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Algérie-Libye: Genèse d'une solution politique avortée

par Ghania Oukazi

  Défendant fortement le principe d'un règlement politique de la crise libyenne depuis son éclatement, tout en dénonçant les interventions militaires et les ingérences intempestives étrangères, l'Algérie est, depuis, confrontée aux pires difficultés diplomatiques pour faire entendre sa voix.

Encerclée par des conflits fomentés par les puissants de ce monde pour préserver des intérêts géostratégiques colossaux dans la région, l'Algérie a toujours rejeté toute option militaire par ce que disaient déjà ses diplomates en 2011, au lendemain des bombardements atlantistes de la Libye, «nous étions contre parce que nous savons quand ça commence mais pas quand ça se termine et en général, c'est le chaos». La déflagration de la Libye lui a donné raison. Dès cette date, l'Algérie a déployé de grands efforts diplomatiques, entre autres, au sein de l'Union africaine et de la Ligue arabe, pour obliger la communauté internationale à interdire aux pays qui la composent de ne plus s'immiscer dans le conflit libyen.

En mars 2011 déjà, elle avait été à l'origine de l'élaboration d'une feuille de route africaine appelant les antagonistes libyens à se réunir à Tripoli pour dialoguer ensemble sur les mesures à prendre pour dénouer leur crise. Pour rappel, c'est Nicolas Sarkozy, alors président de la République de la France qui a exercé des pressions sans pareilles sur les membres de l'ONU pour intervenir militairement en Libye et faire abattre Maamar Kadhafi.

Le leader de la Djamahiria d'alors savait qu'il n'allait pas survivre à un complot de dimension internationale sur lequel le sionisme incarné par le fameux BHL (Bernad Henry Levy) avait une empreinte très forte. Le 20 octobre 2011, encadrés, armés et dirigés par des services de renseignements étrangers bien connus, des insurgés libyens sortent Kadhafi de sa cache à Syrte, sa ville natale, le désarment, lui affligent les pires des humiliations physiques et verbales, le torturent et reçoivent l'instruction de le tuer. Une semaine plus tard, le 28 octobre, l'OTAN décide de mettre fin à ses opérations militaires laissant derrière elle le chaos et une Libye ouverte à tous les complots européens, occidentaux avec la complicité avérée de pays arabes.

Les rappels incessants de la position algérienne

Depuis, l'Algérie n'a eu de cesse de défendre partout la solution politique que seul le dialogue entre les Libyens eux-mêmes, loin de toute ingérence étrangère, devrait trouver. Ramtan Lamamra, alors ministre des Affaires étrangères, et Abdelkader Messahel, ministre des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue des Etats arabes, ont tous deux arpenté le dédale de la diplomatie étrangère pour le rappeler. «L'Algérie a toujours été pour une solution politique de la crise, nous voulons justement que la communauté internationale exerce des pressions sur les pays qui parasitent ce processus, pour qu'ils sachent que le seul interlocuteur en Libye c'est le conseil présidentiel parce qu'il est reconnu par l'ONU, tout le monde doit respecter l'unicité des institutions libyennes qui sont la Banque centrale, le responsable de la compagnie pétrolière et le Fonds d'investissements, il faut faire en sorte que tout le monde ne doive dialoguer qu'avec ces trois et ne conclue pas de transactions illicites», avait martelé Messahel à l'intention de Martin Kobler, l'envoyé spécial du SG des Nations unies pour la Libye, venu à Alger en septembre 2016. Il a interpellé Kobler à propos de «l'embargo sur les armes en Libye décrété par l'ONU (qui) n'est pas respecté», lui a-t-il dit et pour exprimer la demande de l'Algérie de « le lever au profit du gouvernement de l'entente nationale pour lui permettre d'avoir des armes, lutter contre le terrorisme et rétablir la sécurité et l'ordre » en ajoutant : « Vous ne pouvez pas demander à quelqu'un de faire quelque chose si vous ne lui donnez pas les moyens qu'il faut ». Kobler lui a répondu que «la question des sanctions contre les pays qui achètent illicitement le pétrole libyen et fournissent des armes aux groupes terroristes doit être discutée au sein du Conseil de sécurité. Il y a un comité d'experts qui fait des rapports réguliers, transparents sur les pays concernés, avec leur nom (...)». Le ministre lui rappelle que « nous avons 1.001 km de frontières avec la Libye, nous sommes très présents, très actifs sur le dossier libyen et sur d'autres dossiers, cependant, et c'est un peu notre culture, nous sommes très discrets parce que la discrétion est source de réussite ». Il lui a noté que « nous avons mis en garde sur les conséquences d'une intervention militaire, la situation chaotique et ses effets sur l'avenir, le temps nous a donné raison, le constat est fait, il y a un lien direct avec une telle situation et ce qui se passe actuellement en Libye, en Tunisie et chez nous où nos forces de sécurité sont très vigilantes ».

