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Comment écoper la mer avec une cuillère à café ?

par El-Houari Dilmi

C'est encore là une histoire de Larbi, un père de famille si inquiet du lendemain déchantant de son pays antichoc, qu'il a oublié, toute sa vie durant, d'aller au travail, laissant son peuple bouclier sans sa croûte quotidienne, fût-elle la plus immangeable des torgnoles.

Alors, pour rattraper son retard ... à 60 berges, Larbi voulut cacher derrière son dos trop rond son « statut » ruinant de cigale, pour mettre toute son oseille dans la main gauche de son petit peuple, réputé moins dispendieux, dans son rôle, presque « naturel », de fourmi besogneuse. Les jours passant à la vitesse d'une étoile (dé) filante, Larbi se rend à l'évidence apoplectique que le « miracle » d'une Liberté « éternelle » n'est pas de ce monde; dans un pays où manger de la viande (même venue du pays du Taj Mahal !), une fois l'an, revient à écoper une felouque qui prend les eaux avec une cuillère à café...

Avec le temps qui passe et l'âge qui... trépasse, Larbi travaille encore plus dur pour faire, rêve-t-il à l'état éveillé, accéder son petit peuple au rêve (jamais exaucé !) de la dolce vita, la vraie, made in Sidi Bouzhour. Chaque mois, le blé sonnant et trébuchant qu'il gagne à trimer comme un forçat, Larbi le dépose dans les poches à fermeture-Eclair de son petit peuple, dans son « beau rôle » de fourmi, sobre et économe. Ses rêves grossissants avec l'argent thésaurisé par son petit peuple, trésorier en toque et trop honnête pour travailler chez l'Etat, Larbi emprunte un gros magot à sa banque du coin pour le déposer, par sacs entiers, dans la bourse, cousue de fil blanc, de son petit peuple nourricier. Mais comme pour Larbi l'appétit ne vient pas en mangeant, mais en laissant ses mains baladeuses grandir plus vite que ses yeux, il pense, alors, à mettre sa main dans la caisse (ouverte aux quatre vents) de la société qui l'emploie, en chipant un bon magot qu'il cache sous l'aisselle protectrice de son peuple domestique. Et le jour que Larbi attendait toute sa vie arriva enfin, pour donner un corps sans âme à tous ses rêves inaccomplis : acheter en priorité une patrie, de préférence «richarde», juchée au sommet du bled de Cocagne, puis une peuplade aussi pliable que malléable, (ré) inventer un drapeau à planter sur le sommet du dos trop...rond de chacun, et cacher l'argent restant dans une banque... en bois... L'histoire dira ensuite que le peuple de Larbi, décédé de mort (sur) naturelle, léguera à son preux protecteur éploré un hiéroglyphe posthume qui sera placardé sur tous les murs décrépis du village: « Pour nous autres, peuple de Larbi, répudié comme une épouse infidèle, nous avons passé dix lustres entiers, à essayer de comprendre s'il fallait porter ce pays dans son cœur, le cacher dans son ventre, ou carrément le mettre en entier dans nos poches sans fonds. Avant de casser notre tirelire en mille et un morceaux, nous avons décidé, nous peuple de Larbi, de garder les yeux fermés pour toujours, et la bouche béante pour ne jamais s'arrêter de dire à l'Autre : malgré tout... et tous, Bladi nebghik... ! »