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DU TOURISME EN «ABSURDIE» !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Mémoires touristiques algériennes, 1962-2018. Souvenirs, témoignages, portraits, statistiques. Essai de Saïd Boukhelifa (Préface de Abderrahmane Berrouane, dit «Saphar»). Edition à compte d'auteur, Alger 2019, 639 pages, 1650 dinars.



Au total, l'Algérie, durant l'été 1962, a hérité de la France coloniale, 5.922 lits se répartissant ainsi : 2.969 pour le balnéaire (mer), 2.377 pour l'urbain, 486 pour le saharien (Oasis et Saoura) et 90 pour le climatique (Chréa, Blida et Seraidi/Annaba)... ajoutez-y l'ensemble des bars, brasseries et restaurants des grands centres urbains. Un patrimoine géré par l'Onat, rattaché au ministère de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme... confié alors à... Abdelaziz Bouteflika. Siège du ministère : au sein du supermarché «Bon Marché» (2ème et 3ème étages) , rue Ben M'hidi (ex-Isly)... qui comportait en son étage un restaurant ? bar fameux , l'Alhambra.

L'Algérie était alors (durant la colonisation), et longtemps, surnommée la «Californie africaine»... chaque année voyant plus de 50.000 touristes étrangers accoster le long des côtes maritimes 1965 : le Président Boumediene aurait déclaré (selon Lacheraf) que «le développement de l'économie du Tourisme en Algérie risquait de favoriser un nouvel impérialisme». La messe était dite ! Elle sera répétée en 1978 («dans l'euphorie ambiante de la Charte nationale», puisque le ministre de l'époque était allé jusqu'à dire que les touristes étrangers «nous amènent, par leur comportement indécent, leurs microbes»). Il était objectivement impossible de développer un secteur basé sur le «bien voyager», le «bien se détendre», le «bien s'amuser», le «bien manger», le «bien curieux des sites et des musées»... avec une conception (officielle, cela va de soi !) de vie austère et fermée au monde et à l'étranger, sans cesse suspectés de tous les maux, de tous les complots et de tous les vices. Résultat des courses : Malgré des Chartes et autres recommandations politiques se référant au Tourisme (66, 76, 80, 86..), malgré l'existence de cadres bien-formés (au départ à l'étranger , et appuyés par des personnels ayant une forte expérience du terrain), malgré quelques dirigeants, qualifiés, par l'auteur, d'exception, le tourisme algérien ne «vit» que le temps de passage d'«hirondelles».Tout particulièrement durant les années soixante-dix où on «apprenait à faire du tourisme» avec un ministre qui avait quand même duré, Abdelaziz Maoui. C'était le temps de Pouillon, l'architecte, et de la construction des grands complexes.

Vint une deuxième phase, celle de la déliquescence, entre 81 et 86, suivie d'une embellie furtive. De courte durée... puisque la décennie rouge a suivi. La promotion du pays était alors faite par le terrorisme islamiste qui a fabriqué au pays une «image irakienne». La crise dura jusqu'en 2003. Plus de touristes étrangers et les Algériens préféraient se diriger vers d'autres cieux plus «californiens», moins chers, plus accueillants et plus tolérants.

Par la suite, avec un système et des gouvernements qui n'arrivaient (ni ne voulaient ?) s'affranchir du modèle économique rentier (facilité par l'embellie financière générée par les prix élevés du pétrole) se suffirent d'actions plus politiciennes que promotionnelles, toutes circonstancielles et sans retombées durables sur l'économie du Tourisme national. 2.400 agences de voyages, succursales incluses... pour 3.000 touristes étrangers (les vrais !)... contre 156.000 en 1975 pour la seule Altour... 3.000 reçus en moyenne, entre 2005 et 2018, en voyages organisés et 140.000 lits d'hôtels dont 5% seulement peuvent être proposés au marché international de Tourisme. Maroc : 1.400 agences pour 10 millions de visiteurs /an et 230.000 lits. Tunisie : 900 agences pour 7 millions de touristes /an et 220.000 lits sont 90% en normes internationales (Préface, p10). Il est vrai qu'en «absurdie» algérienne, «le mot tourisme n'existait pas dans le dictionnaire des décideurs algériens»... et on en est, aujourd'hui, encore, à la recherche d'une «politique introuvable»... se contentant de replâtrages des façades, allant de restauration en restauration et de constructions de nouveaux hôtels... qui seront à moitié vides, même en saison «haute».

