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BONJOUR TRISTESSE !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Chanson douce. Roman de Leïla Slimani. Editions Gallimard (collection folio) , Paris 2016, 245 pages, 950 dinars



A travers la triste histoire de la triste vie de Louise, une «nounou» parisienne travaillant pour un jeune couple «petit-bourgeois» (lui, technicien dans l'artistique et elle avocate), ayant deux tout jeunes enfants, «aimés» à la folie (conçus au tout début du mariage dans l'euphorie d'une vie encore sans de très gros problèmes d'intendance) mais qui, désormais, se consacrent beaucoup plus à leurs carrières (en plein réussite).

Ils en sont arrivés, peu à peu, sinon à oublier, du moins à négliger la vie des autres, les enfants y compris. Tout particulièrement celle de la «nounou», engagée suite à un «coup de foudre», une dame toujours disponible et à laquelle les enfants se sont, dès le départ, attachés.

Elle s'occupe de tout... pas seulement des enfants, libérant ainsi le jeune couple de la plupart des contraintes habituelles de la vie familiale. «Invisible» et indispensable ! Ils l'emmènent même en vacances, ce qui est tout dire.

Les habitudes sont désormais prises... et les envies de la cohabitation aussi. La ferme conviction d'être incontournable. Ça bascule alors (en fait un glissement à partir des petits «riens» de la vie quotidienne... des «riens» bien remplis avec les enfants et le couple et bien vides avec elle-même dans son minable studio) dans une autre dimension : l' envie de faire partie totalement, entièrement, de la famille... et même de dicter les conduites du couple. Elle s'est «incrustée» dans leur vie si profondément qu'elle semble impossible à déloger. Allant jusqu'à les «pousser» à avoir un troisième enfant pour se rendre encore plus indispensable ?

Le drame dans l'histoire (qui, semble-t-il, est puisée d'un fait réel) c'est que la «nounou» n'est pas une nounou comme les autres (l'auteure décrit, au passage, et c'est ce qui donne de l'intérêt sociologique à l'ouvrage et de l'épaisseur, la communauté parisienne des nounous, pour la plupart issues de l'émigration, avec ou «sans papiers»). Elle est certes bien française, mais c'est une Française «déclassée», devenue une «sans dents» suite au décès de son époux qui l'a d'ailleurs laissée criblée de dettes, l'obligeant à liquider sa maison et de se réfugier dans un presque taudis. De plus, sa fille unique est partie sans laisser d'adresse.

Elle a réussi sa nouvelle carrière de garde d'enfants de la classe «petite-bourgeoise» mais sa «mélancolie délirante» de nounou maniaque s'est aggravée avec le temps qui passe, avec les angoisses de la vieillesse qui approche, avec des conditions de vie matérielles empirant... et surtout avec une empathie exagérée avec la nouvelle famille. Elle aussi veut ne «plus s'occuper de personne», dormir «quand elle veut» et manger «ce dont elle a envie». De l'autre côté du miroir de la vie, la vision des choses est tout autre... Le drame n'est pas bien loin !

L'Auteure : Franco-marocaine, née à Rabat en 1981, fille de père banquier et haut fonctionnaire marocain et de mère médecin (elle-même de mère algéro-alsacienne) et vivant à Paris. Plusieurs romans, un essai et une bande dessinée. Une récompense, le Prix Goncourt en 2016.

Journaliste à «Jeune Afrique» (permanente puis pigiste), soutien de Emmanuel Macron et désignée en novembre 2017 sa représentante personnelle pour la francophonie, ce qui lui permet de siéger au Conseil permanent de la francophonie au sein de l'Oif.

Avis : Un gentil livre, joliment écrit. Une analyse réaliste de la société parisienne avec ses multiples mondes parallèles. Un roman très franco-français et on comprend mieux le prix Goncourt obtenu, devançant alors le livre de Kamel Daoud... un roman très ou trop algéro-français mettant à mal ( ?) la théorie pro-camusienne d'un soleil d'Algérie grand fautif des dérapages (sic !) racistes.

