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Le cas Khelil / Cahuzac

par Mazouzi Mohamed *

Délibérément niaises, complices, compromises et ligotées, c'est le récit des tribulations de deux républiques frappées par la même malédiction. Gérées par des maîtres qui ont enfourché le mauvais canasson, la bête se cabre et tournoie dans tous les sens au point qu'il devient de plus en plus périlleux de mettre de l'ordre dans cette écurie dévastée par le martellement continu de ces ruades incontrôlables.

La France simule la surprise et feint l'outrage aux mœurs politiques et à l'éthique d'une république qui, il serait utile de le rappeler, n'en est pas à son premier affront.

Cette gauche détentrice du monopole de la morale et gardienne d'une vertu mise à rude épreuve se fige abasourdie devant un scandale auquel il fallait s'y attendre. Son magistère moral qui d'ailleurs ne trompait personne vient d'en prendre un sale coup.

Néanmoins, cette affaire qui aurait pu rester somme toute banale met en lumière certains disfonctionnements aux effets extrêmement pervers : Ces scandales politico-financiers alternatifs qui émaillent la vie politique française depuis des lustres ne manqueront pas en premier lieu de décrédibiliser complètement l'Etat et une république dont les commis ressemblent de plus en plus aux malfrats les plus véreux.

Rappelons aussi que ce type d'Etat criminogène finira inexorablement par déliter la foi citoyenne, corroder toutes les confiances et installer un désarroi profond au sein des masses laborieuses blasées et totalement impuissantes face à ce mal qui menace les probités les plus résistantes et ronge les institutions les plus invulnérables. Et enfin, ces sempiternelles turpitudes au plus haut sommet de l'Etat, et l'histoire est là pour le confirmer, serviront de mobile aux extrémismes de tous bords : extrême droite, parti religieux, exclus revanchards? Surtout qu'en ces temps de récession et de disette, jouer avec l'argent des pauvres, car c'est toujours sur leur dos que les fortunes s'amassent, serait commettre l'un des plus grand sacrilèges.

Pendant que la France s'époumonait à railler ce pauvre Gégé (Depardieu) piètre resquilleur, on découvre que le pourfendeur de la fraude fiscale s'avérait être un maestro de la fraude doublé d'un menteur invétéré qui eut l'impudence de clamer tout haut son innocence pendant des mois devant ses pairs à l'Assemblée et face à la France toute entière.

Mais rassurons ces pauvres électeurs et contribuables français que l'Algérie compatit à leur malheur. Nous sommes bien placés que quiconque en matière de corruption pour savoir que le ridicule n'a pas de limites et qu'il ne tue personne.

Lorsque la presse algérienne précurseur de ces justiciers indépendants (Wikileaks Offshoreleaks - Mediapart?) commencera à égrener nos frasques politico-financières, notre président de la république persistera à dire que la Justice est là pour faire sereinement son travail. En effet, en termes de sérénité, tout le monde s'est rendu compte que notre justice nonchalante ne dégainait pas aussi vite que nos « Outlaws ». On essayera de nous persuader au moyen de cet axiome imparable au sujet de ce « Temps médiatique » passionnément impulsif et qui est par essence plus rapide que le « Temps juridique », donc moins objectif, moins authentique et forcément sujet aux fourvoiements de toutes sortes. Quelle bonne trouvaille que cette présomption d'innocence ! En effet ce temps judiciaire qui prend ses aises et dure une éternité a quelque chose d'épique et de fascinant car il n'y a pas plus efficace que le temps pour faire oublier, pour faire pardonner, pour faire amnistier, pour faire falsifier. Ceci me rappelle la chanson de Léo Ferré dédié à la gloire de notre ennemi le plus redoutable, le temps : « Avec le temps, va, tout s'en va. On oublie le visage et l'on oublie la voix. » Ainsi, notre temps médiatique pourra gigoter autant qu'il veut, sa force vitale s'émoussera à force de postillonner pendant que notre temps juridique façonnera majestueusement nos amnésies. Peut-être qu'un jour, nos générations futures prendront connaissance de ces vérités et de ces verdicts si attendus.

Si François Hollande et son premier ministre ont été pris au dépourvu par un chenapan en qui ils avaient mis tous leurs espoirs. Notre Chakib Khellil avouera ingénument lui aussi qu'il avait pris connaissance comme tout citoyen lambda à travers la presse qu'on lui faisait un enfant dans le dos.

