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Crise politique et élections présidentielles: Une autre attente commence

par Ghania Oukazi

Hier, zéro heure, était le temps limite du retrait des imprimés des signatures individuelles pour les prétendants à la candidature suprême. Il l'était aussi pour leur dépôt dûment signé.

A partir de demain, une autre attente commence, celle de la sélection des candidats qui auront présenté des dossiers complets.

Trente-trois sur cent quarantesept candidats à la candidature suprême ont demandé, ces derniers jours, des rendez-vous pour déposer leur dossier auprès de l'ANIE (Autorité nationale indépendante des élections). Si, hier en début d'après-midi, ils étaient bien plus de vingt à l'avoir fait, les trente-trois, dans leur ensemble, devaient s'être tous acquitté de cette tâche, hier à minuit tapante, comme l'exige la loi organique codifiant le régime électoral. Il y a eu d'autres, nouveaux, ceux-là qui ont demandé, selon le porte-parole de l'ANIE, de repousser cette date limite pour qu'ils puissent retirer les formulaires des 50.000 signatures individuelles réparties sur au moins 25 wilayas, à raison de 12.000 dans chacune. Mais l'Autorité a refusé pour en évidence une question de timing serré qui ne permet plus à ces prétendants de la dernière minute d'entreprendre cette chasse aux signatures. La date limite du retrait des formulaires correspond à celle de leur dépôt -signés- auprès de l'ANIE. Ceux des candidats déclarés qui ont des réseaux déjà rôdés pour ce genre de collecte ont reconnu avoir fait face à des difficultés, certes pour des pratiques administratives qu'ils ont jugées complexes, mais aussi à cause du manque d'adhésion des citoyens à un rendez-vous électoral qui est loin d'emballer la société. L'ANIE a sept jours, à partir d'aujourd'hui, dimanche 27 octobre, pour examiner, compter, trier un nombre volumineux de signatures ramenées par trente-trois candidats à la candidature et classer leurs dossiers par ordre de mérite d'être candidat à part entière à l'élection présidentielle prévue le 12 décembre prochain. Ce comptage a été fait conformément aux lois en vigueur qui fixent à 40 jours la période séparant la date de la convocation du corps électoral et celle limite de remise des dossiers des candidats. L'Autorité rendra, donc, publics, le 2 novembre prochain, les noms de ceux qui ont réussi le test de cette admission.

Le temps de toutes les attentes

Rentrera alors en scène le Conseil constitutionnel pour cautionner les vainqueurs de cette première étape électorale et examiner le recours de ceux recalés.

En ces temps nuageux, frais et pluvieux, l'on sent que ce branle-bas de combat se fait en décalage avec les préoccupations d'une société qui peine à voir la sortie de crise politique dans laquelle s'est enlisé le pays depuis le départ forcé du Président Bouteflika. La corporation de la presse semble en particulier compressée sous le poids d'une chape de plomb qui l'oblige à guetter les horizons en quête de faits politiques nouveaux qui desserreraient l'étau qui a pris en otage tout un pays et son peuple. Il faut avouer que le décès subit du Président-directeur général du groupe Echorouk, Ali Fodil, a rajouté à cette atmosphère dont la lourdeur est indescriptible. Qu'on l'ait connu ou pas, apprécié ou pas, Ali Fodil a fait indéniablement partie d'un édifice médiatique national dont les membres partent toujours au mauvais moment. Son enterrement, hier, sous la pluie, au milieu des siens à Bir Ghbalou, rappelle ceux très nombreux de nos consœurs et confrères assassinés par les forces du mal qui avaient précipité l'Algérie dans l'horreur. Tous sont partis trop tôt en laissant le pays en proie à des massacres d'innocents, des règlements de compte, des capitulations, des échecs et des bouleversements sociopolitiques sans précédents. C'est comme si c'était hier. La mort d'Ali Fodil est venue comme pour découvrir une plaie restée béante. L'histoire se refait en boucle, certes loin du sang ?Dieu nous en garde- et des barricades d'un couvre-feu combien pesant sur les esprits comme celui qui a enfermé les nuits citoyennes des longues années 90. Mais aujourd'hui l'on sent que de lourdes barricades d'un autre genre compriment les voix qui se veulent libres. Elles ont été érigées en cette absence criante et criarde d'un changement révélateur d'une volonté militaro-politique qui se veut apaisante pour un pays en ébullition.

