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Les majors pétroliers paient cher leur penchant vers les renouvelables

par Reghis Rabah*

Tout porte à croire que les marchés financiers ne suivent pas cet engouement des grandes sociétés pétrolières dans leur enthousiasmé vers les énergies propres. En théorie, dans les immenses forums dédiés à l'écologie et à la sauvegarde d'une planète sans carbone, on entend beaucoup de parlote sur le sujet mais dés que les majors pétroliers et gaziers ont commencé à mettre en œuvre les différents accords sur le climat par leur concrétisation par des investissements massifs, le marché financier ne semble pas les rater pour les décourager. A commencer par les compagnies européennes depuis le fameux accord sur le climat qui s'est tenu à Paris. En effet, lors de la COP21 à Paris, le 12 décembre 2015, les Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques(CCNUCC) sont parvenues à un accord historique pour lutter contre le changement climatique et pour accélérer et intensifier les actions et les investissements nécessaires à un avenir durable à faible intensité de carbone. L'Accord de Paris s'appuie sur la Convention et pour la première fois - rassemble toutes les nations autour d'une cause commune pour entreprendre des efforts ambitieux afin de combattre le changement climatique et de s'adapter à ses conséquences, avec un soutien accru pour aider les pays en développement à le faire. En tant que tel, il trace une nouvelle voie dans l'effort mondial en matière de climat. L'objectif central de l'Accord de Paris est de renforcer la réponse mondiale à la menace du changement climatique en maintenant l'augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter encore davantage l'augmentation de la température à 1,5 degré Celsius. En outre, l'accord vise à accroître la capacité des pays à faire face aux impacts du changement climatique et à rendre les flux financiers compatibles avec un faible niveau d'émissions de gaz à effet de serre (GES) et une voie résiliente au climat. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, une mobilisation et une affectation appropriée de ressources financières, un nouveau cadre technologique et un renforcement des capacités doivent être mis en place, appuyant ainsi l'action des pays en développement et des pays les plus vulnérables, conformément à leurs propres objectifs nationaux. L'Accord prévoit également un cadre de transparence accrue pour l'action et le soutien. British Petroleum(BP), Royal Dutch Shell, l'Italienne ENI, le groupe Français Total et la norvégienne Equinor ont réservé en dépit de la crise sanitaire qui les a frappés de plein fouet des milliards de dollars dans le renouvelable en prenant surtout et à travers une offensive médiatique de gros engagements en matières d'énergie propre. Il se trouve justement que plus ces groupes en parlent plus le marché financier multiplie ses sanctions. A commencer par BP qui ambitionne d'atteindre le « statut net zéro » d'ici 2030 a vu son action craquer de 48% depuis le début de l'année. Cette chute et c'est inédit dans les anales pétrolières et gazières serait pire que l'indice européen du pétrole et du gaz Stoxx Europe 600 Oil & Gas Index (SXEP) qui a subit une baisse de 32% seulement et celui de Energy Select Fund (XLE) avec une perte de 41%. Sa sœur Shell semble avoir fait beaucoup en matière d'investissement que ses homologues dans les énergies renouvelables. Son Président Directeur Général est allé plus loin en déclarant que la société dont il a la charge « ne se considère plus comme pétrolière et gazière mais « une société de transition énergétique.» Son objectif a été déjà affiché en 2016 lorsqu'elle visait 4à 6 milliards de dollars dans les énergies propres à l'horizon 2020.

Le marché l'a puni de 44% depuis le 1er janvier 2020. L'Italienne ENI s'est montrée quant à elle plus ambitieuse en matière d'engagement dans cette voie de changement climatique « avec des plans de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 80% d'ici 2050. ENI affirme également que son portefeuille d'énergies renouvelables atteindra une capacité installée de 3 GW dès 2023 et de 5 GW en 2025. ENI le stock a chuté de 38%. » Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a déclaré au journal français Le Parisien en septembre que l'entreprise entend faire partie des cinq premiers producteurs mondiaux d'énergies renouvelables. Le mix opérationnel de la société est aujourd'hui de 55% de pétrole, 40% de gaz et moins de 5% d'électricité d'origine renouvelable , notant qu'en 2050, les opérations de Total seront divisées en 20% de pétrole, 40% de gaz et 40% d'énergie renouvelable. Pouyanné à la fin de l'été dernier qu'une discipline d'investissement stricte serait vitale pour suivre une trajectoire de 2 degrés Celsius. «Nous nous concentrons sur les projets capables de résister à de bas prix du pétrole et à des coûts de carbone plus élevés. C'est la meilleure façon de se protéger contre le risque d'actifs bloqués », a déclaré Patrick Pouyanné.

1-Pourquoi ce paradoxe entre énergie propre et désintéressement des actionnaires

Peut être que le problème est lié plutôt à la complexité de la transition énergétique dans essentiellement le mode de fonctionnement de l'activité des énergies renouvelables. D'abord, l'énergie propre est non seulement viscéralement capitalistique mais aussi exige des périodes de récupération beaucoup plus longue en comparaison aux investissements dans les ressources fossiles. Les spécialistes estiment de 1,5 à 3,0 fois plus importante en capitaux et en main d'œuvre que les hydrocarbures.

