Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Irak oublié

par Paris : Akram Belkaid

Mardi, 26 janvier. Dans la presse matinale, deux nouvelles concernant le même pays sont imprimées dans deux colonnes différentes comme si elles n'avaient rien à voir ; comme si elles traitaient de deux sujets totalement éloignés. La première fait froid dans le dos. Son titre : «Ali le Chimique pendu hier à Bagdad». On y apprend que Ali Hassan al-Majid dit Ali le Chimique, «cousin et homme de main de Saddam Hussein a été pendu hier (lundi) à Bagdad.» S'en suit une courte biographie qui rappelle que l'homme avait été condamné à mort pour «le massacre de milliers de Kurdes en 1988» et que «cette exécution, plus de trois ans après celle de l'ancien dictateur en décembre 2006, a provoqué la joie dans la région autonome du Kurdistan où il était surnommé le Boucher.»

 On pourrait zapper, passer rapidement à autre sujet puisqu'il y a tant de choses à lire. Mais on n'y arrive pas. On peine à détacher les yeux de cette information qui semble provenir d'un autre âge ou, plutôt, qui semble concerner un temps lointain qui n'a plus sa place dans les news. Cet Irak d'Ali le Chimique, cet Irak de Saddam Hussein, avait fini, du moins le croyait-on, par disparaître des chroniques. Oubliée la guerre de 2003, l'invasion américaine, la traque de Saddam, les premières condamnations à mort, les premières exécutions. Aujourd'hui, l'Irak est dans un autre périmètre informationnel même si, à y regarder de près, ce n'est que la continuité de ce qui s'est passé auparavant.

 Prenons la deuxième nouvelle. Titre : «Irak : les insurgés sévissent à nouveau dans la capitale.» Des attentats ont donc eu lieu à Bagdad le même jour de l'exécution d'Ali le Chimique. Que dit la brève ? Elle explique que «les insurgés irakiens ont de nouveau réussi, après quelques semaines d'accalmie, à frapper hier (lundi) le cœur de Bagdad, en dépit d'importantes mesures de sécurité, et tué 36 personnes dans des attentats suicide contre plusieurs hôtels.» Et de conclure sur le fait que «ces attaques coordonnées interviennent à moins de deux mois des élections législatives prévues en mars.»

 Là aussi, ces informations font froid dans le dos. On pensait, naïvement, que la situation s'améliorait. On avait moins de nouvelles de ce pays ; on avait l'esprit occupé par d'autres sujets tels la crise économique, la situation en Afghanistan, la tension entre l'Algérie et l'Egypte ou bien encore le drame permanent de Gaza. Et voilà, que, brutalement, l'Irak et ses violences refont leur apparition. Et là encore on est envahi par des sensations contradictoires tandis que nombre de questions viennent à l'esprit. La première est très simple, peut-être pas professionnelle pour un journaliste mais posons-là tout de même. Qui sont ces insurgés ? «Les attentats, explique une autre brève dans un autre quotidien, «rappellent ceux ayant visé des symboles de l'Etat irakien en août, octobre et décembre et qui avaient fait plus de 400 morts». Et de préciser que «les insurgés, affaiblis, ont changé de stratégie depuis six mois : abandonnant la guerre confessionnelle, ils mènent désormais des actions spectaculaires à Bagdad.» D'accord, mais qui sont-ils ?

 Et puis, des attentats en août, octobre, décembre ? S'en souvient-on ? Oui, peut-être. En fait, non. On n'a rien retenu de précis si ce n'est que de, temps à autre, des explosions secouent Bagdad, que ces tueries font quelques images dans les journaux télévisés occidentaux et que plus personne ou presque ne se risque à expliquer ce qui se passe vraiment en Irak. Qui sont ces insurgés ? Que veulent-ils ? Qui est leur chef ? Cherchons la réponse dans les archives et les papiers déjà publiés.

 Déception. On n'y apprend rien ou pas grand-chose. Les uns disent que les insurgés sont des anciens partisans de Saddam. D'autres qu'il s'agit d'Al Qaeda qui serait toujours présente sur le champ de bataille irakien. En fait, c'est évident, l'Irak est devenu une terre inconnue, une zone grise d'où l'on reçoit des informations brutes que l'on est incapable d'expliquer sérieusement et encore moins de mettre en perspective.

 Au passage, on apprend, selon la BBC, qu'une société britannique a «vendu en en Irak des milliers de ?détecteurs de bombes' dont le seul et unique dispositif ?électronique' était une étiquette anti-vol du type de celles utilisées dans le commerce de détail.» En clair, une arnaque gigantesque qui a certainement coûté la vie à des centaines de personnes. Et l'on pense alors à ces barrages algérois en espérant que les appareils brandis par nos policiers n'ont pas la même origine?

 Mais revenons à la liste des horreurs et autres aberrations en provenance d'Irak. Des bombes, des attentats, des liquidations, des exécutions par pendaison, des contrats pétroliers enfin attribués (tiens, tiens?) et, de nouveau, des violences par dizaines. Et là encore, on a du mal à comprendre ce qui se passe vraiment si ce n'est que la violence règne et que notre oreille s'est habituée à enregistrer cette litanie. Et l'on se dit alors : tout ça pour ça ? Bien sûr, il y a celles et ceux qui affirment que le pays se reconstruit et que la démocratie et l'Etat de droit sont au bout du tunnel. On aimerait y croire mais, à dire vrai, cela paraît plutôt improbable. L'Irak, pour longtemps encore, risque d'être un puit à violences que les médias continueront à regarder de loin en loin.