Une partie assez importante de l'ouvrage est consacrée aux personnalités et /ou personnages qui ont «marqué» (en bien ou en mal ou en très mal) le Tourisme national dont les guides du Sud et du Nord... Une galerie de portraits riches en informations ; pour certains compétents ou sympathiques et pour d'autres, dinosaures indéboulonnables, franchement détestables... On y retrouve même des noms qui font désormais la Une des chroniques judiciaires.

Il y a, aussi, une partie parmi les plus succulentes, celle consacrée (p 217 à 286) aux «anecdotes insolites et affriolantes à ne pas raconter», allant de la mésaventure du ?Club Med' à Tipaza et de l'officier éméché qui sort son arme, aux touristes étrangers «foutus» dehors de leurs hôtels (car réquisitionnés !) en passant par le «topless» des Suédoises et par Chadli qui découvre la triste réalité touristique à Tipaza Matarès et à l'Aurassi. On comprend mieux pourquoi le Tourisme national n'a jamais décollé ou alors s'est «crashé» plusieurs fois. Il est vrai que ce n'est pas le seul secteur à connaître de telles (més-) aventures !

Extraits : «Du côté tunisien et marocain, il n'y a pas eu d'atermoiements, ni de tâtonnements, ni de plans tirés sur la comète, ni de péroraisons oiseuses qui ont caractérisé le tourisme algérien au cours de cette longue période blafarde et glauque à la fois, 1981-2016» (p 115), «Sommes-nous capables de refaire cette Algérie, cet Alger image de la beauté, de la poésie, du rêve d'un pacte culturel africain ? Sommes-nous capables de re-sculpter cette belle mémoire, cette belle histoire ? Et qui se souvient du Festival Panafricain de 1969 ? Qui se souvient des noces africaines à Alger ?» (p 108), «L'Etat, ce grand mammouth givré et les pouvoirs publics continuaient jusqu'en 2018, à nous conter fleurette. Le vaisseau algérien étant amarré, au quai de l'oubli depuis belle lurette» (p 215), «Nos voisins et amis de l'Est et de l'Ouest n'ont pas à s'inquiéter du réveil touristique algérien, plongé dans une léthargie endémique depuis trente ans ! Sursautant de temps à autre, le tourisme algérien étant ainsi devenu le roi des sursauts éphémères. Le tourisme algérien a perdu ses lunettes depuis longtemps ! Ni lisibilité, ni visibilité ! (p 570)

L'Auteur : Diplômé de l'Ecole supérieure du Tourisme d'Alger (j'ai remarque que les premières étudiantes ne sont venues qu'en 81/83, la sixième promotion... Un secteur misogyne ?), ancien directeur commercial de l'Onat, ancien assistant du Touring club d'Algérie (Tca), ancien conseiller au ministère du Tourisme, expert international...

Avis : Informatif et didactique... Tout, tout sur le tourisme algérien... et de bien d'autres pays dont les voisins. Des interrogations et des propositions. De la nostalgie, des regrets, des reproches et des «piques» assassines mais aussi de l'admiration (pour les pionniers)... Peut-être un peu trop de chiffres et de digressions (toutes attractives pour ceux et celles qui, en ces temps de Hirak, sont curieux de la vie des hommes qui ont «fait» ou «mé-fait» le secteur) qui éloignent de l'essentiel ? Dans tous les cas, c'est un livre de chevet obligatoire car incontournable des étudiants en tourisme... et bien utile aux responsables, actuels ou futurs, du secteur où qu'ils se trouvent... ne serait-ce que pour ne pas commettre les mêmes bêtises que leurs prédécesseurs et préparer (avec d'autres secteurs porteurs d'espérances) le pays à l'après-rente pétrolière.

Bref ! un «ouvrage qui a restitué la «boîte noire» du crash du Tourisme algérien» (p 619).

Citations : «Parmi les membres du Conseil de la Révolution, il y avait des cultivés et des incultes, ceux qui avaient le savoir-vivre et ceux qui étaient rustres. Au sujet du lancement d'une politique de développement touristique, ce conseil avait opté pour une position «Volens Nolens» (voulant, ne voulant pas)» (p 46), «De nos jours, notre pays est composé d'îlots d'intolérance, de corruption, de rapine, de saletés, de pendus-suicidés, d'immolés... à cause de la non-gouvernance ou de la mal-gouvernance» (p 126) , «Certains chez nous jouissent par le fait d'interdire, il serait souhaitable de leur «castrer cette jouissance nihiliste» (p 551)



Economie du tourisme. Un investissement d'avenir pour l'Algérie. Essai de Karim Chérif. Casbah Editions,Alger 2017, 196 pages, 750 dinars (déjà publié in Mediatic en janvier 2019. Extraits de la chronique. Extraits)



La seule contribution du tourisme au Pib mondial, environ 10%, est plus importante que l'industrie automobile, pétrolière ou agroalimentaire. Et, quand le secteur du Tourisme crée un emploi direct, il en génère dix, indirects ou induits, dans d'autres secteurs.

