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Jours de campagne

par Abed Charef

Au dernier virage de la campagne électorale, l'effervescence chez les candidats ne parvient pas à enflammer la rue. Récit de campagne.

Elles sont candidates aux législatives du 10 mai prochain, mais elles n'ont pas de visage. Elles refusent d'afficher leurs photos. Sur l'affiche électorale du parti qui les a proposées aux législatives, une jolie fleur, toute rouge, a remplacé le portrait de deux des deux candidates. On y voit leurs noms et profession, beaucoup de gens les connaissent, mais on ne voit pas leur le visage.

Une troisième candidate, par contre, est bien là. Celle-ci a accepté d'exposer sa photo. Hidjab sobre et khimar strictement porté, regard timide, elle donne l'impression de se demander ce qu'elle fait sur l'affiche. Personne ne l'a vue au siège du parti, et elle n'a participé à aucune activité officielle du candidat. Elle a juste prêté son nom, pour permettre de présenter une liste conforme à la loi.

Dans cette affiche électorale d'un obscur parti récemment agréé, comme dans la campagne électorale, la présence des femmes reste très discrète. A l'intérieur du pays, dans les villes petites et moyennes, elle est totalement inexistante. A peine des ombres sur des affichettes conçues d'abord pour mettre en relief le «chef», le «tête de liste», celui autour duquel tout se joue.

Les portraits des autres colistiers sont eux aussi littéralement écrasés par celui du «leader» qui est, lui, bien mis en évidence. En fait, on ne voit que «sa tête». Les calendriers, les posters, les stylos distribués aux gamins en marge des rencontres de proximité, les autocollants, sont tous à son effigie. Quand un cortège de véhicules de ses partisans sillonne la ville, on ne voit que ses photos.

Sur cette liste, le «tête de liste» est en fait le seul à avoir une vraie ambition d'être élu député. Les choses ont été entendues dès le premier jour : il sera tête de liste, les autres l'accompagneront pour se conformer à la loi. Les autres candidats sont là par amitié, par nécessité, pour payer une dette, ou pour rendre service. L'un d'eux avoue qu'il est là pour apprendre : dans cinq ans, il sera peut-être lui-même candidat et tête de liste.

Pour l'heure, sûr de lui, le verbe haut, l'air décidé, le candidat, le vrai, toise les passants du haut d'une quarantaine arrogante et d'une chemise trop serrée. Il a une fortune personnelle appréciable, c'est lui qui finance la campagne, ce qui lui donne le droit de parler politique. La liste a été conçue autour de lui. Par lui. Pour lui.

Il étale ses certitudes et ses ambitions, et jure que, contrairement aux autres candidats, lui ne veut pas être député pour s'enrichir, mais pour servir la ville et le pays. L'indemnité de député, il n'en n'a pas besoin, dit-il. Il la versera aux nécessiteux, ou à des associations. Peut-être au parti qui lui a fait confiance.

Les autres colistiers opinent. Ils ont un rôle à jouer, et ils le jouent pleinement. Ils racontent le succès de leur candidat. Dans tel douar, ils ont pu faire campagne avec l'appui du président d'APC. Dans tel autre, ils ont été accueillis par l'imam, et par des dizaines de jeunes qui se sont montrés enthousiastes. Ils parlent aussi de campagne de proximité. Ils ont des sympathisants partout, qui mènent un travail de fourmi. Ils sont persuadés qu'ils vont créer la surprise.

Ils adorent aussi raconter les malheurs de leurs concurrents. Tel candidat, qui pensait acheter les voix en distribuant argent et promesse, s'est fait jeter. Et tel baron local, très connu, sûr de lui, a été contraint de rebrousser chemin, tête basse, sous les huées des habitants de la ville voisine parce qu'il est honni ou parce que l'un de ses colistiers était indésirable.

Dans la même rue du centre de cette ville de l'Algérois, cinq candidats ont élu domicile dans un rayon de cent mètres. Tous veulent tirer profit du côté populaire du lieu. L'endroit est très fréquenté, et permet d'offrir cet air de fête qui doit entourer le quartier général d'un candidat aux législatives. Le pari est plutôt réussi, car l'animation donne l'illusion d'une grande affluence auprès des candidats.

Il suffit de traverser la rue pour se retrouver chez un autre candidat, au profil différent, mais où on retrouve les mêmes mots, les mêmes images, les mêmes gestes. Les permanences des candidats offrent d'ailleurs le même décor de type souk el-fellah: Beaucoup de drapeaux, des affiches, des animateurs de campagne qui ont déjà répété cent fois le même discours, avec les mêmes mots, répétant le même discours: donner leur chance aux jeunes, combattre la hogra, introduire la morale, porter haut la parole de cette région marginalisée et oubliée du pouvoir central.

A côté de ce mimétisme qui saute aux yeux, trois faits retiennent l'attention. On est face à une nouvelle génération de prétendants, avec une présence en force de candidats entre la quarantaine et la cinquantaine, signe que le renouvellement de génération est en train de se faire. Mais ce renouvellement n'améliore pas le contenu politique de la campagne, bien au contraire. Le discours politique est faible, à la limite de l'indigence. Enfin, Daho Ould Kablia peut se rassurer : une majorité écrasante de candidats, dits indépendants ou au sein des partis, se bousculent pour se placer au sein de la clientèle de l'administration.