire (05% du PIB). Ainsi nait et se développe un concept nouveau de la contribution à la croissance économique nationale qui accentue la dépendance PIB du secteur des hydrocarbures qui présentent à leur tour un déclin alertant. Cette économie souterraine brasse un volume fiduciaire fuyant qui lui permettrait de déstructurer les équilibres et les ajustements monétaires attendus.

Le meilleur allié naturel de cette " économie de spéculation" est l'informel.

Il lui permet de pérenniser cette règle enviée mais prohibée par l'opérateur étatique, celle d'"homologuer " l'inacceptable, la fraude ; celle de savoir fructifier ces procédés au dépens de la productivité nationale. La conjonction de son incohérence dans l'acte d'investissement économique et son exploitation de la cohérence de "l'officiel politique " le mettent au diapason du discours de la gouvernance économique et à l'abri de l'aléa judiciaire. Pour cette " économie de spéculation ", toute loi a sa contre loi. La validation de la contre loi prend naissance au sein du temple des lois.

La gouvernance économique à dominante étatique a eu dès les années 1990 le courage de s'apostropher par elle même et pour elle-même et d'admettre la " non performance " de l'outil économique avec tout ce qu'il a de production, de commercial et de financier.

Un outil de production lourd et en déficit technologique, un endettement sans mesure face à ses capacités, un poste d'emploi pléthorique eu égard au seuil de l'activité, une perte du métier de base au profit du produit manufacturé importé en l'état mais aussi la perte de son marché, invitaient la gouvernance à admettre la refondation organisationnelle de l'outil économique. Et depuis et en l'espace de 15 ans l'organisation a connu plusieurs formes, Les fonds, de participations, les holdings 1ère version, les holdings 2ème version et enfin les sociétés de gestion des participations(SGP). N'est-il pas remarquable qu'aucune des formes n'a survécu au politique.    

Les fonds de participations ont confondu dans leur première expérience la gestion économique et l'administration économique. Ils se sont transformés en tremplin politique. Les holdings 1ère version créés pour disparaitre une fois leur mission terminée, ont établi le diagnostique détaillé de l'outil économique national dans ses dimensions technique, technologique, opérationnelle, humaine, commerciale et financière. Ils conclurent à une restructuration multi vectorielle de l'outil économique en le délestant de tout ce qui n'était pas rentable et en lé décomplexant vis-à-vis du partenaire privé algérien et étranger. Le taux de croissance industriel est passé entre 1995 et 2000 de 2,9 à 9,8%. En consacrant la séparation de l'économique du politique ils ont péché par leur autonomie légale.

Les holdings 2ème version n'ont eu aucune présence ni impact si ce n'est par leur voracité budgétivore. La SGP, transmettant intermédiaire, n'ayant pas l'attribut de propriétaire ne doit sa survie qu'à sa passivité dans l'élaboration de la décision. Son manque d'impact sur la relance de la performance la condamne à se remettre en cause si ce n'est à disparaitre. Mais alors quoi faire ? L'engineering national est aujourd'hui suffisamment doté de capacités intellectuelles et expérimentales pour élaborer une stratégie de refondation de l'organisation de l'outil économique à capitaux d'Etat. Il appartiendrait certainement à l'Etat encore détenteur du capital unique d'exprimer clairement l'option politique et le choix de gouvernance de ses capitaux. La clarté de l'énoncé des objectifs à rechercher (sans antagonisme entre les faits et le discours) devrait être le vrai cahier de charge pour une telle gouvernance. Il appartiendrait aux experts, chacun dans son domaine de mettre en œuvre cette politique. Le plus grand péril serait que cette réflexion se décrète en vase clos sans neutraliser les parallélismes autres que les organes sociaux. Cette réflexion devrait, après consultations et analyses, profiter de l'expérience vécue. Autrement cela aboutirait à une redondance expérimentale. Le Monde économique se remet en cause. L'Europe, les Etats Unis et l'Asie appréhendent avec crainte et réalisme l'expansion chiffrée de l'économie émergente. Le partenariat avait ses chances durant les années 90. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Le partenariat algéro-algérien se présente comme la seule variante qui s'impose à nous. L'économie nationale ne recueille que 1,692 milliard $US soit 3,5 % des IDE (Investissements directes étrangers) reçus dans les pays arabes. Cela laisse croire qu'il y a problème eu égard à l'attractivité du marché national (disponibilité de main d'œuvre qualifiée, disponibilité de ressources naturelles et disponibilité de capitaux, les trois piliers de la croissance).

Les pays de l'ancien bloc de l'Est et les pays en voie d'émergence économique ont rendu pléthorique la recherche de partenariat. Une nouvelle logique chez les pays dits avancés fait converger vers une nouvelle stratégie de regroupement de capitaux industriels. C'est la tendance à la refonte (ou fusion) des outils de production transnationaux et de la recherche et développement et ce, par absorption ou rachat de participation dominante.

C'est, pour eux, devancer les évènements pour garantir la rentabilité de leurs capitaux et consolider leur leadership sur le marché international. Une démarche inverse de celle qu'ils ont prise dans les années 70 et 80..Ils sont devant une équation difficile à résoudre prochainement : Comment soutenir une pénétration de marchés dont l'économie ambitionne d'émerger et de s'émanciper. Les BRICS (le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud) l'ont bien compris. Ils s'attèlent et se coordonnent pour se hisser en un pole attractif. Ils optent pour une croissance coordonnée.

C'est ce type de coordination qui manquerait dans la gouvernance des capitaux privés et d'Etat. Les initiateurs de toute réorganisation, restructuration ou redéploiement éventuels de l'outil économique national devraient tenir compte de ces stratégies transnationales qui s'opèrent. Une telle restructuration devrait être prioritaire à une éventuelle adhésion à l'OMC. Il reste qu'un marché à 40 000 000 de consommateurs soit une motivation vers la voie de la mobilisation de l'économie souterraine et la légalisation de la monnaie fuyante qu'elle draine pour les canaliser vers l'investissement créateur de vrai valeur ajoutée, d'emplois et de richesse nationale, vers une économie libérée davantage des exportations des hydrocarbures...

Le capital privé aurait à gagner en sortant de ces fondrières rappelant les luttes politiciennes partisanes. Le capital privé ne se limiterait pas à la dizaine de fortune qui s'est faite précisément grâce au capital privé de l'Etat (banques). Ce petit et moyen capital privé devrait oser s'investir dans l'industrie d'abord utilitaire qui est à forte valeur ajoutée. Il appartient aux capitaux privés nationaux de drainer en toute légalité la tendance et éviter qu'un nouveau monopole non étatique ne s'installe au dépens des nouvelles générations qualifiées. L'Etat ne peut, sous la contrainte sociale, soutenir indéfiniment un outil de production budgétivore tout en restant le principal ( si ce n'est l'unique) actionnaire du marché financier.

Le capital privé et l'exécutif d'Etat s'opposent là où objectivement il n y a pas de raison de s'opposer. Le consensus sur les attitudes de l'un, défenseur de l'intérêt général, et de l'autre défenseur de l'intérêt privé, est possible. Le dénominateur commun est de mettre en œuvre les moyens qui rendraient l'essor économique plus indépendant de l'industrie des hydrocarbures. Les deux, l'un garant de l'ordre économique du Pays et l'autre acteur économique sont Co- responsables d'une croissance vraie mais saine.