Quelque mois plus tard, l'inquisition frappera à sa porte et lorsque le bucher commencera à crépiter bruyamment, tout le monde aura les regards fixés aux lèvres d'un président qui comme toujours avec un flegme légendaire et sa posture impassible se défaussera sur une justice. Il dira de manière imperturbable : « Je fais confiance à la justice de notre pays pour tirer au clair l'écheveau de ces informations, pour situer les responsabilités et appliquer avec rigueur et fermeté les sanctions prévues par notre législation » Bien évidemment, notre justice fera preuve de ce qu'elle a de plus précieux : son incommensurable prudence, sa nonchalance et sa langueur.

On se rend compte aujourd'hui qu'aucune démocratie n'est à l'abri de ces pires abjections que l'on considérait comme endémiques à ces républiques bananières imparfaitement décolonisées. Cette France que l'on retrouve en première ligne pour défendre toutes les grandes causes n'a pas cessé, avec un aventurisme surprenant, de mettre en péril les institutions d'une république qui sera à chaque fois obligée de muer pour préserver cette paix sociale si essentielle aux démocraties.

La France de Gauche comme celle de droite ne connaitra pas de répit. Il y aura par la suite l'affaire Aranda (1972), l'Affaire Luchaire (1986), l'affaire Elf (1994), l'affaire Péchiney(1988) mettant en cause pour des délits d'initiés des proches du Président François Mitterrand, l'Affaire Urba (1989), l'affaire des frégates de Taïwan(1991), l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris(1999) au cours de laquelle sera impliqué et jugé l'ex-Président Jacques Chirac, et enfin plus récemment ce sera au tour de l'Ex-président Nicholas Sarkozy de répondre à des chefs d'accusation ( abus de faiblesse) , celui-ci sera soupçonné d'avoir obtenu de l'argent de Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France pour financer sa campagne présidentielle en 2007. Et voilà qu'en 2013, le prestigieux Cahuzac remet au gout du jour cette manie irrépressible de se servir de l'Etat pour truander l'Etat. On se démène comme jadis, les extrémismes immergent et cherchent à donner le coup de grâce, on réclame beaucoup plus de têtes ou un remaniement complet, on propose des solutions débiles et aussi vieilles que le monde. La ministre déléguée aux personnes handicapées et à l'exclusion, la Marseillaise Marie-Arlette Carlotti publiera sa déclaration de patrimoine sur son blog, une vaine initiative provisoire qui fera des émules et aura pour effet d'amoindrir l'insurrection. Le viol est consommé et rien n'effacera l'outrage. On promet au peuple la mise en place imminente d'une politique qui vise la «fin du cumul des mandats, la transparence totale sur les patrimoines, la traque des conflits d'intérêts ainsi que la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux». Combien de fois n'avons-nous pas entendu ces rengaines ?

On remarquera que cette longue saga de forfaitures républicaines mettra en cause des Présidents de la République, des Présidents de Conseils, des Ministres, des Parlementaires.

L'Algérie vivra la même situation avec des dizaines de ministres et de hautes personnalités politiques compromises dans des affaires de corruption, de trafic d'influence, de malversations? Et tout ce que le peuple algérien retiendra me rappelle ce que Victor Hugo avait lancé un jour : « jetant au cabanon quiconque vole un sou » mais « prêts, devant qui les paie, à fléchir le genou ». (1) En 1914, dans la chambre des députés, L'homme politique français Aristide Briand dira : «Ah ! La magistrature manque d'indépendance? Ce procureur sous sa robe rouge et sous son hermine n'a pas eu la conscience assez haute pour résister? Mais que se passe-t- il donc dans les ministères? J'y suis allé dans les ministères et dans celui de la Justice. La nomination de ces magistrats, leur avancement, leur carrière, leur vie, tout est entre nos mains?» Cet état d'esprit est toujours d'actualité. On reproche toujours à la Justice ses lenteurs et ses réticences, ses allégeances et ses vengeances. Toutes les performances ou les défaillances dont elle fait preuve seront appréciées en fonction des sensibilités de celui qui essuie ses sentences et son verdict.

Le juge d'instruction Jean-Michel Gentil qui vient de mettre en examen Nicolas Sarkozy fera l'objet de déclarations injurieuses de la part de certains politiques qui mettront en cause l'impartialité des magistrats.