Des chiffres incontestables, incontournables qui montrent et démontrent le rôle actuel du tourisme (au sens large du terme) dans la création de richesses et d'emplois. Et, cela, bien des pays, à travers le monde, en ont pris conscience. Même les pays habitués à la rente pétrolière (...).Bien des choses avaient été faites en Algérie : de 1967 à 1979, (... ) et les partenariats avec les grands tour-opérateurs européens étant nombreux... Hélas, dès le milieu des années 70, «diverses pratiques créent des dysfonctionnements dans la gestion du parc hôtelier»... avec une gestion étatique dominante et une pléthore d'organismes... et cela a eu pour effet d'éloigner les touristes de la destination Algérie. (... ).

Quant au tourisme domestique, il restait embryonnaire. Le reste est une toute autre histoire intimement liée à l'évolution politique du pays... et à la rente (en hausse ou en baisse) pétrolière. La décennie rouge a compliqué encore beaucoup plus les choses. (...). Que faire pour relever le nouveau défi économique ? (...). Il faut «une autre approche» (avec une offre plurielle et une offre globale... et une diplomatie touristique très active), un «autre dessein», donc un «autre regard», et une «autre vision». Pas facile !

L'Auteur : Karim Chérif Athmane, jeune entrepreneur oranais , investi tout particulièrement dans le secteur touristique dans la région ouest

Extrait : «Aujourd'hui, les consommateurs sont devenus leurs propres organisateurs de voyages. De moins en moins d'agences ont pignon sur rue. Le candidat se prépare sur plusieurs sites pour décider où il ira, ce qu'il visitera.» (p 66)

Avis : Pour une fois qu'un entrepreneur écrit et signe un ouvrage ! La nouvelle vague (...). Ouvrage destiné tout particulièrement aux décideurs et autres professionnels du Tourisme (pour une mise à niveau ?) ainsi qu'aux étudiants de la spécialité... Cependant, le grand public y trouvera matière à comprendre pourquoi ça «rame» fort ? encore ! - dans le secteur.

Citations : «Un secteur se juge sur sa capacité d'innover. Cela implique professionnalisme et formation. L'innovation est naturellement liée au savoir, et est un élément essentiel de cette nouvelle économie, celle de la connaissance sans laquelle aucune stratégie de développement ne peut réussir» (p 40), «La vocation touristique d'un pays ne peut s'affirmer pleinement que si celui-ci possède d'autres atouts que du sable fin ; il faut notamment qu'il possède un substrat culturel» (p 177)

AU FIL DES JOURS :

Actualités :

-Mercredi 14 août 2019 : Le journal américain, «The Wall Street Journal» fait état de l'implication de la filiale algérienne de Huawei dans l'espionnage des opposants politiques aux régimes ougandais et zambien. Le géant chinois aurait recommandé aux dirigeants des deux pays de se renseigner sur le système de cyber-surveillance déjà mis en place par ses soins, en Algérie «pour permettre au vieillissant autocrate Abdelaziz Bouteflika d'épier l'opposition». Le journal affirme que d'importants responsables des services ougandais se sont rendus en Algérie en septembre 2017... Info' ? Intox ? On sait que, depuis peu, l'entreprise chinoise est la cible d'attaques des autorités américaines, directement ou non... mais, on sait aussi que le clan Boutef' (dont l'informaticien Said.. et la ministre Houda et peut-être même celle et ceux qui l'ont précédée), depuis son arrivée au pouvoir, avait un «faible» pour le développement et le contrôle des moyens de communication électroniques et numériques... un secteur aux profits colossaux et aux pouvoirs illimités.

-Samedi 17 août : Le Fln sort du bois avec une manière bien politicienne de faire entendre sa voix et son Sg a vite appris les leçons. Pour réagir au fait que l'instance de dialogue de Krim Younès ait exclu (dans une première phase ?) les partis de l'ex-Alliance. Du chantage en bonne et due forme. Ah bon ! «Je soutiens le hirak... et je demande... la révision du snmg avec une augmentation des salaires des enseignants». L'arme fatale !... juste avant la rentrée sociale et scolaire et alors que le pays commence à connaître des difficultés économiques.

