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Coupures d'Internet durant le Bac: Une épreuve dans l'épreuve

par Mohamed Mehdi

Voilà plusieurs années que ça dure, loin de toute logique encore moins d'explications officielles sur le «mode opératoire» retenu. Les coupures de l'Internet, pendant l'examen du Baccalauréat, montrent le niveau des incompétences et du manque de responsabilité aussi bien au ministère de l'Education nationale qu'au sein des services techniques chargés de mettre en œuvre ces coupures, globale et/ou celle des réseaux sociaux. Qui ordonne quoi ? Qui fait quoi ? Il n'est même pas utile de chercher l'information auprès des officiels. Ils n'en savant probablement rien.

C'est devenu une « norme ». On règle un « problème » (la triche au Bac) en procédant à une suspension généralisée de l'Internet. En pleine crise de coronavirus, qui a vu plusieurs secteurs travailler en mode distanciel, notamment l'Enseignement supérieur, cette pratique devient pesante. De la coupure des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram...) lors des deux premiers jours du baccalauréat 2020-2021, laissant au moins l'accès aux emails et autres sites d'information, on est passé à une coupure générale au troisième jour de l'examen. Jusqu'à 10h40 dans la journée d'hier, soit deux heures après le début des épreuves du Bac, même des sites en « .dz » (hébergés en Algérie), comme ceux de l'agence d'information officielle (APS), celui d'Algérie Télécom (opérateur qui détient le monopole de la bande passante internationale), ou même ceux de la Seaal (pour s'informer sur les coupures d'eau) et d'Algérie Poste, étaient totalement inaccessibles. A quoi répond cette démarche ? Les seules explications possibles, et elles vont de paire, c'est l'incompétence et l'absence de responsabilité. Deux secteurs en cause : l'Education nationale et Algérie Télécom. Le premier est l'ordonnateur de cette coupure, alors que le second en est l'exécutant. L'examen du Bac relève du ministère de l'Education nationale, nous sommes en droit de supposer que c'est ce département qui ordonne ces coupures. D'abord pourquoi ces coupures ? Pour éviter que des sujets d'examens ne soient partagés sur les réseaux sociaux. Mis à part la première fois (Bac 2015-2016) où cela s'est produit (un partage de sujets... la veille de l'examen, sur Facebook), ce qui expliquait la décision prise dans la panique, rien ne justifie que cette « tradition » perdure depuis.

Des coupures à l'aveuglette ?

Si les organisateurs du Bac affirment avoir pris toutes les mesures pour interdire les smartphones (moyen de communication de la fraude) et qu'aucun candidat ne peut sortir avant la moitié du temps imparti à chaque épreuve, il devient risible de penser, un seul instant, que le sujet qui vient de quitter la salle d'examen (au bout de deux heures minimum) pourrait être « solutionné » en un temps record, les réponses partagées sur les réseaux sociaux, pour qu'enfin cela puisse «profiter» à un tricheur. Il n'est même pas utile de s'interroger sur les moyens dont disposent ces «mauvais» candidats pour accéder à ces réponses, tant la faisabilité ne peut relever que des films d'espionnage. Il y a nécessairement incompétence ou laisser-aller au ministère de l'Education qui ne fixe pas officiellement ni la durée de la coupure Internet (à supposer qu'il s'agisse de « la » solution pour empêcher la fraude), ni sa nature (globale ou des réseaux sociaux). L'autre acteur (réel ou supposé) de ces coupures, c'est Algérie Télécom, unique gestionnaire de la bande passante internationale, qui doit assumer lui aussi sa part de responsabilité. Qu'est-ce qui explique que la coupure d'Internet est parfois appliquée aux réseaux sociaux (pendant les deux premiers jours du Bac), alors qu'au troisième jour elle a été généralisée à tous les services (y compris la simple recherche sur Google ou l'accès à des sites hébergés en Algérie) ? L'opérateur historique reçoit-il des directives différentes chaque jour ? Ou bien les applique-t-il mal ? Les techniciens sont-ils en mesure de bloquer chaque service à part (Facebook, Twitter, Google, téléchargement P2P, sites marchands nationaux...) ? Quelle est la durée qui a été fixée à pour la coupure Internet ? Des questions et d'autres qui ne trouveront aucune réponse officielle.

Désigner un «Monsieur Coupures»

A 11h, pile-poil, c'est le retour d'Internet, deux heures et demi après le début des épreuves. Tous les sites sont accessibles, en attendant la seconde coupure au début de l'après-midi. Il reste deux jours avant la fin des épreuves, et sans doute quelques années encore avant que, quelque part, un responsable au sein de l'Etat, prenne sérieusement les choses en main pour soit organiser officiellement ces coupures, soit arrêter définitivement cette mascarade. S'il fallait se résigner à ce que cette pratique (probablement unique au monde) soit reconduite les prochaines années, alors autant désigner, pour un minimum de respect aux usagers (entreprises et abonnés), un « Monsieur Coupures», et qu'on en finisse. Le charger d'appliquer des mesures précises (et officiellement annoncées) et de veiller à ce qu'elles soient scrupuleusement respectées, afin qu'il en assume la responsabilité en cas de non respect du «programme» établi. Car s'il est difficile d'estimer le manque à gagner pour les opérateurs télécoms mobiles et autres grands facturiers comme Seaal, Sonelgaz, Algérie Télécom, et autres compagnies d'assurance (plus de 700 millions DA par mois, selon les chiffres du GIE Monétique sur le paiement Internet en Algérie), il est certain que la coupure de l'Internet pendant cinq jours, aux heures de travail, bloque plusieurs activités économiques et pédagogiques (notamment les cours et les présentations de projets en ligne). Plusieurs Webinaires (séminaires via Internet), prévus durant la semaine du Bac, ont été reportés. «En raison des perturbations de connexion Internet potentielles pendant les examens du baccalauréat de cette semaine, veuillez trouver la date et l'heure mises à jour du webinaire», annonce l'organisateur d'une rencontre virtuelle destinée aux médias algériens pour présenter les «billets en polymère ».