Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Tebboune parviendra-t-il à surmonter une crise de confiance ?

par Reghis Rabah*

Le nouveau président fraichement élu, Abdelmadjid Tebboune, semble selon toute vraisemblance déterminé à démontrer au mouvement de dissidence populaire sa bonne volonté d'en finir avec le régime en place.

Pour cela, il brasse large en tentant d'ouvrir un dialogue avec de nombreuses personnalités qui à un moment ou un autre étaient des icônes du Hirak. Il a sans doute compris que l'Algérie traverse une crise politique profonde depuis le 22 février dernier largement prouvée par les résultats officiels des élections présidentielles durant lesquelles 3 électeurs sur 5 n'ont pas voté. C'est incontestablement l'une des caractéristiques les plus marquantes de la grande division de la scène politique, ce qui rendra les conditions d'un dialogue réel très difficiles. Pourquoi ? Ces difficultés et ces déclarations ont mis la question de la confiance au cœur du débat démocratique et des crises actuelles. Mais, cette crise n'est pas propre à l'Algérie. En effet elle concerne les grandes démocraties dans le monde. Ainsi, nous connaissons aujourd'hui un recul important de la confiance qui s'est traduit par un développement sans précédent des doutes, des peurs et des incertitudes, entraînant une grande fragilisation des institutions démocratiques et la perte de la légitimité qui leur avait permis d'imposer leur hégémonie et leur domination sociale par le passé dans les sociétés modernes. Même s'il est admis que chacun des pays obéit à ses propres critères d'appréciation des déterminants de cette confiance, l'histoire et l'anthropologie de la société ajustent la vision des uns et des autres. En Algérie par exemple si le mouvement de dissidence populaire n'a pas changé d'un iota ses revendications hebdomadaires, c'est qu'une frange importante de la société est persuadée que le système ne s'est fait que se recycler à travers les élections du 12 décembre. Depuis le début de mouvement de dissidence populaire, le fossé ne fait que se creuser entre les tenants du pouvoir et les protestataires de plus en plus en plus nombreux. Pour les premiers, notamment à travers l'institution militaire, le « système » tel qu'il est évoqué par les uns et les autres s'arrête avec le départ de la « 3ssaba », crée par les 20 ans de règne de Bouteflika, par l'organisation du scrutin du 12 décembre, l'armée s'est retirée publiquement dans ses casernes en considérant avoir accompli sa mission de maintenir l'unité du peuple algérien. Pour les second, le lifting annoncé de la Constitution va vite être oublié après être dispersé, c'est la confiscation d'un effort révolutionnaire et fortement populaire qui, partira en fumée pour la deuxième fois consécutive, pourquoi ? Pour une question de pouvoir. On se donnera rendez-vous donc dans un demi siècle. On est passé donc de «non au cinquième mandat» à «non au prolongement du quatrième» à «Rouhou Gâa» enfin à «TATHASBOU GÂA». En effet, dans les dernières banderoles on y lit «Bouteflika n'est pas le système, le système n'a pas duré seulement 20 ans mais 60 ans », plus intéressant et afin de mettre fin aux Fake news, Tizi Ouzou, le cœur de la Kabylie écrit «l'Algérie est une et indivisible. » Il ne s'agit donc plus d'un simple réaménagement de façade d'un Etat mais éminemment et fondamentalement un changement en profondeur que le « Hirak » revendique quelles que soient les conséquences pour en finir une fois pour toute avec cet ordre établi sans aucune négociation possible lorsqu'on leur dit ouvertement «dégagez tous». Il s'agit de rester dehors pour créer les conditions favorables pour refonder un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. L'environnement de gouvernance contiendrait des normes juridiques hiérarchisées de telle sorte que cette puissance publique s'en trouve balisée. Un tel système assurera une justice « juste et équitable » avec une juridiction indépendante. La souveraineté appartient au peuple, lequel peuple exerce le pouvoir public directement ou par l'intermédiaire de ses représentants qu'il aura à choisir lui-même en toute liberté et transparence. Dans ce système aussi dont la jeunesse d'aujourd'hui longtemps marginalisée, favorise l'initiative citoyenne pour en faire des citoyens socialement présents, intéressés au corps social, convergents vers les objectifs d'intérêt général, centripètes mais pas nécessairement identiques. Il s'agit-là de tout un processus qui prendra du temps et reste unique dans son modèle de manière à n'attendre de l'aide d'aucun pays limitrophe voire africain ou arabe.

