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Ghaza, révélateur de la rue arabe

par Abed Charef

Derrière le drame de Ghaza, se profile l’avenir du monde arabe. Un avenir inquiétant.

Comme souvent, la Palestine a joué son rôle de révélateur de ce qu’est devenu le monde arabe. A chaque montée de fièvre, à chaque guerre autour de la terre de Palestine, celle-ci devient une sorte de miroir impitoyable, qui nous renvoie une image aussi terrible que vraie de ce que nous sommes ; une image qu’on n’a pas envie de voir, car elle nous montre un monde arabe ayant perdu tout repère, toute capacité d’influer sur son propre destin.

Le drame de Ghaza n’a pas échappé à la règle. Il a révélé, ou confirmé, deux principales facettes du monde arabe en ce début de siècle : son inexistence politique, et les perspectives très pessimistes qui entourent son avenir.

Cette fois-ci, le monde arabe n’a pas fait illusion. Il n’a même pas pu tenir un sommet formel, après trois semaines de bombardements ininterrompus sur Ghaza. Il n’a pas produit une seule résolution digne de ce nom, aucun plan d’action susceptible de peser sur le déroulement des événements. Le monde arabe semble ainsi avoir admis qu’il ne peut rien faire. Dans le meilleur des cas, il va collecter des médicaments et de la nourriture qui, de toute façon, n’arriveront pas à Ghaza avant la fin de l’agression. Certains pays arabes, comme l’Algérie, ont daigné laisser leurs habitants manifester, dans une sorte de défoulement collectif destiné à expurger un trop plein de colère.

Côté officiel, la seule agitation observée est celle destinée à pousser le Hamas à la reddition, ou à des concessions telles qu’il sera amené à accepter l’essentiel des conditions israéliennes. L’Egypte et l’autorité palestinienne, les deux acteurs les plus visibles, ont exercé plus de pressions sur le Hamas que sur Israël. Consacrant une dépendance quasi absolue envers les Etats-Unis et Israël, ils ne prennent même plus la peine de cacher leur allégeance. Mais au moins, ne font-ils plus semblant.

Cette situation d’impuissance est le résultat d’un long processus de désintégration entamé, pour certains, depuis plusieurs décennies. C’est un engrenage qui a progressivement dépossédé les systèmes en place de l’essentiel de leur légitimité. Non seulement ils n’ont pas de projet, ni de perspective d’avenir, mais ils ont même perdu ce qui aurait pu justifier leur existence, comme garantir la sécurité et la stabilité. Désormais, ce sont ces régimes eux-mêmes qui deviennent une menace pour la stabilité des pays arabes.

L’usure, l’échec politique et économique, la répression, la complaisance des pays occidentaux, qui se contentent de tirer profit de régimes faibles ou chancelants : tout ceci a contribué à créer une situation où les pays arabes subissent leur sort, sans pouvoir décider de leur destin. Et la situation risque de s’aggraver dans les années à venir. Le drame de Ghaza a montré dans quelle direction se fera l’évolution. Les régimes en place se présentent, pour la plupart, comme un barrage face à la montée des courants intégristes, mais le temps a révélé que c’est précisément l’existence et le maintien de ces régimes qui nourrit l’intégrisme.

Face à cette montée en puissance des intégrismes, la société arabe n’a présenté aucune autre alternative. Pour l’heure, elle n’en a pas. Les mouvements nationalistes fédérateurs, type FLN et Fatah, ont été laminés. L’élite moderne a été réduite au silence, contrainte à l’exil, ou corrompue et intégrée aux réseaux de prédation. Même les élites militaires ont changé de profil. On n’y trouve presque plus d’hommes ayant participé à la résistance ou ayant fait les maquis, et qui seraient encore porteurs de pensée subversive. Au contraire, les officiers formés dans les grandes écoles, partisans de l’ordre et de la discipline, type Khaled Nezzar, Hosni Moubarak et Mohamed Dahlane, constituent l’écrasante majorité. De par leur formation, leur culture et leur itinéraire, ceux-là ont naturellement plus d’affinités avec les généraux américains et les hommes de la CIA qu’avec les militants du Hamas.

Signe qui ne trompe pas : El-Qaradhaoui a réussi à mobiliser la rue plus que n’importe quel leader politique. La mosquée constitue désormais le principal lieu de contestation des pouvoirs en place. C’est le plus visible. A ce rythme, elle sera bientôt le seul centre de contestation. Les prêcheurs ont supplanté les militants et les agitateurs. Comme en Iran, dans les années 1970. Et si aujourd’hui, le Hamas gagne, c’est d’abord au détriment du Fatah. Comme le FIS avait émergé pour bousculer le FLN.

Le reflux des courants nationalistes modernistes est une réalité visible partout dans le monde arabe. Et comme la nature a horreur du vide, la rue se remplit de nouveaux slogans. Radicaux, nihilistes, totalitaires, peu importe comment on les appellera : ils constituent, pour l’heure, la seule alternative visible.

Nombre de dirigeants pensent que c’est la situation idéale pour garantir leur maintien au pouvoir. C’est ce que pensait le Shah d’Iran. Etats-Unis et Israël pensaient que c’est le meilleur moyen pour maintenir le monde arabe sous pression, et l’empêcher de se constituer en force politique autonome. Jusqu’au 11 septembre.