En 2001, face à ces scandales de corruption en cascade, le magistrat Jean de Maillard, interrogé sur ce que l'on appelait le complot des juges dira : « Oui. La justice est un espace de rapports de forces constant et son face à face avec le politique ne cesse jamais?Il n'y a pas de complot des juges. C'est l'opinion qui demande des comptes aux politiques et les juges, qui sont des citoyens comme les autres, ne font que reprendre cette exigence. » (2)

Cette opinion qui doit bousculer la justice est essentielle et déterminante car, comme pensait Le Philosophe Habermas, « La publicité » (l'action de rendre public) représente une source de légitimation propre à prévenir toute forme de dérive despotique. Ce principe de publicité confère un véritable pouvoir critique à cet espace public qui nous détermine et sur lequel nous influons, un «pouvoir d'assiégèment permanent» qui permet une revitalisation de l'État de droit par la délibération constante et publique des individus. Ainsi, cette publicité ou cette transparence qui fait la force de toutes nos luttes, nous la devons beaucoup à tous ceux qui investissent cet espace public par l'information, par la dénonciation, par la stigmatisation au service de l'intérêt général. Peut-être qu'un jour on arrivera à donner corps aux recommandations de La Convention des Nations Unies Contre la Corruption qui abonde dans le même sens de cette publicité nécessaire à la bonne gouvernance dont parle Habermas.(3)

Le peuple algérien n'aurait jamais pu imaginer qu'il était victime de toutes formes de spoliations si la presse n'avait pas rendu publique toutes ces aberrations politico-financières, mettant devant le fait accompli une justice indolente et fortement embarrassée. Sans les révélations de Mediapart, le peuple français n'aurait jamais pris conscience lui aussi de cette déchéance morale qui a depuis belle lurette transformé le régime politique en véritable cirque. Bien que Chakib Khellil et Jérôme Cahuzac ne soient que la pointe de l'iceberg, qu'un épiphénomène symptomatique d'un certain type de gouvernance obsolète et imparfait, ils serviront toutefois de test qui nous permettra de savoir si le temps de ces républiques véreuses est révolu.

 Voilà enfin venu le temps de ces justiciers un peu particuliers qui commencent à réaliser la force prodigieuse qu'ils détiennent si à l'instar de cette coopération judicaire propres aux magistrats, ils uniront leurs forces pour traquer partout sur le globe ces malotrus. Après les Anonymous et les Wikileaks, un autre type de Robin des Bois rentre en scène pour le plus grand bonheur de la veuve et de l'opprimé : Le Consortium International des Journalistes d'Investigation promet à ces peuples bernés et dépouillés une vérité et surtout une justice qu'ils n'auraient jamais pu concevoir dans leurs rêves les plus fous. Si ce nouvel épisode des « Offshoreleaks » s'avère fructueux, le monde entamera une nouvelle ère d'une justice largement démocratisée et mondialisée.

* Universitaire

Notes :

(1) Victor Hugo, « Les années funestes » XLVI

(2) Entretien accordé par le magistrat Jean de Maillard à la Revue l'Histoire N°251, Février 2001

Jean de Maillard était Président du Tribunal correctionnel de Blois (France), auteur de « Crimes et Lois » (Flammarion 1994) et « Un Monde sans loi, la criminalité financière en images » (Stock 1998 et 2000)

(3) La Convention des Nations Unies Contre la Corruption stipule :

Article 10 : (Information du public): «L'adoption de procédures ou de règlements permettant aux usagers d'obtenir, s'il y a lieu, des informations sur l'organisation, le fonctionnement et les processus décisionnels de l'administration publique ... La simplification, s'il y a lieu, des procédures administratives afin de faciliter l'accès des usagers aux autorités de décision compétentes ... La publication d'informations, y compris éventuellement de rapports périodiques sur les risques de corruption au sein de l'administration publique.»

Article 13 : (Participation de la société) : «respecter, promouvoir et protéger la liberté de rechercher, de Recevoir, de publier et de diffuser des informations concernant la corruption.»

Article 26 : (Responsabilité des personnes morales) alinéa 4 ?« Chaque État Partie veille, en particulier, à ce que les personnes morales tenues responsables conformément au présent article fassent l'objet de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives de nature pénale ou non pénale, y compris de Sanctions pécuniaires »