Les entreprises pétrolières et gazières sont toujours aux prises avec la meilleure façon d'utiliser actuellement des flux de trésorerie en baisse plus précisément , ils se demandent toujours s'il vaut la peine de se réinventer au moins partiellement en tant qu'entreprises d'énergies renouvelables tout en déterminant quels marchés d'énergie à faible émission de carbone offrent les rendements futurs les plus attractifs. La plupart des entreprises renouvelables, comme les projets solaires et éoliens, ont tendance à générer des flux de trésorerie similaires à des annuités pendant plusieurs décennies après les dépenses initiales en capital initiales avec un risque de prix généralement faible, par opposition à leurs modèles actuels avec un retour sur investissement plus rapide mais un risque élevé de prix du pétrole. Avec la nécessité de générer des rendements rapides pour les actionnaires, certaines sociétés de combustibles fossiles ont en fait réduit leurs investissements dans les énergies propres .En investissant leurs flux de trésorerie dans des projets d'énergie propre, les majors pétrolières devraient en récolter les bénéfices à l'avenir - mais aux dépens des dividendes et des rachats actuels. En d'autres termes, c'est un peu comme si les marchés voulaient manger leur gâteau et l'avoir toujours.

2- Est-ce la vieille rengaine sur les énergies fossiles qui revient au devant de la scène ?

Quelques années après la découverte des hydrocarbures et la ruée américaine vers ce nouvel Eldorado, on a commencé déjà à spéculer sur sa fin probablement de par sa forme fossile. Il a été établi de par le monde et l'Algérie n'en fait pas exception qu'on a consommé plus qu'on en a découvert et pourtant les réserves ont bel et bien augmenté depuis le début de la décennie 1970. Pourquoi et comment ? D'abord il n'y a pas eu de découverte de gisements géants comme ceux découverts par le passé comme Ghawar en Arabie Saoudite, Cantarel au Mexique, Burgan au Koweït, Daqing en Chine ou pourquoi pas Hassi Messaoud en Algérie. Même la récente découverte brésilienne d'un gisement de 33 milliards de barils au large de Sao Polo, n'est qu'au stade hypothétique si ce n'est pas un jeu d'entreprise pour augmenter la valeur de ses actions. L'Algérie aussi par le biais Sonatrach avait annoncé la découverte d'un nouveau champ pétrolier d'environ 1,3 milliard de barils près d'Amguid Messaoud, dans le sud du pays. «C'est l'une des plus importantes découvertes réalisées par Sonatrach ces vingt dernières années», a déclaré le ministre de l'Energie et des Mines de cette époque, Youcef Yousfi. Le site se trouve à 112 km de Hassi Messaoud, le plus grand champ pétrolier d'Algérie. Le ministre a expliqué que la Sonatrach devra recourir à des techniques non conventionnelles de forage pour extraire 50 % des réserves. Selon un haut responsable de l'entreprise en l'occurrence Saïd Sahnoun, ces techniques augmenteront le coût de la fracturation hydraulique d'environ 10 % pour le projet global. Le développement du champ est prévu dans les trois à quatre ans. Dans un premier temps, la compagnie Sonatrach doit effectuer des travaux pour établir la façon exacte dont sera exploité le gisement. A ce jour, aucune nouvelle sur cette découverte où du moins n'a pas changé d'un iota les réserves en place. Par contre la reconstitution de réserves dans le monde s'explique d'une part par l'avancée énorme des conditions techniques. On pénètre mieux le gisement par le forage horizontal et on délimite mieux les contours de la structure grâce à la sismique 3D. Ceci a fait que le coefficient de récupération des quantités dans le sous-sol est passé de 25 à 35%.En d'autre termes, on récupère plus que par le passé.

D'autre part les conditions économiques avec un baril à entre 80 et 100 dollars a rendu possible l'exploitation des gisements marginaux qui étaient auparavant trop chers à produire. C'est en général toujours les géologues qui développent ce genre de prémonition à commencer par leur précurseur le géophysicien Marion King Hubbert avec sa fameuse théorie de pic dit d'Hubbert. Pour lui, et très loin dans les années 40, il est parti d'un raisonnement logique basé sur la loi de la vie et de la mort pour l'appliquer à toute matière première et en particulier le pétrole pour dire qu'elle suit une courbe en cloche. Il fallait attendre l'année 1956 pour affiner son approche devant les experts de l'American Petroleum Institute (API) par confirmer que cette courbe en cloche passe par un maximum indiquant que la production décline forcément par la suite. Elle restera relativement symétrique par rapport à ce maximum. Depuis, les adeptes de cette thèse ne jurent que par ce fameux « pic pétrolier » et proclament à qui veut l'entendre que l'ère du pétrole tire à sa fin sans donner une date précise sur laquelle ils divergent à un demi siècle prés. Mais ils restent tous d'accord en revanche sur la tendance et c'est normal ! D'un épuisement physique accéléré de ses réserves. Pour eux et ils se sont trompés, la croissance tire, certes les prix du baril vers le haut mais pas autant de cette épuisement qui va le mener jusqu'à 300 dollars le baril. Pourtant ils se sont tous plantés car les prix ont bel et bien chuté rien qu'en 2020 à moins de 20 dollars. On constate de visu que c'est le jeu de cette croissance et les événements géopolitiques qui restent aux commandes de leur fluctuation.

*Consultant, économiste pétrolier