Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le désordre des choses !

par Kamal Guerroua *

Quelle réponse peut apporter l'homme moderne aux criantes anomalies du monde d'aujourd'hui ? Que nenni hélas! Car tout paraît se jouer a priori sur des conjectures et des hypothèses, des explications et des argumentations, des rhétoriques et des dialectiques aux relents partiales, irrationnels et déraisonnés. L'homme est un pollueur potentiel de son environnement après avoir été un prédateur nocif dans l'écosystème dont il prétend pourtant être le défenseur, et aussi un fouteur de troubles, de guerres et d'injustices, matrice évidente de la déchéance de toute morale! En gros, un ennemi de soi-même! Ni le sommet de la terre à Rio de Janeiro en 1992 ayant pour objectif la stimulation du développement durable (sustainable developement) c'est-à-dire en termes simples le rejet de cette mécanisation excessive du monde qui ne prend jamais en compte de façon immédiate et sérieuse le volet humain ni le protocole de Kyoto en 1997 qui vise à la réduction des émissions des gaz à effets de serre n'ont pu freiner les dégâts collatéraux des marées noires dans les mers et les océans, les essais nucléaires, l'industrialisation effrénée, exagérée et inhumaine des pays du Nord, les Etats Unis en tête au détriment du reste de la planète, terrible! La marche à pas forcés vers l'abîme s'annonce en conséquence compromettante pour l'homme moderne, cet «homo economicus» par excellence qui ne réfléchit qu'en termes quantitatifs, en sacrifiant de la sorte la qualité de son être cosmique. N'y-a-t-il pas sincèrement par là péril en la demeure?

Le réchauffement climatique, l'élargissement de la couche d'ozone et la perturbation du cycle des saisons en sont tant de graves symptômes qui menacent la santé et même l'existence humaine. L'écologiste et humaniste indienne Vandana Shiva s'est posée dès les années 80 en réelle détractrice des cultures O.G.M (organismes génétiquement modifiables), en proposant sur le sillage du grand Mahatma Gandhi (1869-1948) une agriculture traditionnelle, structurée, naturelle et biologique, laquelle répond aux besoins des populations rurales et urbaines sans polluer en même temps la nature afin, bien sûr, de contrecarrer cette expansion inquiétante des multinationales dont l'unique et seule finalité étant exactement de décupler à tout prix leurs profits sans aucun scrupule morale ni éthique. La population planétaire qui atteindra le chiffre de 9,731 milliards d'âmes en 2050 contre 7,141 en 2013 (l'Afrique à elle seule en concentrera l'équivalent de 2,435 milliards contre 1,1 milliards enregistrés fin 2013) nécessitera sans doute davantage de nourriture et de ressources en eau et en énergie (deux fois ou, à la longue, trois fois double que le volume actuel!). En 2007, le forum social des altermondialistes tenu à Bamako au Mali en 2006 a déjà tiré la sonnette d'alarme sur le danger des cultures artificielles et aurait invité les dirigeants mondiaux et les grandes puissances (G7 en particulier) à un retour à l'artisanat traditionnel et aux cultures maraîchères afin de pouvoir éradiquer les famines en Afrique et au Sahel et arriver ainsi à une autarcie alimentaire locale qui, le cas échéant, posera un barrage symbolique et spontané au militarisme, à l'émigration clandestine et au terrible cauchemar des harragas. En effet, cette mondialisation-laminoir se manifeste justement par l'accaparement des richesses des pays pauvres au travers de ces multinationales (gestion managériale, logistique et compétences), bref une recolonisation en marche tranquille, sans accrocs ni obstacle et en connivence machiavélique avec des élites locales «cognitivisées» à l'économie mondiale du Compradore. La mainmise culturelle sur les médias lourds, la technologie sophistiquée et les réseaux d'internet seront sans doute l'un des biais de cette domination.

Au début des années 1990, l'intellectuel Francis Fukuyama a déjà prévu dans son ouvrage «la fin de l'histoire et le dernier homme», cette ère nouvelle et unique dans l'histoire humaine où le capitalisme financier sera le maître incontesté du monde, où suite au «collapsus» furtif et inimaginable quelques années plus tôt du géant soviétique, toute l'hagiographie humaine sera mise au rebut à la faveur des seuls américains, en tant que pionniers d'un ordre mondial néolibéral. Tout ce que ce scientifique aurait annoncé était considéré en effet à l'époque dans l'air du temps, peu importe qu'il ait mis de côté le potentiel créatif des autres aires de l'univers et surtout «cette civilisation polychrone» diversifiée, riche en spiritualité de tout l'Orient. Au même temps et dans la même aire géographique, Hakim Bey, de son vrai nom Peter Lambron Wilson aurait proposé lui ses fameuses T.A.Z (Temporary Autonumous Zone), autrement dit, des solutions modulables, éphémères et instables afin, clame-t-il, d'éviter cette contamination du sens et ce réétalonnage à la négative des valeurs humaines. Le Net pour lui n'est qu'un biais supplémentaire, pernicieux de surcroît pour dominer (hégémonie) et ériger en leader une société du spectacle et de la consommation, bref, une société qui pleure un animal perdu dans une forêt lointaine mais se soucie moins d'un homme mort, agressé, humilié ou tué de façon «animale»! C'est pourquoi, ce sage philosophe a mis l'accent sur un nouveau concept de son crû «le terrorisme poétique», c'est-à-dire, s'adonner à l'art en dehors de toute institution, ce qui rejoint à quelques nuances près l'idée de «l'université populaire» du philosophe français Michel Onfray, saboter artistiquement tous ces organismes et ces institutions «esthétiques» et «artificielles» qui cherchent à détruire la conscience humaine et à nous détruire nous-mêmes psychologiquement par l'illusion et l'aliénation d'un «opium communicationnel» d'un autre âge (virtuel assassin du cercle familial, technologie de pacotille qui empoisonne les relations sociales, pornographie qui chosifie la femme... etc). Ce terrorisme de l'art est un néologisme sans son «isme» idéologique ni totalitaire, encore moins politique, un cri de transparence innocent dans un capharnaüm de déshonneur et d'indignité! Cette flambée du désenchantement est de nature à déminer un monde en déréliction, un monde civilisé qui n'est autre que «décivilisation» elle-même pour reprendre le terme du philosophe Renaut Camus.

En 2010, un cyberactiviste tunisien Slim Amamou qui s'est identifié sur son blog internet par les initiales slim 404 s'est insurgé, lui aussi, contre la maladie de notre monde moderne dont l'abcès est l'immolation d'un jeune tunisien à la fleur d'âge pour protester contre «l'indignité» et la précarité de sa vie. Nommé secrétaire d'Etat à la jeunesse dans le gouvernement tunisien de transition du 17 janvier 2011, cette activiste du virtuel en démissionne le 25 mai de la même année parce que il n'était pas évident, semble-t-il, que les idées de l'oppositionnel puissent prospérer en pareille «illusion» du pouvoir! Parfois aussi le virtuel est plus réel que la réalité elle-même pourvu qu'on sache en être le maître! N'est-ce pas là le désordre d'un monde où on ne sait pas sur quel pied danser pour entrer en symbiose avec ses délires ? Décidément, je réponds par l'affirmative !

* universitaire