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Ennemi public n°1

par Abdelkrim Zerzouri

L'appel du Suisse Jean Ziegler, altermondialiste et membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, qui plaidait depuis plus d'une décennie pour que les spéculateurs soient jugés pour crime contre l'humanité, a trouvé écho en Algérie. Le président de la République a demandé au gouvernement de réviser le code pénal pour alourdir les sanctions à l'égard des spéculateurs qui pourraient écoper d'une peine à perpétuité. Considérés comme ennemi public numéro 1, une menace contre la stabilité sociale, des « parasites » à l'origine des hausses récurrentes des prix des produits de consommation et l'affaiblissement du pouvoir d'achat des Algériens et menacent la stabilité sociale du pays, les autorités ont pris la ferme décision de sévir contre les spéculateurs. Le président de la République avait estimé que la spéculation « n'était pas acceptable ni du point de vue de la religion, ni de la loi, ni de la morale ».

Exactement ce que défendait Jean Ziegler quand il a soutenu en 2011, suite à une envolée des prix de trois aliments de base, maïs, blé et riz, qui couvrent 75% de la consommation mondiale, que les spéculateurs boursiers qui ont ruiné les économies occidentales par appât du gain et avidité folle devraient être traduits devant un tribunal de Nuremberg pour crime contre l'humanité. Bien évidemment, ce dernier ne réussira jamais à imposer son point de vue, la spéculation étant une activité jugée mauvaise, certes, mais admise vu le risque que doit courir le spéculateur quand il mise son argent pour tirer profit par anticipation de l'évolution à court, moyen ou long terme du niveau général des prix ou d'un prix particulier en vue d'en retirer une plus-value ou un bénéfice, ou tout perdre quand les choses n'évoluent pas selon ses calculs. Qu'en sera-t-il en Algérie où le pas a été franchi avec la criminalisation de l'activité spéculatrice ?

Pour le moment, nous ne sommes qu'au stade de l'approbation du projet de loi sur la lutte contre la spéculation, qui prévoit des peines très sévères à l'encontre des spéculateurs, pouvant aller jusqu'à la perpétuité, et il serait hâtif de déduire ce que sera cette activité dans l'avenir. Il est sûr que cette loi dissuaderait de nombreuses personnes d'investir dans le créneau, mais il ne faut compter sur une loi, seulement, pour venir à bout de la spéculation. Les lois sont faites pour réprimer les criminels, sans jamais arriver à briser ou éliminer radicalement le crime. De toute façon, le bilan est à tirer après l'application de la loi en question. Déjà, pour éviter tout amalgame, le Président Tebboune a enjoint au ministre du Commerce de «sensibiliser les commerçants et la société civile sur la loi sur la lutte contre la spéculation et de la présenter aux citoyens via les médias, pour faire la distinction entre le stockage organisé à des fins commerciales et le stockage visant à créer la pénurie ou engendrer une hausse des prix».

Pour plus d'efficacité, donc, il serait indispensable, sur un plan plus économique, de mieux comprendre les causes profondes des pénuries, qui peuvent effectivement être provoquées par des spéculateurs, ou encore par des facteurs naturels, ainsi que d'autres raisons propres aux marchés extérieurs, qui échappent au contrôle local, et agir pour en atténuer les conséquences. Pour couper l'herbe sous les pieds des spéculateurs, l'Etat ne peut-il pas fixer un seuil de prix pour les produits de large consommation, au moins momentanément, en attendant le passage de la crise ?