1- Le système politique algérien est rattrapé par son histoire

La prise en main du pouvoir par ce que les historiens ont identifié comme le clan d'Oujda devait débuter en 1961, lorsque le chef de l'armée des frontières le colonel Boumediene confie à Abdelaziz Bouteflika sa première mission «diplomatique». Il était chargé de se rendre clandestinement en France pour rencontrer les chefs historiques du FLN, placés en résidence surveillée au château d'Aulnoy, dans la Seine-et-Marne. Le colonel Boumediene veut s'assurer d'un appui politique dans la perspective d'une prise de pouvoir, dans la foulée du départ des Français. Il mise sur Mohamed Boudiaf, dirigeant de la fédération française du FLN et ministre du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Mais Boudiaf refuse sèchement. Tout comme Hocine Aït Ahmed, lui aussi sollicité. Bouteflika, lui, parie plutôt sur Ahmed ben Bella, qui a sauté sur l'occasion qui lui sera fatale quatre ans plus tard. Rédha Malek qui racontait dans son livre les péripéties des accords d'Evian, est revenu sur cet alliance en la résumant à sa manière «Boumediene avait besoin d'un politique et Ben Bella d'un fusil ». Ce soutien militaire contre légitimité politique, sera scellé entre le clan d'Oujda et Ben Bella, par l'intermédiaire de Bouteflika, il va s'avérer fondamental au cours de «l'été de la discorde» de 1962. Les accords d'Evian ont été signés le 18 mars, l'indépendance reconnue le 3 juillet. L'Algérie est enfin un pays libre, après cent trente-deux ans d'occupation française et huit années d'une sale guerre qui laisse derrière elle 1,5 million de martyrs. Pendant que le peuple était en euphorie pour savourer sa liberté nuits et jours en plein été, les clans au sein du FLN se déchiraient dans des luttes pour la prise du pouvoir. Deux factions s'affrontent : le pouvoir civil derrière le GPRA, et les militaires, avec le clan d'Oujda. Le premier est soutenu par les wilayas de l'intérieur et le FLN de France. Les seconds par l'armée des frontières du colonel Boumediene. Celui-ci va s'imposer par la force : le 9 septembre 1962, ses troupes - rebaptisées Armée nationale populaire - entrent dans la capitale. Ahmed ben Bella rejoint Houari Boumediene à Alger et organise un meeting populaire au stade municipal, avec défilé militaire. Battu, le GPRA capitule sans conditions. Depuis, le peuple restera conduit d'une manière directe et indirecte par un pouvoir militaire à ce jour où ce déclic du cinquième mandat lui a inculqué que sa liberté effective ne l'atteindra que lorsqu'il se débarrasse de ce « système » instauré depuis pour édifier lui-même un Etat de « droit, républicain et citoyen ». Pour cela, il exige une transition conduite par des personnalités propres, honnêtes qui n'ont jamais géré le pays dans les décennies post indépendance.

2- C'est autour de la question du pouvoir que se négocie cette confiance.

La confiance en général se construit à travers un ensemble d'éléments invisibles et secrets que les sociétés mettent en place afin de favoriser les conditions du vivre- ensemble et de leur confiance dans l'avenir. Cette confiance permet aux sociétés de se protéger lors des moments de crise, des difficultés et des dangers internes comme externes. Elle permet de construire les relations de solidarité entre les groupes et les classes sociales afin de les unir autour d'un contrat social qui garantit la cohésion sociale et définit les conditions et les règles du vivre-ensemble. La confiance joue un rôle majeur dans le fonctionnement des sociétés modernes. Parmi ces rôles, nous pouvons citer le fonctionnement des institutions de l'Etat qui exige un important capital-confiance de la part des citoyens qui donnent la responsabilité de la gestion des affaires publiques aux élus. La confiance est également un élément essentiel dans le domaine financier et économique. Ainsi, permet-elle aux citoyens de déposer leurs ressources financières en toute sérénité et sans la moindre peur auprès des institutions financières et bancaires. La confiance est aussi importante dans le domaine de l'éducation dans la mesure où elle encourage les citoyens à fréquenter les établissements scolaires en toute confiance et sans le moindre doute sur le contenu des programmes scolaires. La confiance joue aussi un élément important dans le domaine de la santé publique et permet aux citoyens de fréquenter les hôpitaux et les établissements de santé en toute tranquillité et d'appliquer les ordonnances prescrites par les médecins sans la moindre peur. La confiance est aussi essentielle pour le système judiciaire et permet aux citoyens de fréquenter les tribunaux et les juges pour régler leurs différends tout en étant convaincus de leur honnêteté et de leur capacité à prononcer des jugements justes. Ainsi, la confiance joue un rôle majeur dans les rapports humains et les relations sociales et dans la construction des sociétés modernes. Elle représente un pari sur la capacité des citoyens à construire des relations de solidarité, des règles de vie commune et de croyance collective dans l'avenir. Mais, la question qui se pose est de savoir s'il en a toujours été ainsi, ou plus précisément comment la notion de confiance a évolué à travers l'histoire propre à chaque pays. Qu'en est-il en Algérie ?

*Consultant, Economiste Pétrolier