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Iran-Arabie Saoudite : Les messages d'Alger

par Ghania Oukazi

L'Algérie a distillé d'importants messages situant les responsabilités de l'Iran et de l'Arabie saoudite dans la dégradation de la situation dans la région mais elle a surtout rappelé les priorités qui interpellent le monde arabe et musulman.

Elle l'a fait par la voix de son ambassadeur en Egypte et représentant auprès de la Ligue arabe, Nadir Larbaoui, au cours de la réunion extraordinaire tenue dimanche dernier à la demande de l'Arabie saoudite. C'est le Conseil de la Ligue arabe qui s'était réuni au niveau ministériel mais, faut-il le noter, aucun des ministres algériens, ni Lamamra ni Messahel, n'y ont assisté. Le refus de l'Algérie de se faire représenter à cette réunion par son ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères ou son ministre chargé du Maghreb et de la Ligue arabe, est le premier signe de sa désapprobation des comportements de la République islamique d'Iran et de l'Arabie saoudite depuis la crise qui a éclaté entre eux le 3 janvier dernier suite à l'exécution par Riyad du cheikh Nimr Baqer Al Nimr, autorité religieuse chiite. (Voir p. 4 du Le Quotidien d'Oran du mardi 5 janvier 2016). Elle n'était pas par conséquent très chaude pour assister à un tel «rappel» des troupes arabes.

Il faut croire que l'Algérie a toujours compté sur la pertinence de son ambassadeur en Egypte pour exprimer exactement ce qu'elle pense des questions les plus importantes qui concernent le monde arabe et musulman et même au-delà. Ambassadeur qui a déjà fait parler de lui, entre autres, dans des moments cruciaux comme le déclenchement de ce qui est appelé hypocritement «les printemps arabes» lorsqu'il a défendu bec et ongles les positions de l'Algérie auprès de certaines monarchies. L'on nous dit d'ailleurs du côté du ministère des Affaires étrangères que «l'activisme diplomatique de l'ambassadeur algérien a permis d'expurger les textes de la réunion du Conseil de la Ligue arabe de toutes mesures opérationnelle de nature diplomatique ou économique, telles que celles prises par certains pays du Golfe».

L'ART DIPLOMATIQUE, ENTRE REPROCHES ET SOUS-ENTENDUS

L'intervention qu'il a présentée devant le Conseil de la Ligue arabe lors de sa dernière réunion extraordinaire, Nadir Larbaoui l'a élaborée ainsi, conformément à l'art de la diplomatie qui est incrusté de messages condensés et de grandes subtilités. D'entrée de jeu, il a souligné «la multiplication et l'aggravation des conflits et des crises qui secouent le monde arabe depuis plusieurs années, jusqu'à menacer les fondements de certains Etats, à l'exemple de la Syrie, le Yémen et la Libye.» Conséquence de situations aussi décadentes, «nos préoccupations de la cause palestinienne qui est notre première et principale cause, ont été reléguées à un niveau qui est loin de convenir aux sacrifices et aux combats du peuple palestinien frère et sa forte volonté de fonder un Etat indépendant avec El Qods Echarif comme capitale», a-t-il dit. L'ambassadeur a noté avec fermeté que «mon pays, l'Algérie, n'a eu de cesse, depuis le début de ces crises, de prévenir de leurs conséquences graves sur la sécurité et la stabilité et insiste avec force et ce, en référence à sa profonde conviction au droit des peuples à l'autodétermination, sur le respect de deux principes cardinaux et stables dans sa politique extérieure, conformes au droit international et aux règles qui régissent les relations entre les Etats». Larbaoui rappelle alors «le principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats qui consiste entre autres, au respect de décisions prises par des institutions d'Etats souverains, et l'interdiction faite à d'autres Etats de les commenter ou de réagir à leurs effets». Le 2ème principe impose le règlement des conflits par les voies pacifiques et la préférence au dialogue, à l'entente et à la réconciliation nationale afin de dépasser les clivages internes et aboutir à des solutions politiques consensuelles notamment dans un contexte régional précaire confronté à l'escalade de la menace terroriste et le crime transnational».

TEHERAN ET RIYAD MIS DOS A DOS

D'une pierre trois coups, l'Algérie a par ses rappels tenu selon toute vraisemblance à mettre dos à dos l'Iran et l'Arabie saoudite en accusant le premier d'avoir non seulement commenter la décision de la justice saoudienne d'exécuter cheikh Al Nimr mais d'avoir laisser incendier l'ambassade saoudienne à Téhéran et son consulat à Mashed. Elle condamne cependant, en même temps, l'acte d'exécution d'Al Nimr puisqu'elle reproche au royaume wahhabite de ne pas avoir choisi «les voies pacifiques, le dialogue, l'entente, la réconciliation nationale afin de dépasser les clivages internes et aboutir à des solutions politiques consensuelles». Al Nimr était bien Saoudien mais chiite, opposant à ses gouvernants sunnites. «On n'a pas le droit d'exécuter un leader d'opinion, les Etats ne doivent pas éliminer physiquement des citoyens pour leurs opinions», nous disait un politologue au lendemain de l'exécution d'Al Nimr et 46 autres Saoudiens.

