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Morceaux choisis

par Abdou B.

«La plus grande dévotion ne saurait empêcher que les affaires soient les affaires.»De Gaulle

Les hommes politiques ont un vocabulaire qui leur est propre. Ils ne parlent ni comme le commun des mortels, ni comme des universitaires brillants, complexes et souvent compliqués. Le citoyen lambda, inscrit dans une région, un métier, une communauté et un pays, se fait comprendre dans son environnement, ses relations de café, par sa famille et ses voisins. L'habitué des chaires, des colloques et conférences de haut niveau peut être clair, plus ou moins pédagogique pour ses pairs, ses étudiants et les lecteurs des revues qu'il alimente par ses recherches, analyses et réflexions sur sa spécialité et son érudition. Il fait partie des élites qui nourrissent les débats nationaux, internationaux, les décideurs de son pays et parfois du monde, surtout s'il est prix Nobel, de la paix ou titulaire d'une reconnaissance qui fait sa célébrité et sa crédibilité. L'homme politique est à cheval sur plusieurs discours. Dans tous les pays, il doit être compris par ses électeurs, les citoyens et par tous ceux, lorsque c'est le cas, qui sont ses subalternes et collaborateurs. Il a un cap, des idées et des méthodes face aux problèmes qui se posent à son pays et au monde.

 Dans le monde entier, les dirigeants politiques peuvent commettre des bavures verbales, des lapsus plus ou moins révélateurs, des erreurs sur des chiffres, des noms, des lieux et des appellations. Ils rectifient ou pas, s'excusent ou pas, se disent confus ou pas d'avoir trompé les citoyens par des amalgames ou mélange des genres. En démocratie, ils sont repris par les médias, l'opposition, les experts, et risquent des sanctions dans leur parti, par des électeurs à qui ils doivent un poste, des salaires et des privilèges et la risée du monde extérieur. Pour tout cela et pour des considérations de morale politique, leur staff déploie tout son savoir, son savoir-faire pour leur éviter les délits de mensonge, de rétention de l'information, de travestissement de la réalité... Les dirigeants arabes n'ont pas ce genre de soucis, et leurs modes d'accès aux postes n'incitent ni à la prudence ni à la vérité et encore moins au strict respect de la morale et des citoyens auxquels ils ne doivent rien. A part les impôts qui les paient, la privatisation du Trésor public ou des revenus des ressources naturelles là où elles existent et contribuent essentiellement à faire tourner le système entre initiés, à huis clos.

 Dans le monde arabe, les discours, le vocabulaire, la grandiloquence, la rente d'un passé glorieux, la langue de bois, les froncements de sourcils et l'arrogance sont répertoriés dans un seul et unique logiciel. Ils servent de la même façon, avec les mêmes rituels, les mêmes messes médiatiques, la même ferveur patriotique et religieuse dans toutes les capitales arabes, à l'identique. Il n'y a que les dates des fêtes nationales, la force de frappe médiatique et les accents qui changent. Un ministre arabe dans le secteur qu'il dirige peut tenir son discours dans n'importe quelle capitale arabe sans dénoter ni surprendre. Il est cloné depuis des décennies sur celui de ses collègues de la Oumma qui sont logés à la même enseigne. Cette dernière interdit la fausse note, l'autocritique sachant que toutes les voix critiques ou à peine nuancées sont interdites de séjour dans les pays où tout va bien, de mieux en mieux.

 «Dans le secteur que je dirige, l'année 2009 a enregistré un taux de réalisation supérieur de 143% par rapport à 2008. Il est même envisagé pour 2010 des capacités de production qui augmenteront de plus 60% par rapport à 2009. Avec les accords de coopération signés la semaine dernière avec le pays frère et ami machin chose, nous allons diminuer les importations de blé de 60% et fabriquer en commun 300.000 mobylettes par an à partir de 2013. Certaines voix s'élèvent pour dire que les salaires sont bas et qu'il y a dégradation du pouvoir d'achat de nos citoyens. Nous laissons dire et nous travaillons jour et nuit, même les jours fériés, pour le bien-être de notre valeureux peuple capable de relever tous les défis». Qui a dit ça ? Un tirage au sort est bientôt organisé pour savoir quel ministre arabe est l'auteur de la déclaration qui n'a pas été suivie d'un point de vue de l'opposition, sans doute manipulée par l'étranger. En Algérie, nombreux sont les responsables qui sont imbattables dans la langue de bois, la prudence extrême, les déclarations pompeuses et approximatives et le silence radio devant des crises, des détournements massifs et une corruption systématique. Le chef du MSP s'est aventuré un peu hâtivement, il n'y a pas longtemps, sur le terrain marécageux de la corruption. Il a, disait-il, des dossiers sérieux et ficelés avec une corde inoxydable. Les citoyens et la justice attendent toujours que leur soient communiqués les dossiers et la liste des grands prédateurs de l'économie nationale. En cela, il ressemble à tous les responsables officiels dans le monde arabe qui font la même cuisine locale, bricolée, indigeste et illisible.

 «Notre parti, soucieux de l'intérêt général, toujours extrêmement vigilant face à la main étrangère, aux manipulations nocives, a de tout temps dénoncé la corruption, les atteintes aux biens du peuple, les voleurs qui s'infiltrent dans les institutions de l'Etat. Nous savons que notre justice pourchasse inlassablement cette faune insatiable, jour et nuit, etc., etc.» Le sketch qui ne veut rien dire, généraliste et généreux en qualificatifs est joué dans toutes les capitales arabes, sans répit. Ces dernières sont régulièrement épinglées dans des classements où ils sont bons derniers de la classe. Le statut de la femme, les libertés de réunion et de culte, le pluralisme médiatique, l'égalité devant les soins et des chances sont les marqueurs infamants des gouvernances arabes. «Mais on vous dit que tout va bien alors que vous écoutez les manipulateurs et les ennemis du pays». Qui a dit ça ? N'importe quel responsable arabe fera l'affaire puisqu'ils sont tous d'accord là-dessus.

 Pendant ce temps, l'Egypte et l'Arabie Saoudite proposent un «comité de surveillance» pour les TV sur satellite. Les ministres arabes de l'Information (oui de l'information) planchent sur cette idée révolutionnaire à même de battre toutes les TV non arabes, verrouillées, langue de bois et non professionnelles. L'Algérie va-t-elle suivre les deux pays chefs autoproclamés de la régression et de l'archaïsme à l'ère des voyages touristiques dans l'espace ?