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Du pain en temps de paix...

par El-Houari Dilmi

Hier encore, le pays a failli se noyer dans un verre d'eau. Même des cadavres ont été éjectés de leurs tombes par la furie des eaux. Ceci pour ceux qui sont déjà morts, pour les «sursitaires», c'est-à-dire les (sur)vivants, le cauchemar continue... Oui, personne n'est là pour protéger nos poches «essorées» contre les chipeurs en tous genres. C'est que le pays est toujours en état d'urgence stomacal : le fier gallinacé monte sur ses ergots pour atteindre les 520 DA le kilo, narguant le fruit du pauvre, la pomme de terre qui pointait, hier dimanche, à 110 DA le kilo. Parce qu'un ventre affamé n'a point d'oreilles et que tout le monde ne mange pas forcément par la bouche, le peuple se retrouve (dé)coupé en morceaux et en rondelles dans la complexe généalogie de ce que d'aucuns appellent l'art peu raffiné de la «mangeaison». Du bedonnant au freluquet, de l'émacié à l'anguleux, du ventriloque jusqu'aux estomacs (dé)vidés, de l'appétit léonin à la chair trop molle, des «rôteurs» de formation jusqu'aux mal-empiffrées par vocation, il y a ceux qui bouffent à vingt doigts mélangés, même quand ils sont «occlusés». En face d'eux, il y a la gent de ceux qui se sustentent au besoin, ceux qui becquettent par pur instinct de conservation, ceux qui ont appris à simplement ingérer ce qui est comestible, d'autres qui se suffisent d'ingurgiter tout ce qui vient à portée... de bouche. Au moment où d'autres, dans un rassasiement digne des fauves encagés, boulottent selon la grandeur des yeux, gueuletonnent en cachant les restes dans le revers du portefeuille, ou se goinfrent quand il faut tout juste prendre le goûter. Il y a même, paraît-il, des bipèdes qui pratiquent régulièrement le sport du becquetage, du broutage et même du béquillage. Et comme le pain n'est pas le premier classé dans l'infinie chaîne alimentaire, il y a aussi ceux qui ont le pain, certes dur, mais la dent aiguë. Juste en face de ces « khobzistes » pas comme les autres, il y a ceux auxquels le pain faut à tel point qu'ils vendent jusqu'à leur dernier croûton rassis, d'autres ont les mains si noires qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils mangent du pain trop blanc, avec en tête du peloton ceux qui ont toujours mangé leur pain sous le manteau. Même s'ils s'excusent, le sourire en coin, de nous avoir fait prendre leurs pieds nickelés pour des mains... baladeuses. «Du pain en temps de paix est meilleur que du gâteau en temps de guerre», dit un célèbre adage !