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LE FALLOIR GALVAUDÉ

par Abdou BENABBOU

Le verbe falloir est sans doute le plus usité par les Algériens. En tous lieux et en tous temps, l'intimation la plus creuse du vocabulaire est galvaudée pour n'importe laquelle des raisons sans que l'on se rende compte que sa réalité est une invitation à la démission. Son étalage à tout bout de champ pousse au désarmement et ce sont toujours les faux savants bavards qui s'ingénient à vouloir attacher ceux qui les écoutent à un enseignement virtuel pour les noyer dans une drôle de diversion. On instruit de ce qu'il faut faire en torturant le verbe falloir sans égard pour le comment faire et la légèreté de son contenu est d'autant plus inconséquente qu'elle se formule en croisant les bras.

Que de manipulateurs de théories le pays recèle mais la plupart restent abrités sous le toit du vocabulaire, les uns convaincus d'être détenteurs de la science infuse, les autres ligotés par un système qui ne leur accorde que les fortes humeurs virtuelles des mots.

Face à la crise démentielle qui secoue l'Algérie, tout un chacun sait ce qu'il faut faire et le rabâchage de l'intimation s'arrête à la gratuité des dictionnaires et ne soumet malheureusement pas la vague déclaration à aucun engagement.

Entreprendre n'est pas facile et l'action n'est pas aisée. Se contenter d'instruire et recommander à la légère ce qu'il y a à faire, en occultant les immenses embûches du terrain, n'est-il pas finalement le témoignage d'une fuite en avant pour se dégager de sa responsabilité ? A l'impossible nul n'est tenu. Mais indiquer aux autres des itinéraires sans adresses est illusoire.

Il est évident que les éclairages sont les bienvenus et que leurs utilités ne sont pas à démontrer. Mais ceux qui formulent à l'emporte-pièce des exigences se plient-ils d'abord eux-mêmes à leurs recommandations verbales et s'impliquent-ils eux-mêmes dans ce qu'ils exigent ? Le plus élémentaire s'arrêterait d'abord à une petite question de civisme et de civilité. On ne peste pas quand son voisin ne respecte pas un feu rouge, quand on ne résiste pas soi-même à le brûler.