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Carpe diem

par Kamal Guerroua

Parfois, je me dis que le personnage Meursault dans l'Etranger d'Albert Camus a raison. Enfin, il a résumé tout ce que beaucoup n'osent pas faire : s'en foutre de tout ! Tout jeter derrière soi. N'avoir ni esprit ni raison. Un peu de folie, ça aide un peu. L'indifférence un peu plus. Le silence, beaucoup davantage. Pourquoi se casser la tête pardi, à arrêter le moulin à vent ? Pourquoi ne pas vivre l'instant présent sans se soucier du lendemain ? Pourquoi ne pas regarder la vie comme un florilège de couleurs que nos yeux peuvent mélanger et varier à bon escient, s'ils savent en tirer les belles nuances ? Le destin de Don Quichotte me paraît si banal qu'il me donne de la nausée en y pensant. S'asseoir sur un banc public et ne voir dans la foule qui passe devant soi qu'une transparence inspiratrice n'est-il pas un don du ciel ? C'est un privilège pour tous ceux qui connaissent la valeur des choses. Lâcher prise, disent les psychologues, sagesse, leur rétorquent les éprouvés du quotidien, recul méditatif, répètent les philosophes. Recul pour voyager à l'intérieur de soi, creuser le fond de ses pensées, y aller jusqu'au rez-de-chaussée et même plus de ses émotions, pour enfin s'écouter. Savoir s'écouter est un art. Un ancien délinquant d'une banlieue française m'a dit un jour : «Je ne me suis écouté qu'une fois et c'était devant un juge, au tribunal, quand mon avocat a déroulé mon CV à problèmes devant l'assistance ! Et c'était trop tard..., trop tard !» Dans nos sociétés d'aujourd'hui, on ne s'écoute pas ou presque, mais on écoute plutôt ce que disent les autres. Et écouter ce que disent les autres, sans que l'on ne s'écoute soi-même cause des ennuis, et parfois des tragédies. Tragédies intimes d'abord, puis tragédies sociales ensuite. C'est l'effet de foule : on court derrière ceux qui courent, sans que l'on ne sache pourquoi on court ni dans quelle direction on court ! Cela me rappelle les métros parisiens : tout le monde court, allez, on va tous courir, en avant ! Or, tout un chacun a oublié que le plus malin être vivant sur la terre, c'est la tortue. Et la tortue ne court pas. Et pourtant, elle survit à ses besoins, résiste au changement de climat et vit le plus longtemps ! J'aime le mot «insensibilité sensible», le terme semble à la fois confus et contradictoire : un oxymore presque. Mais un oxymore d'une parfaite cohérence car seule l'insensibilité lucide étant à même de raisonner les contradictions de la vie. Devant la difficulté, rares sont ceux qui y résistent, d'autant que la résistance nécessite calme, persévérance et une dose d'insensibilité...