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Quand des intellectuels s'échangent les vœux de l'Aïd: Ils signent «l'ordre de mission des nouvelles générations»

par Ghania Oukazi

« Les maîtres d'hier découvrent la réalité amère des prisons, de la vindicte populaire et de l'inversion quasi géométrique des rôles, des places et des fonctions (?). Ces acteurs disqualifiés du capitalisme prédateur en Algérie appartiennent tous à une sociologie - qui reste certes à faire - tout droit issue de la culture khaldounienne de la GHANIMA ».

L'économiste et directeur de l'IDRH (Institut des ressources humaines), Mohamed Bahloul Echakir, s'adressait par ces propos à Taïeb Hafsi, professeur titulaire de la chaire de management Stratégie et Société, HEC Montréal. En fait, il répondait à un message de vœux que Hafsi lui a présenté à l'occasion de l'Aïd El Adha. Mais en réalité, les deux professeurs se sont échangés, d'une manière succincte certes mais combien éclairante, leurs visions sur la situation que traverse l'Algérie. La crise politique dans toute son ampleur, Bahloul et Hafsi lui ont trouvé des mots simples mais justes et profonds de sens.

« Cette année, Aïd El Adha porte bien son nom. Le sacrifice est sur la place publique tous les jours », commence par écrire le professeur Hafsi. « Comme Ibrahim El Khallil, les Algériens font face au défi le plus important de leur vie et ils répondent comme lui, par l'acceptation du sacrifice au nom de la croyance dans un avenir meilleur », pense-t-il. Pr Hafsi aimerait croire que « Comme pour El Khallil, Dieu nous aidera à remettre les choses en place après cette longue lutte pour la liberté et les égarements des plus faibles ». Avant de terminer son message, il ne manque pas de relever que dans cette transformation, l'énergie est fournie par ceux qui brûlent au front, en particulier les entreprises et dirigeants honnêtes ». Il est persuadé que « beaucoup sont avilis, dans un amalgame désolant, à la recherche de bouc-émissaires pour justifier les déviances des égarés ». Sa conclusion est que « Aïd El Adha est aujourd'hui un hommage à ceux qui ont la foi et continuent à tirer la charrue dans l'obscurité ». Le professeur Bahloul lui répond que « Les temps sont plus qu'incertains ». Il décrit la situation dans toute sa complexité. « Les maîtres d'hier découvrent la réalité amère des prisons, de la vindicte populaire et de l'inversion quasi géométrique des rôles, des places et des fonctions ». Dans la société du TAG 3ALA MAN TAG où l'homme est un loup pour l'homme selon le bon mot de Hobbs, dit Bahloul à Hafsi, il y a dans le système qu'ils ont contribué à bâtir en architectes non avertis, cette loi implacable qui a fonctionné : les prédateurs tout puissants d'hier peuvent à tout moment devenir la proie d'aujourd'hui ». Bahloul est persuadé que « C'est le cas ». Il estime ainsi que « Précarité, instabilité et rapport de force caractérisent ce système, sous réserve de prouver leur innocence, ce dont je doute car le financement relationnel est une marque, un attribut du système ALGERIE, ECONOMIE ET SOCIETE ». Un système qu'il affirme être « au cœur de la gouvernance collusoire qui fait que la proximité vis-à-vis des centres de l'administration et de la délibération, est source de gains et de richesses et non la proximité vis-à-vis des centres de la compétition et de la concurrence. D'où, les logiques plutôt d'enrichissement que de création de richesse qui distinguent l'Algérie ». En conséquence, constate Bahloul, les mauvais compétiteurs sont favorisés au détriment des meilleurs. Il persiste et signe : « Rien n'est possible sans cet enrichissement ». « Pour te parler franchement », dit-il encore au professeur Hafsi, « ces acteurs disqualifiés du capitalisme prédateur en Algérie appartiennent tous à une sociologie - qui reste certes à faire - tout droit issue de la culture khaldounienne de la GHANIMA ». Cette culture repose, affirme-t-il, « sur la ruse, la violence et la confusion entre espace public et espace privé ». « Je t'avoue », dit-il à son ami, que « j'avais une certaine idée de l'état de la corruption dans notre pays (j'ai eu à réaliser la première étude sur le thème en 2003 à la demande de l'Institut de la Banque Mondiale) mais pas à ce point. Je suis fortement interpellé comme tous les patriotes de notre cher pays ».

Le professeur Bahloul reconnaît que « nous avons besoin de comprendre, cher ami. Nous avons besoin d'éclairage ». Car, souligne-t-il « la construction des institutions ne sera pas une promenade d'autant plus que notre société ne s'est jamais essayé à cet exercice périlleux, pénible et exigeant du temps, beaucoup de temps ». L'économiste souligne que « des siècles, oui des siècles !!! ont été patiemment investis par les sociétés avancées pour bâtir cette grande articulation (unité dans la contradiction) ETHIQUE / MARCHE qui se nommera l'État de droit.       

Les meilleurs esprits ont été mobilisés, se sont investis, prenant des risques énormes, pour construire un mécanisme qui n'a jamais existé auparavant dans l'histoire tragique de l'humanité et qui a la magie de réguler les conflits dans la société ». « C'est me semble-t-il », conclut le professeur Bahloul, « l'ordre de mission des nouvelles générations ».