L'Algérie s'étonne qu' « au moment où on a accueilli l'accord politique entre nos frères Libyens (?), en le considérant comme une étape importante vers la constitution d'un gouvernement d'union nationale (?), et au moment où apparaissent à l'horizon les prémices de règlements politiques dans la région, on se trouve face à une escalade des tensions suite à ce qu'a subi l'ambassade d'Arabie à Téhéran et son consulat à Mashed (?).» Escalade qui, dit Alger par la voie de son ambassadeur, « m'inquiète beaucoup tout autant que la communauté internationale quant à ses probables conséquences sur la paix et la sécurité dans la région et dans le monde». L'Algérie refuse, dit-elle encore, «toute attaque contre les représentations diplomatiques en tout endroit et en toute circonstance (?) et insiste sur la nécessité de les protéger et de les préserver conformément au droit international (?).»

LES SUBTILITES ALGERIENNES

C'est par la voie diplomatique la plus subtile qu'elle reproche ainsi à Téhéran d'avoir permis les attaques des représentations diplomatiques saoudiennes et de ne pas leur avoir assuré la protection. Mais elle distille en même temps un message de reconnaissance aux autorités iraniennes en rappelant qu'elles en ont exprimé leurs regrets (?) et «se sont engagées à déployer des efforts pour arrêter et faire juger les auteurs (des attaques. Ndlr)». Ce qui représente, pour elle, «un pas positif en vue de contenir la crise». Elle se tourne encore vers l'Arabie saoudite pour lui en vouloir de s'être empressée de rompre ses relations diplomatiques avec l'Iran. Larbaoui a affirmé ainsi dans son intervention que «mon pays a exprimé son profond regret vis-à-vis de la détérioration des relations déjà complexes entre les deux pays frères, et qui se transforment en une crise ouverte qui fait imploser les efforts régionaux et internationaux à trouver des solutions politiques (?) et perpétue les souffrances des deux peuples syrien et yéménite.(?).» Une détérioration qui, continue-t-il de dire, «contracte en outre les volontés et les efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et constitue une menace directe sur la sécurité et la stabilité des pays de la région en particulier et du monde en général». L'Algérie interpelle en même temps la communauté internationale pour qu'elle ne continue pas à jeter de l'huile sur le feu entre deux pays qui s'affrontent en permanence depuis la nuit des temps. Affrontements sournois qui servent en évidence les intérêts tout aussi sournois des puissants de ce monde comme les Etats-Unis et Israël, conformément à des plans géopolitiques et géostratégiques par lesquels ils entretiennent fortement et sûrement leur hégémonie sur la région et sur le monde.

LES AVERTISSEMENTS D'ALGER

L'Algérie a appelé avec insistance, rappelle son ambassadeur, «les autorités politiques des deux pays au calme et a formulé le vœu sincère que la crise actuelle soit rapidement contenue et que, par le dialogue et la négociation, les deux pays puissent parvenir à l'élimination des facteurs de tension dans leurs relations diplomatiques dans l'intérêt de leurs peuples ainsi que de la paix et de la sécurité internationales». Tout en soulignant «le caractère des plus sensibles du contexte géopolitique et sécuritaire», elle replace les deux pays dans leur rang respectif de membre de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) et les met, encore une fois, dos à dos en leur demandant de respecter «leurs engagements vis-à-vis des valeurs et préceptes de l'islam notamment la sacralité de la vie humaine et la non violence entre les frères, tout en évitant la confrontation entre eux quelles que soient les circonstances».

L'Algérie conclut ses nombreux messages qu'elle a tenu à faire parvenir aux pays membres de la Ligue arabe en souhaitant que la réunion extraordinaire de dimanche dernier leur permet de «se rendre compte de l'importance des dangers et des défis auxquels nous faisons face et aux dimensions politiques, sécuritaires et économiques ». Le clin d'œil algérien à l'Arabie saoudite de par sa position très controversée vis-à-vis de la chute vertigineuse des cours du pétrole est assez clair dans cette conclusion. En tout état de cause, Alger estime en dernier que «personne ne peut prévenir les conséquences catastrophiques de situations aussi détériorées sur notre monde musulman, excepté les organisations terroristes qui s'en nourrissent et les exploitent pour se renforcer, se déployer et accroître leurs opérations criminelles».