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Sisyphe et nous

par El-Houari Dilmi

Une actualité déprimante: sujet dans toutes les bouches, la pénurie et l'augmentation généralisée des produits de large consommation. Une actualité des plus malheureuses qui élude tout ce qui se fait de mieux dans le pays. Une effroyable dégradation du pouvoir d'achat des Algériens, dont il est aisé de mesurer l'ampleur avec ces appels à l'aide des associations caritatives qui pullulent sur les réseaux sociaux. Une commission parlementaire a même été instituée pour investiguer sur les raisons à l'origine de la pénurie des produits alimentaires. Mais le destin du peuple est-il dans le manque d'un bidon d'huile ou d'un sachet de lait, quand l'heure est à la recherche de nouveaux horizons aux contours encore très flous ?

Il n'y a pas lieu d'aller farfouiller dans les marmites ménagères pour se rendre compte d'un malaise social trop amer qui n'a pas que les prosaïques préoccupations du ventre pour seule raison. Comme corrodée par un mal incurable, la société algérienne, très particulière à bien des égards, ressemble à ce mythe de Sisyphe qui voudrait que le pays se retrouve obligé de tout reprendre à zéro quand il croyait avoir fait une bonne partie du long chemin vers le salut. Soixante ans après le retour du soleil de la liberté, notre indépendance est toujours mal assumée. Celui qui n'a pas eu la chance d'aller à l'école comme celui qui sort de l'université bardé de diplômes vivent aujourd'hui la même angoisse et partagent le même espoir de lendemains plus «chantants».

A l'évidence, trop de virages ont été très mal négociés dans l'histoire tourmentée du pays, alors cessons de nous faire croire que le bonheur du peuple est dans des étals garnis quand le malaise est d'abord d'ordre psychologique, voire existentiel. Pour ceux en charge de notre destin national, il est absolument nécessaire de conjurer le crucifiement de générations entières, y compris celles qui ne sont pas encore nées. Le génie politique est peut-être à chercher du côté du peuple plutôt que chez ceux qui veulent lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Encore et toujours.