Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Presse : les défis de la liberté

par Belkacem AHCENE DJABALLAH

Je ne crois pas que travail de Reporters sans frontières (RSF) ne vaut rien. Au contraire. Il est utile et nécessaire même s'il est contestable au niveau de la méthodologie et des critères choisis (qui ne sont jamais fournis avec les résultats présentés. On sait seulement que la fermeture stalino-coréenne du champ audio-visuel national, la télévision tout particulièrement, «plombe» sérieusement le classement, tous les classements) pour déterminer le pays le plus ou le moins répressif en matière de liberté de la presse. Mais, tant que nous n'avons pas fait de même ou mieux, il faut s'en contenter et tenir compte des résultats fournis. Comme on le fait pour le Doing Business, comme on le fait pour les classements de la Coface et du Ducroire, comme on le fait pour les appréciations du Forum de Davos ou de la Banque mondiale et du FMI, comme on le fait pour les études du PNUD? Comme on le fait, pour les statistiques de l'ONS (et, ce ne sont pas les critiques même pas voilées et les doutes récents de son ministre de tutelle qui nous feront changer d'avis sur la crédibilité de l'institution et changer notre habitude de consommer ses chiffres, la critique venant très en retard sentant la «manipulation» intello- politicienne, juste au moment de le sortie d'un livre).

OU EN SOMMES?NOUS DONC ?

Pas brillant, le classement 2011-2012, même si le pays a avancé quelque peu, étant à la 133è place sur 178 pays classés en 2010-2011: l'Algérie est classée, sur 173 pays étudiés, à la? 122 è place, en compagnie du Tadjikistan et de la Malaisie, tout de même devant la Tunisie (134è), le Maroc (138è), l'Inde (131è), la Jordanie (128è), la Russie (142è) et la Palestine (153è)? et Israël (133è hors territoires). La belle affaire ! Les premières places sont occupées par la Finlande et la Norvège, suivies de l'Estonie et les Pays Bas. L'Autriche vient à la 5è place, suivie de l'Islande (6è) et du Luxembourg (6è) puis de la Suisse (87è) . Le Canada est, avec le Danemark, 10è (voir www.rsf.org).

Tenir compte des résultats ne veut pas dire s'en inquiéter outre-mesure, bien qu'il y ait de quoi, surtout lorsque cela se répète depuis plus de vingt années. Mais, en tenir compte, c'est connaître le regard des «autres», posé sur nous, afin que nous puissions, bien sûr, gommer les lacunes, ne plus commettre les mêmes dépassements, interdire les dérives liberticides, nous améliorer, mais aussi et surtout nous amener à faire notre propre classement en toute rigueur et transparence. D'ailleurs, on ne comprend pas pourquoi le Cnes, par exemple, ou les centres et laboratoires de recherche universitaire - pourtant désormais bien pourvus en moyens financiers et libres dans le choix des thèmes de recherche - ne se sont jamais penchés sur le sujet, laissant ainsi la place aux rapports toujours apologétiques des appareils officiels, aux rapports toujours critiques de politiciens partisans et d'associations orientées, aux rapports la plupart du temps incomplets des rares entreprises privées encore pas assez pourvus en moyens efficaces? et aux rapports étrangers.

La problématique de la liberté de la presse ne se trouve pas, en fait, au niveau des journalistes eux-mêmes. Ceux-ci exercent (ou veulent exercer) leur métier, si possible, de la manière la plus indépendante. Et, ce serait leur faire un mauvais procès que de penser le contraire. La problématique se situe au niveau de la société, appareils politiques et administratifs et citoyens confondus,? auxquels il faut adjoindre, depuis quelque temps, un appareil plus inquiétant encore, car sans foi ni loi (cf. la crise économique et financière mondiale actuelle), sinon celle du profit? bien souvent abusif : l'appareil issu de la nouvelle économie, de la western-economy, peuplé d'hommes d'affaires et d'affairistes, d'affairistes plus que d'hommes d'affaires, avec son argent et sa publicité, avec ses pressions multiformes et ses lobbies introduits partout, avec sa manière de traiter l'information comme une simple marchandise de large consommation. Cela me rappelle 1990, lorsqu'on avait mis les journaux et les imprimeries publics sous «tutelle» des fameux Fonds de participation dirigés par des «comptables». Beaucoup en sont morts (les journaux) et le reste n'en est pas sorti indemne avec des dizaines de journalistes, de cadres et de travailleurs envoyés au chômage parfois avec à peine «deux sous» comme retraite. Bien sûr, il va y avoir un Conseil supérieur de la Presse écrite. Bien sûr, il va y avoir un Conseil de l'Ethique et de la Déontologie. Mais, cela n'a rien à voir avec la mesure de l'exercice de la liberté de la presse qui relève de toute la société et non pas des ( seuls) hommes de la presse, «tutelle» et Parlement y compris.

La solution : créer ou laisser se créer ou aider à la création d'un Observatoire de la liberté de la presse qui comprendrait l'Université , les éditeurs, des journalistes expérimentés ou retraités, des personnalités politiques et de la Société civile reconnues pour leur intégrité citoyenne et leur combat permanent au service des libertés. Peut-être l'Université et ses laboratoires ?? Feu M'Hamed Yazid, le père fondateur de la Communication nationale moderne (on parle encore, dans les amphis, de ses campagnes de «lobbying» au service de toutes les bonnes et grandes causes), a voulu s'y essayer. La mort ne lui avait pas laissé le temps de mettre en œuvre son rêve de combattant, d'homme politique et de journaliste tout à la fois. Un véritable homme-orchestre. Et, quelle musique ! Comme on n'en fait plus. Aujourd'hui, à une semaine exactement des élections législatives (10 mai), il est regrettable de noter qu'aucun parti, au niveau de sa campagne électorale, du plus grand au tout nouveau, ne s'est engagé avec détermination dans le combat pour la promotion de la liberté d'expression et son pan essentiel, sinon le plus important, la liberté de la presse. Avec l'autre thème de campagne, tout aussi important, comme l'indépendance de la justice, il était absolument certain que les partis, les grands comme les tout nouveaux, auraient eu là des éléments sûrs, sinon de victoire, du moins de sympathie. Tant il est vrai qu'au-delà des problèmes matériels de la vie quotidienne (logement, travail, loisirs?) qui existent depuis l'indépendance, au-delà des problèmes de sécurité nationale interne et à nos frontières (problèmes qui existent ou que l'on nous ressort depuis l'indépendance à chaque échéance ou à chaque crise au sein du pouvoir pour détourner l'attention), au-delà des problèmes d'identité (qu'on sait ne pas pouvoir résoudre sans revoir fondamentalement le système éducatif, ce qui n'est pas pour demain ), au-delà des problèmes d'écriture de l'Histoire (toujours mal écrite en raison de l'absence ou du refus d' «aveux même les plus amers» de nos «pères et/ou grands et petits frères fondateurs»), les citoyens algériens , femmes ou hommes, jeunes ou anciens, modernes ou conservateurs, sont prêts à tout «passer» à leurs dirigeants (élus? avec très peu d'abstentionnisme, s'il vous plaît !)?à condition qu'il y ait de la V.é.r.i.t.é et de l'E.q.u.i.t.é, que seules une presse (libre) et une justice (indépendante) peuvent assurer. Hors cela, point de salut : sinon, pour la Vérité, dans les nouvelles, étranges et parfois bien folles «interprétations» religieuses, toutes importées? ou, pour l'Equité, dans l'émeute avec ses pneus brûlés et l'immolation par le feu. Des démarches, toutes deux, suicidaires.