Emprisonnement de la parole et de l'expression

Les médias publics ont beau passer en boucle les avis de citoyens favorables à la tenue du prochain scrutin mais ils sont loin de convaincre une opinion qui ne sent pas ce rendez-vous comme le veut le Haut Commandement de l'Armée. Que l'opposition incarnée par «les forces du changement» signataires de la plate-forme d'Ain Benian, les appellent au lieu de «détenus d'opinion», «détenus du hirak» pour éviter de déplaire au chef des Tagarins, rien ne semble se profiler dans ce sens. D'ailleurs, une partie d'entre cette opposition s'est engagée dans la course de la présidentielle, en enjambant des préalables qu'elle a transformés en «mesures d'apaisement» sans plus. Même les appels pressants pour la libération de Lakhdar Bouragâa n'ont pas reçu d'écho. L'on se demande que pourrait faire de plus un Bouragâa, à 86 ans, sorti de prison de ce qu'il n'a pas fait quand il était libre de ses mouvements et en bonne santé. Son incarcération est synonyme de l'emprisonnement de la parole et de l'expression même et ceux quels qu'en soient les propos qu'il a tenus. Les démonstrations de force policière qui ont repris, même la nuit, pour faire embarquer des citoyens pour «délit d'opinion» font peur pour l'avenir de l'Algérie. Parfois, par contre, certaines arrestations deviennent une aubaine pour ceux qui veulent être vus sous l'angle de la victimisation.

«La matrice du hirak est restée intacte»

Coincée entre un ordre militaire intransigeant et une classe politique défaillante et servile, la société végète plus qu'elle ne l'était, il y a à peine quelques mois. Des Algériens continuent de battre le pavé pour le faire savoir au général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah.

Il est vrai que le ?hirak' a nettement diminué en nombre mais affirment des observateurs «sa matrice est restée intacte et continuera toujours de protester contre un ordre établi de force». Une matrice qui signifie que le mouvement populaire qui a été déclenché le 22 février dernier, s'est radicalisé pour se constituer en groupes revendicatifs serrés. Dans son 36ème vendredi de protestation, tout en gardant en main - toujours et encore- les pancartes exigeant le départ immédiat des 2 B (Bensalah et Bedoui)» et «la libération des détenus emprisonnés pour leur opinion» le plus en faveur duquel s'est radicalisé le ?hirak' est ce «non» catégorique aux élections du 12 décembre. Une véritable offensive se prépare contre cette date. Les menaces dans ce sens sur les réseaux sociaux se font multiples. «Le 1er novembre sera bien différent de ceux passés,» préviennent des animateurs de la toile. Les Algériens en parlent dans tous les espaces même festifs, dans les fêtes de mariages ou les concerts artistiques. Plus qu'une semaine avant cette journée qu'on qualifie de «toutes les protestations». Il est urgent de trouver un compromis entre les forces politiques nationales quitte à passer à la table des concessions -de taille soient-elles- pour dérouter les manipulations les plus veules. Ceci, même si les plus optimistes gardent l'espoir de sauver le pays d'une régression multidimensionnelle en estimant que «tant qu'il continuera d'être pacifique, le mouvement populaire donnera du sens au changement attendu.» Changement que le 12 décembre prochain devrait enclencher.

Si d'ici-là, bien-sûr, le scrutin prévu aurait droit de vie et avant lui, la campagne électorale pourrait être lancée même dans un climat aussi délétère et une situation politique, économique et sociale aussi précaire.