Extraits : «Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à leurs enfants ? «Dépêche-toi !». Et bien sûr, c'est nous qui subissons tout. Les petits nous font payer leurs angoisses et leur sentiment d'abandon» (p 46). «Nous ne serons heureux que lorsque nous n'aurons plus besoin les uns des autres. Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous appartienne, qui ne regarde pas les autres. Quand nous serons libres» (p 49). «Les journées oisives paraissent interminables. C'est au milieu de l'après-midi que l'on perçoit le temps gâché, que l'on s'inquiète de la soirée à venir. A cette heure, on a honte de ne servir à rien» (p 123).

Citations : «On se sent seul auprès des enfants. Ils se fichent des contours du monde. Ils en devinent la dureté, la noirceur mais n'en veulent rien savoir... Ils ne font pas semblant de plaindre les malheureux» (p 227). «On lui a toujours dit que les enfants n'étaient qu'un bonheur éphémère, une vison fugitive, une impatience. Une éternelle métamorphose» (p 232).

AU FIL DES JOURS :

Actualités :

- Des jeunes filles (de nationalité belge), venues au Maroc dans le cadre du bénévolat (c'est-à-dire gratuitement) pour participer à un chantier dans le sud du Maroc (un reportage vidéo les montre, début août, sous un soleil de plomb, terrassant un chemin d'accès dans un village du sud du Maroc... ce que n'avaient pu ou pas voulu faire les gens du village... ou les jeunes des villes)... et voilà les islamistes du coin qui «dénoncent» leur «tenue légère» (un député) et il y a même un... instituteur (de 26 ans) qui appelle à la «décapitation». Des réactions qui ont vite fait le tour du monde donnant ainsi une «image » du Maroc assez «inquiétante», nuisible à sa politique et à son image touristiques. Déjà, l'assassinat, en 2018, de deux touristes scandinaves avait fait grand bruit.

Bien sûr, la Belgique a vite fait de rapatrier ses bénévoles menacées de mort... l'instituteur a été arrêté pour «incitation à des actes terroristes»... et le député s'est «excusé». Trop tard, le mal est fait ! Et, surtout, l'image d'un Islam tolérant et ouvert sur le monde en prend un coup. A force de voir le «mal» partout ! Même dans le short d'un jeune fille. Des idées de frustrés !

Ce qui est absolument sidérant, c'est que les attaques ou les critiques sont venues (comme toujours) de «planqués» (un instituteur du nord... un député grassement payé et jamais bénévole), alors que les habitants du village et de la région n'ont émis aucune critique et ont été très accueillants et tolérants. Un autre monde. Une autre vie. Une foi pratiquée sereinement...

Citations :

- L'important, ce n'est pas qui fait toutes ces choses, c'est qu'elles soient faites (Propos de F. Fanon rapportés par Alice Cherki, «Frantz Fanon. Portrait». Essai © Apic Editions (Editions du Seuil en 2000 et janvier 2011 pour la postface), Alger 2013).

- En Algérie, les gros affairistes ne comptent plus l'argent, ils le pèsent (Amari Chawki «L'Âne mort». Roman © Editions Barzakh, Alger 2014).

- Ce que j'ai fait de mes vingt ans ? Tu veux savoir ce que j'ai fait de mes vingt ans ? Je les ai confiés à mes aînés et ils ne me les ont pas rendus (Yasmina Khadra, «Les Chants cannibales. Nouvelles» © Casbah Editions, Alger 2012).

- L'algérianité, le patriotisme sont une quête permanente, une disponibilité et un don de soi qui ne doivent jamais s'arrêter. L'algérianité au sens complet du terme ne peut être un fait dû à une paternité ou un lieu de naissance, ni un acquis simple et définitif (Mohamed Said Mazouzi, «J'ai vécu le pire et le meilleur». Mémoires © Casbah Editions, Alger, 2015)

Archives brûlantes :

Dimanche 4 septembre 2011 :

- Pour Slimane Zeghidour, journaliste (TV 5), Franco-Algérien originaire d'El Oueldja, près d'Erraguène (Jijel / Les Babors), interviewé par El Watan, l'Algérie «est un pays entier qui est en train de foutre le camp dans l'indifférence générale...» Je ne sais pas, dit-il, si l'on peut appeler cela de l'indifférence, de l'inculture, de la désinvolture, du suicide inconscient. En parallèle, nous avons... je ne dirais pas de l'urbanisation, je dirais plutôt que c'est un camping de camps de réfugiés. Les Algériens bivouaquent dans leur propre patrie. Ils peuplent leur pays, mais ils ne l'habitent pas. Le littoral algérien est devenu un immense quai d'embarquement. Tout le monde veut partir. Celui qui est dans le village veut aller dans la ville, celui qui est dans la ville veut aller dans la capitale, et celui qui est dans la capitale veut partir à l'étranger... L'Algérie est un énorme bivouac et tout le littoral est un quai d'embarquement»

