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L'Algérie au miroir du football

par Brahim SENOUCI

Bill Shankly, manager mythique du grand Manchester des années 50, avait eu cette phrase célèbre : «Le football, ce n'est pas une question de vie ou de mort, c'est beaucoup plus important.»

 Cet aphorisme ne cesse de me hanter depuis le début de la folle équipée de l'équipe d'Algérie. Ce qu'elle joue sur les terrains d'Afrique va bien au delà du football. Elle construit quelque chose qui la dépasse. Ses succès ne forgent pas sa légende mais semblent préfigurer le devenir d'un peuple recru d'épreuves, tenaillé par la tentation de du renoncement, travaillé par une pulsion suicidaire. Ce qu'elle déploie sur les terrains n'est pas seulement affaire de tactique ou de maîtrise technique, c'est une sorte de brouillon de ce que pourrait réussir une Algérie qui adopterait les valeurs collectives dont fait montre cette bande de jeunots qui ont grandi au pays ou à l'étranger mais qui se retrouvent liés par un pacte mystérieux.

J'ai vu le match Algérie-Côte d'Ivoire dans un café parisien bondé, surchauffé. La clientèle est largement acquise à l'équipe d'Algérie. Des jeunes, des moins jeunes, des femmes, quelques clandestins peut-être, composent une atmosphère à la fois joyeuse et tendue.

 Il y a une attente, une ferveur qui dépassent le cadre d'un quart de finale d'une coupe d'Afrique. Ce qui est attendu, ce n'est pas une qualification pour le tour suivant, c'est le signe d'un renouveau. Le destin s'en mêle puisque l'Algérie, menée deux fois, revient au score et finit par arracher la victoire.

 C'est un scénario inédit pour un peuple résigné à une vie médiocre, incapable de trouver des ressources pour s'inventer un autre devenir que celui de la litanie des jours sombres.

 Depuis plusieurs années, la société algérienne est grosse de quelque chose qu'elle a du mal à enfanter. Elle est tiraillée entre le désir de prendre son destin en main et la tentation de la démission et du refuge dans un consensus mortifère dans lequel les Algériens partagent la haine qu'ils éprouvent, ou croient éprouver, pour eux-mêmes. Cette tentation est peut-être en recul. Par une de ces ruses dont l'Histoire a le secret, c'est sans doute ce que révèle, match après match, la saga de l'équipe algérienne. Le geste fou de Chaouchi, le coup du foulard dans sa propre surface de réparation, est comme un symbole de cette insolence bien venue qui est la marque de ceux qui croient en eux-mêmes.

 Quoi qu'il arrive désormais, une équipe de football a récité sur les terrains d'Afrique une partition qui pourrait être reprise en chœur par ses supporters. Elle leur signifie que les valeurs dont elle fait montre sont celles du peuple dont elle est issue et qu'il a le loisir de les redécouvrir et d'en faire usage.