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Eviter l'effet boule de neige

par Abdelkrim Zerzouri

Qu'est ce qui est plus dangereux pour la stabilité sociale, le chômage ou l'inflation et la chute du pouvoir d'achat, inévitablement accompagnés par des revendications salariales ? Un dilemme pour le gouvernement qui se trouve pressé d'augmenter les salaires alors que le taux de chômage monte en flèche. Face aux revendications salariales des syndicats, qui s'inquiètent de la «dégradation sans précédent du pouvoir d'achat des travailleurs» dans un contexte marqué par des glissements successifs de la valeur du dinar et ses conséquences inflationnistes, le choix est mince pour le gouvernement, qui doit faire face, lui, à d'autres préoccupations, notamment la menace d'un taux de chômage grandissant dans un environnement économique morose, où les pertes d'emplois se chiffrent par dizaines de milliers. Pourrait-il répondre favorablement aux exigences des syndicats qui sont dans leur rôle et qui n'y vont pas par quatre chemins pour demander des augmentations de salaires afin de garantir la dignité des fonctionnaires et des masses laborieuses ?

Selon les économistes, le véritable danger pour tout gouvernement n'est pas la chute du pouvoir d'achat, due à l'inflation, comme le soutiennent les syndicats, mais bien le chômage. Garantir le plein emploi reste le souci primordial des pouvoirs publics. La suite viendra. Car si on arrive à stabiliser le chômage à un taux faible, on pourrait ensuite discuter plus à l'aise d'une révision à la hausse des salaires. Pour le moment, donc, on semble bien installé dans un dialogue de sourds, qui conduirait fatalement à des heurts. Les autorités ont explicitement admis qu'il existe une injustice salariale, notamment par le biais d'une exonération totale de l'impôt sur le revenu global (IRG) des revenus qui n'excèdent pas 30.000 dinars, et qui a touché près de 6 millions de travailleurs. C'est dire la paupérisation qui touche de plein fouet la classe moyenne. En sus d'autres mécanismes mis en œuvre à travers ce qu'on appelle les transferts sociaux, auxquels sont consacrés des budgets énormes (la valeur des transferts sociaux directs dans le projet de loi de finances pour l'exercice 2021 est de 1927,5 milliards de dinars et celle des transferts indirects est de près de 2000 milliards de dinars), consacrés aux subventions des produits de large consommation et à garantir à tous les Algériens, quels que soient leurs revenus, de bénéficier d'une éducation et de soins gratuits, d'aides d'accès au logement, mais également des subventions aux produits et services de base. C'est beaucoup pour les caisses de l'Etat, qui s'amenuisent à l'ombre d'une double crise sanitaire et économique qui perdure, mais peu pour des travailleurs avec des salaires qui ne garantissent plus le minimum vital.

L'enjeu pour le gouvernement, s'il se trouverait forcé de répondre à la demande pressante de la hausse des salaires, c'est d'essayer d'augmenter la productivité globale de l'économie pour maintenir la production à des niveaux de profit acceptables, et éviter l'effet boule de neige des augmentations des prix qui s'ensuivraient d'une hausse des salaires sans contrepartie productive. Le débat serait crucial autour de ces questions dans les prochaines semaines. Une période sensible qui précède le rendez-vous des législatives anticipées du 12 juin, et qui requiert une certaine quiétude et sérénité pour assurer son succès.