Les sous-entendus de la diplomatie

Messahel lance que «nous sommes obligés d'être partie prenante dans un conflit, nous n'avons pas été la cause ». L'Algérie a affirmé par savoir qu'elle reste convaincue que « le dialogue inclusif et la solution politique sont les seules pistes pour la paix et la stabilité en Libye ». En 2014, ses diplomates avaient reçu à Alger plus de 200 Libyens, militaires et politiques, tribus diverses pour tenter de les mettre autour d'une table de négociation. Initiée et dictée par le plus haut niveau de l'Etat, la position algérienne a été précisée à chaque fois que ses diplomates se devaient de le faire. En avril 2014, Lamamra recevait John Forbes Kerry, alors secrétaire d'Etat américain aux Affaires étrangères. Kerry était venu pour demander à Alger qu' « il faudrait qu'on réfléchisse à relever d'importants défis en matière de sécurité et de stabilité ». Lamamra lui avait rappelé tout au début de sa conférence que «l'Algérie produit de la stabilité et en exporte tout en sachant que ses gouvernants mettent en avant deux principes qu'ils veulent immuables, le premier, la non-ingérence dans les affaires des Etats, le second, son armée n'intervient pas en dehors de ses frontières ». Les Américains ont toujours voulu faire sauter ses verrous pour que l'Algérie les décharge de guerres qu'ils provoquent dans la région jusqu'à les inventer mais estiment qu'elles leur coûtent très cher. Leurs armées basées à Stuttgart l'allemande au titre de l'Africom (le Commandement américain pour l'Afrique), l'ont revendiqué sans hésitation.

Nous écrivions dans l'édition du 04 avril 2014 que «la dislocation de la Libye a bien été la terrible conséquence de l'intervention de l'OTAN sur instruction de Washington mais surtout les pressions «sarkoziennes» dont l'initiateur s'était trop « rapproché » du régime Kadhafi. La détérioration de la situation sécuritaire dans les pays de la région, maghrébins et africains, laisse les Américains penser que c'est là l'occasion propice pour forcer la main à l'Algérie pour qu'elle fasse la sale besogne, le nettoiement des territoires voisins des affres de la guerre ». Le secrétaire d'Etat américain a bien dit à cette époque que «les Etats-Unis veulent accompagner l'Algérie dans la lutte antiterroriste, former ses services de sécurité pour vaincre El Qaïda».

Quand Tiguentourine brouille des cartes

En 2013, l'Algérie a vu sa base gazière à In Amenas prise d'assaut par un groupe terroriste qu'on a dit dirigé par Mokhtar Belmokhtar. Ce dernier a écrit dans ses rapports, un des ambassadeurs américains qui ont fait Bamako, « a été filé par la CIA pendant dix ans ». Tiguentourine, cette sale affaire qui n'a pas dévoilé tous ses secrets, a soumis l'Algérie à un incroyable test de fiabilité sécuritaire de ses frontières qui, entre autres causes, lui a valu deux ans après la restructuration de ses services de renseignements et de l'état-major de ses armées.

La probable intervention des troupes armées turques en Libye pour aider le président du Conseil présidentiel (Gouvernement d'union nationale), Faïez Essaradj à faire face au maréchal Khalifa Haftar complique davantage la situation. A ne pas oublier que la Turquie d'Erdogan est membre à part entière de l'OTAN. L'on se demande si une coordination entre tous n'a pas été effectuée pour faire éjecter de la Libye ceux des pays qui y ont pris position pour frapper militairement les infimes parcelles qui avaient résisté aux frappes atlantistes. « La Libye est otage d'Etats qui n'ont pas d'autre histoire que celles d'être à la solde de l'Occident », disait hier un haut gradé sur une télévision libyenne. Il a cité nommément « entre autres, les Emirats arabes unis ». Samedi, des villes libyennes étaient défoncées par des raids aériens dirigés par Haftar. « Nous voulons un Etat civil, indépendant et non comme le veut Haftar, espion des puissances occidentales », criait un Libyen. Haftar est montré avec El Sissi l'égyptien, Macron le français et des responsables américains et émiratis. Le retour des terroristes de la Syrie et d'Irak a toujours fait craindre le pire à l'Algérie. Un retour qui a déjà fait des dégâts monstrueux, selon des sources sécuritaires. «Enmoutou aaliha elprise, matanfaakoum la Abou Dhabi oula Parise (On mourra pour la prise de Tripoli, personne ne pourra vous aider ni Abou Dhabi ni Paris) », scandait un défenseur de Haftar. La bataille de Tripoli lancée par le maréchal oblige Essaredj à chercher de l'aide auprès de l'étranger. La Turquie a été la première à accepter de le faire pour des raisons de reconquête de l'histoire qui avait intronisé la suprématie de l'empire ottoman sur toute cette rive méditerranéenne. La France de Sarkozy avait certainement eu la même raison de bouleverser la Libye, celle de pouvoir contrôler ces immenses territoires collés à ceux algériens qu'elle a colonisés pendant plus d'un siècle.