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Un phénomène aux allures inquiétantes: La violence s'enracine

par Abdelkrim Zerzouri

  Ces trois derniers mois, quatre wilayas ont été ébranlées par des crimes sanglants, commis par des jeunes sur des victimes non moins jeunes, à Relizane, Alger, Skikda, et ces derniers jours à Ali Mendjeli (Constantine), où la folie meurtrière a emporté des victimes qui n'ont pas encore atteint l'âge de raison. Les tribunes des stades sont devenues des arènes de combat. Tout est prétexte au déclenchement des hostilités violentes, dans la rue, au café, dans les domiciles, à l'école et au niveau des cités-dortoirs.

«La violence, sous ses aspects multiformes, est devenue un phénomène récurrent au sein de la société algérienne», s'est inquiété, hier, le professeur Mustapha Khiati, lors de son intervention à l'émission l'Invité de la rédaction de la chaîne 3 de la Radio algérienne. Le président de l'Association pour la promotion de la santé et de la recherche scientifique (Forem) constate que cette violence s'est propagée «partout», dans la rue, les stades, les écoles et jusque dans les domiciles.

S'il y a bien un phénomène qui inquiète, donc, au plus haut degré les autorités et la société toute entière, c'est bien cette ampleur de la violence qui sévit partout et à laquelle plus personne ne peut échapper, notamment dans le milieu juvénile. Les jeunes sont en majorité les premiers à faire acte de violence et à le subir, comme on le constate dans la vie courante quotidienne. Ce n'est pas un constat propre à l'Algérie, car l'OMS considère «la violence chez les jeunes comme un problème de santé publique mondiale», mais il est impératif d'initier des actions profondes dans le volet de la prévention, dont l'efficacité est louée par les spécialistes, afin de corriger le facteur risque sur plusieurs niveaux, individuel, familial et communautaire ou social.

Etayant son constat par des statistiques révélatrices de ce boom de la violence, communiquées par un représentant du ministère de l'Education nationale, le Professeur Mustapa Khiati relève, à titre d'exemple, qu'en 2014, ont été observés 40.000 cas de violence dans les écoles, opposant notamment des élèves ou bien ces derniers à leurs enseignants. Il fait également état des 7.300 cas de violence contre les femmes, signalés en 2015, un chiffre qui est passé à 8.400 cas en 2016. Des violences contre les enfants et des enlèvements dont ils sont parfois l'objet, il indique qu'ils ont donné lieu à une vingtaine d'études, suivies de propositions de la part de son association, dont seulement une, dit-il, a suscité «une écoute» du ministère de l'Intérieur, les autres étant restées «lettre morte». Le constat saute aux yeux, la violence gangrène les relations humaines à tous les niveaux de la société, mais le remède à prescrire, personne ne semble trop pressé d'aller chercher la potion magique correspondante. Selon le professeur Khiati, les violences observées, aujourd'hui, trouveraient leur origine dans les «années du terrorisme», remontant pour certaines parmi elles à la «guerre de Libération, et même avant», durant la période d'occupation du pays et se perpétuant jusqu'à nos jours. Citant l'exemple de quelque 1 million d'enfants qui ont eu à subir la violence du terrorisme islamiste, durant les années 90, et dont environ, signale-t-il, 50.000 ont bénéficié d'un suivi psychologique, le président de la Forem observe que cette prise en charge permet de réduire la violence, mais «ne peut pas l'effacer». S'il se félicite que certains aspects, tel celui de l'accès à un logement d'environ de plus d'un million de familles, aient permis d'améliorer le cadre de vie des gens, il n'en regrette pas moins qu'ils n'aient pas été accompagnés de structures culturelles, sportives, sociales et d'écoute laissant entrevoir des risques latents et «plus graves» encore de violence.

Sur ce plan, les autorités guérissent le mal par un autre. Agissant dans la précipitation, et n'attendant guère la réalisation des équipements d'accompagnement, les autorités procèdent à des relogements massifs, réglant le problème des mal-logés en casant les populations dans des méga-pôles urbains qui rassemblent des milliers de nouveaux locataires dans des cités-dortoirs. Foyers de tension et d'éclatements cycliques de bagarres rangées, voire de guerre de gangs, comme on en a vu à Ali Mendjeli et dans d'autres contrées à travers le pays, expression parfaite d'une explosion démographique qui entraîne une expansion urbaine, ces îlots de la violence souffrent initialement d'une couverture sécuritaire à parfaire et d'une cohésion sociale qui se mettra en place avec le temps. «Les prochaines années seront porteuses de tous les risques en matière d'accentuation du phénomène de la violence, et bien malin celui qui pourra y mettre un frein», nous confiait, il y quelques années, un haut officier des services de sécurité, qui considérait cette violence comme un phénomène naturel lié à plusieurs facteurs, dont l'explosion démographique et la crise socioéconomique.

«Il faut juste joindre les efforts entre société civile, école, et services de sécurité pour limiter les dégâts en agissant dans la prévention, circonscrire le phénomène dans des cercles restreints, et renforcer la lutte contre le crime organisé, développement fatal de la petite criminalité», estimera notre confident, ex-cadre de la DGSN.