Citations :

- Quelle affreuse jeunesse !/ Quelle horrible existence !/Pourquoi faut-il que dans un si beau pays, il n'y ait place que pour haine ? Nous aurions pu vivre heureux/.. /Nos pères nous ont fait un avenir qui nous condamne à nous côtoyer dans l'indifférence ou à nous déchirer avec rage ( Rachid Mimouni, «Le printemps n'en sera que plus beau», © Enal, 1987)

- Haïr quelqu'un, c'est comme boire du poison en espérant que la victime en meure (...). La haine tue celui qui la garde dans son cœur sans jamais inquiéter la personne à qui elle est destinée (Rachid Amokrane, «Graines de succès. Une philosophie de la réussite», © Synergie Editions, Alger 2014).

-Au-delà de l'effervescence de l'espace public, ce sont les injustices qui constituent le terreau immuable de la rage et de la haine sociales, dans nos sociétés (Belhimer Ammar, «Les printemps du désert» © Editions Anep, Alger 2016 )

- L'Algérie est nourrie au mensonge identitaire. Le mensonge identitaire a engendré l'amnésie. L'amnésie a enfanté la haine de soi. La haine de soi a généré le complexe du colonisé. Le complexe du colonisé a produit les hommes du ressentiment. Les hommes du ressentiment ont accouché des enfants de la violence (Karim Akkouche, «La religion de ma mère». Roman © Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou, 2017)

- Après l'Indépendance, la vision des ulémas a servi à «nationaliser» les Algériens. Loin de favoriser l'assimilation des populations, elle l'a entravée. Le refus de prendre en considération toutes les étapes culturelles qui ont concouru à la formation de l'Algérie est à l'origine du caractère schizophrénique de «l'identité» algérienne (Mohammed Harbi, «L'Algérie et son destin. Croyants ou citoyens». Essai © Médias Associés, 1994)

Archives brûlantes :

- Mercredi 2 octobre 2013 : Le premier ministre en visite à Tébessa : «On en pense pas aux urnes... et le Président sait ce qu'il fait et où va le pays»

-Jeudi 3 octobre 2013 : Le Quotidien d'Oran publie une longue contribution (deux pleines pages) de Mourad Bencheikh, ancien ambassadeur sur «La situation politique en Algérie. L'équation Bouteflika» : Pour lui, A. Bouteflika «est resté prisonnier de sa conception autoritariste du pouvoir inculquée de 1957 à 1978 par son maître à penser d'alors, l'ancien président Houari Boumediene»... «Le Chef de l'Etat veut continuer parce qu'il s'estime indispensable au salut de la nation. A cause de la maladie du pouvoir ? Qualifiée aussi par un neuropsychologue suisse, Sébastien Dieguez, de «Syndrome d'hubris», «qui fait perdre à celui qui en est affecté, le sens des réalités et le pousse à l'intolérance, à la contradiction, à des actions à l'emporte-pièce, à l'obsession de sa propre image et à l'abus de pouvoir». Bref, de l'outrance dans le comportement inspirée par l'orgueil. Il faut ajouter «l'apparition, au fil des mandats, la cyclothymie dont le côté euphorique est invariablement réservé aux étrangers et dépressif aux Algériens...». Mourad Bencheikh présente, par la suite, les trois cas de figure possibles quant à l'avenir proche... : la démarche en cours qui se concrétise, une vacance du pouvoir... et, la «sortie la plus honorable pour le Président», un compromis pour une transition concerté vers le démocratie... Ce dernier cas verrait l'armée jouer le rôle de régulateur.

-Mardi 22 octobre 2013 : Parution du 3ème tome des mémoires de Ahmed Taleb Ibrahimi, couvrant la période Boumediene-Chadli. Pour lui, Bouteflika est «un libéral qui se prétendait l'héritier naturel de Boumediene». Il aborde, entre autres, les investigations de la Cour des comptes sur les comptes de Bouteflika (seul «client», parmi les personnalités publiques...Depuis son arrivée au pouvoir, les activités de la dite-cour sont gelées)

-23 août 1998 : Cinq corps d'enfants, des collégiens en vacances, copains du même quartier du centre-ville d'Alger, âgés à peine une dizaine d'années sont retirés d'un passage sous-terrain, juste sous «Djenane el Mithak» (qu'ils voulaient certainement «explorer»)... assassinés par des terroristes qui en avaient fait leur refuge. On devine leur effroi et leur souffrance. Aujourd'hui encore, 21 ans après, les parents réclament la vérité sur le carnage des cinq enfants... L'auront-ils ? L'aurons-nous ? A mon avis, jamais, tant que les crimes du terrorisme islamiste de l'époque sont (encore) «excusés» par les tenants de la théorie du «qui tue qui ?». Des tenants ? calculateurs pour les «rescapés» ou ignorants de la chose terroriste pour les plus jeunes - qui reviennent à la charge sous-couvert du Hirak.