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Marché de dupes

par Kebdi Rabah

Dans un monde où tout se vend et s'achète, le marché est par excellence un lieu de confrontation, avec ses règles de jeu impitoyables, que tout intervenant se doit de connaître sous peine de douloureuses désillusions. On y entre comme dans une arène face à un adversaire n'ayant ni sentiment ni code d'honneur. Une enceinte glaciale, se suffisant de sa température sans se sentir obligée de s'aligner sur celle de la chaleur humaine. C'est cela le marché : ruse et rapport de force, traîtrise et flibusterie. Un monde hermétique à la morale, à l'éthique et la notion de parole donnée laquelle ne se conçoit que si elle conforte un avantage escompté.

L'invisible main de l'Ecossais Adam Smith n'est pas hélas cet attribut de la concurrence devant guider vers l'excellence mais seulement le support d'une manche dans laquelle chaque joueur dissimule ses cartes. Un jeu de dupes dans lequel l'altruiste ou celui qui n'en comprend pas les règles finit par baisser rideau, déposer le bilan et rejoindre la cohorte des faillis ou laissés pour compte.

Comme chaque début de Ramadhan les prix flambent. Cette année c'est la viande rouge qui caracole en tête. A ce propos et au vu de ce à quoi fut confronté notre ministre du Commerce, on comprend que, pour l'essentiel, on le doit au non-respect de l'engagement d'opérateurs qui devaient normalement se contenter de 800 D.A. le kilogramme. Il n'en fut rien, et le citoyen, en ce mois de «Touba wa el Ghofran» (tu parles !), en est réduit à débourser plus du double. Las de ne pouvoir raisonner les hyènes, notre ministre dut se contenter de leur dénonciation devant l'opinion publique. Mais coup d'épée dans l'eau, avec des tels énergumènes la remontrance ne fait que ricocher sur une carapace habituée aux salives. Gageons qu'ils sont même prêts à recommencer le même scénario dès que l'occasion leur en sera donnée. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu'une clause de contrat, même moral, n'est fondée que sur un bon vouloir ? Quel crédit accorder à celui d'un maquignon dont la parole à géométrie variable n'a jamais rencontré de contrepoids susceptible de lui imposer une ligne de conduite ou lui faire payer le prix d'un parjure ? Depuis des décennies que cela dure, on devrait enfin comprendre que cette filière est pernicieuse, qu'il s'agit d'un oligopole bien structuré conscient de sa puissance et de son impunité. Elle ne reculera devant rien pour imposer son dictat, y compris face à un ministre de la République. Elle pourra jurer sur tous les « Mas'haf », elle ne respectera sa « parole » que si elle a conscience de perdre au change. Aussi la seule manière de l'amener à résipiscence est de la traiter selon les règles de « l'adversité » commerciale couplée à l'autorité de la puissance publique ; ce qui implique, pour l'Etat, de se donner les moyens de la contrecarrer économiquement par l'action régulatrice et juridiquement par le glaive de la justice.