Lundi 5 septembre 2011 :

- El Watan publie les extraits des dernières révélations» de Wikileaks (www.cablegatesearch.net/search.php) :

. «Chakib Khelil est au cœur de la corruption, selon un responsable de BP et Mohamed Meziane, ancien PDG de Sonatrach, avait signé de nombreux contrats sous la contrainte» (mémo de février 2010 de l'ambassadeur US à Alger, Pearce).

- «L'ambassade américaine avait remarqué des «incohérences» dans l'élection présidentielle de 2009 «(mémo du 9 avril).

- «Larbi Belkheir n'était pas «enthousiaste» pour la Charte pour la réconciliation nationale» (câble du 12 septembre 2005 de l'ambassadeur Eardman).

- «Ghozali désapprouve (entretien avec l'ambassadeur Eardman) la méthode Bouteflika et le DG des Douanes lui a révélé que 70% des cadres supérieurs des Douanes ont été corrompus».

- «Les Français ont tenté de limiter la circulation d'informations relatives à la vie privée et aux ambitions politiques de Saïd Bouteflika» (câble de l'ambassade américaine à Paris, décembre 2009 qui cite une chargée de mission française, Anne-Marie Legendre)... un homme «qui a travaillé étroitement (lors de la présidentielle de 2009) avec les leaders du RND, avec des technocrates laïcs et des hommes d'affaires». Mais, «on s'interroge si cette association allait aboutir à quelque chose».

- «La nomination d'Ahmed Ouyahia au poste de Premier ministre aurait été dictée par le général Mediène (câble du 14 mars 2007), et c'est le successeur éventuel de A. Bouteflika «. Les diplomates américains se sont basés sur une discussion avec le député du RND, Abdesslam Bouchouareb, un proche de Ahmed Ouyahia... mais, aussi, proche de Saïd Bouteflika... et, aussi, avec Ismail Chikhoune (qui dirige le Forum d'affaires algéro-américain) ainsi qu'avec Amara Benyounès, le SG de l'UDR.

- «Bouteflika et Ouyahia - mariés professionnels forcés - ont besoin d'un thérapeute de couple» (câble du 21 août 2008).

- «Selon Benflis, Bouteflika a mis le feu en la demeure» (mémo de janvier 2008).

- «Le nomination de Mohamed Bedjaoui (un «vrai diplomate et non un renégat du FLN ou du RND» - Belkhadem étant un «islamiste conservateur» - est bien accueillie par l'ambassadeur américain. Il a une vision laïque algérienne dans le monde» (câble du 2 mai 2005).

Mardi 6 septembre 2011: - La presse publie des extraits des dernières dépêches de Wilkileaks:

- «Comment le pouvoir tente de canaliser l'islam politique» (télégramme de l'ambassade US à Alger, de novembre 2007)

- «Avec la montée d'Al Qaïda et l'extrémisme, le gouvernement de Bouteflika s'est appuyé sur les zaouïas afin de jouer la carte de la tolérance et du dialogue, tout en exploitant son penchant vers l'Islam soufi à des fins politiques... Bouteflika est «sunnite le jour, soufi la nuit» (télégramme de novembre 2007).

- «Bouteflika voulait un remplaçant «loyal» à Tounsi» (câble du 2 février 2010).

- «Le Département d'Etat exige des informations sur Saïd Bouteflika» (câble du 8 décembre 2009).

- «L'affaire Orascom suivie de près» (note confidentielle de février 2008).

- «La liquidation de Khalifa Bank : le gouvernement algérien n'est pas tellement «chaud» quant à l'extradition d'Abdelmoumène Khalifa «(mémo du 19 novembre 2007). «C'est la théorie du complot qui prévaut mais la majorité des Algériens pensent que la liquidation de Khalifa Bank est une affaire politique»... et, «beaucoup pensent que la démolition de Khalifa TV a été «décidée» par Bouteflika dans le sillage des préparatifs des présidentielles de 2004 dont il était candidat à sa propre succession».