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Exposition de Saïd Chender à Pigier: Quand le temps se refuse à l'espace

par Ziad Salah

A première vue, la peinture de Saïd Chender est apaisée et apaisante. C'est une simple illusion. Certes, l'artiste a dépassé sa période sombre, coïncidant avec la décennie du terrorisme et où il ne pouvait pas se passer d'au moins une tache noire sur ses toiles. Ses dernières créations se sont réconciliées progressivement avec la couleur. Il est passé par les couleurs pastel pour aboutir à l'ocre et au rouge.

Mais cette évolution s'inscrit toujours dans une problématique combinant un décalage entre le temps et l'espace. Autant la question de l'espace dans les toiles de Chender semble résolue, autant la question du temps chez lui reste insaisissable. Pour dire les choses simplement, la toile de Chender est divisée en trois. Des fois avec quelques variantes. C'est ce qu'il appelle lui «le triptyque». Cette organisation de l'espace de la toile est récurrente chez notre artiste depuis plus de dix ans. Au point de devenir un trait distinguant et identifiant son œuvre, une signature.

D'autre part, les personnages de ses toiles, souvent des femmes, occupent le centre de la toile où ils sont «éparpillés» en respectant une certaine centralité, par moment très rigoureuse. Donc, sur le plan de l'organisation spatiale, Chender semble avoir réglé la question et depuis fort longtemps. Sa toile nommée «El Goum», datant de 2010, ne déroge pas à cette règle. On y relève les mêmes principes de l'organisation de l'espace.

Concernant le temps, c'est une autre démarche. Chender, qui se réclame du semi-figuratif, ne fixe jamais les personnages de ses toiles. Propulsés au milieu de l'œuvre, ils ne se départent pas d'un aspect furtif. On dirait qu'ils sont fuyants par rapport au regard en premier lieu. Ce qui donne une impression presque de malaise devant ces corps de femmes immobiles et volatiles à la fois. Des fois, on a l'impression que la toile est un simple moment du processus de capture photographique. Ce qui donne des silhouettes ou de simples formes évoquant la gent féminine. Ce qui se traduit surtout par l'impossibilité de distinguer les traits des personnages. Parce qu'ils représentent un moment précis, mais se prolongeant toujours, ils sont enveloppés dans le flou, dans l'inexact.

Ce traitement différencié de l'espace et du temps confère à la toile de Chender une autre particularité : la juxtaposition presque parfaite de deux plans. Les personnages, s'émouvant dans une sorte de fixité, évoluent dans un cadre prédéfini et bien arrêté.

Loin de ces considérations, Chender demeure très ancré dans la culture locale. Son inspiration, il la puise des variantes du vécu. Contrairement à son pessimisme d'avant, les nouveaux sujets de Chender réfèrent à des moments de fête et de joie où la tradition est lourdement présente. Citant à titre d'exemple Tebraz, Femme fleur, Ziarat?

Aussi, sur le plan des matériaux utilisés par ce peintre, Il passe de la toile au papier sans le moindre complexe. Chender n'est pas du genre qui prétend qu'en face de la toile vierge il laisse libre cours à son pinceau. Au départ, il doit imaginer sa toile dans ses moindres détails. En tout cas, plusieurs connaisseurs de l'univers pictural algérien le considèrent comme le meilleur peintre de sa génération. Son exposition, que nous devons à la Galerie Lotus, et qui se déroule chez Pigier, durera jusqu'au 6 juin prochain. Elle est à visiter et revisiter?