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Alors que cinq femmes ont été tuées: 20.000 cas de violence à Oran, depuis 2009

par J. Boukraâ

Une femme a été frappée jusqu'à la mort par un mari «sûr de son droit régalien de vie ou de mort». Chaque jour, la presse locale et nationale fait état de ce genre, si particulier, de «faits divers». Un fait divers parmi tant d'autres qui passent presque inaperçus.

A Oran et à l'instar des autres grandes villes du pays, le phénomène de la violence contre les femmes prend des proportions inquiétantes. Depuis janvier 2009 à ce jour, pas moins de 20.000 cas de violence sur des femmes ont été recensés par les différents services et à leur tête la direction de l'Action sociale. Durant la même période, 5 femmes ont été tuées par leurs conjoints dont 2 par arme blanche. Parmi elles, une femme à la fleur de l'âge, frappée avec une batte de base-ball par son mari, puis jetée dans une fosse comme une épave. Rachida, appelons-la ainsi, 24 ans, mère d'un nourrisson de 4 mois, résidant dans la banlieue de la wilaya d'Oran, a été tabassée par son mari puis jetée dans un ravin dans la localité de Hassiane Toual (ex Fleurus), à l'est d'Oran.

Découverte par les riverains, elle a été évacuée vers l'hôpital. Après cinq mois de coma, elle rendra l'âme sans qu'elle ait pu revoir son enfant désormais orphelin, à cause d'un père violent. L'histoire de Rachida n'est malheureusement pas un cas isolé. Le service de la médecine légale du centre hospitalo-universitaire d'Oran reçoit chaque mois, entre 35 et 45 femmes victimes de violence domestique qui viennent se faire délivrer des certificats médicaux. La moitié des lésions constatées sont des ecchymoses, mais il y a également des hématomes, des fractures et des brûlures. En général, 82% des cas nécessitent des soins légers, alors que 11% nécessitent des sutures, entre autres. Les trois quarts des femmes venant se soigner ne sont pas à leur première expérience. Leurs «agresseurs» n'ont jamais été condamnés, bien que la plupart d'entre eux soient «récidivistes», en matière de coups et blessures. Nombreuses sont les femmes qui se rapprochent de la police pour déposer plainte et ne reviennent pas pour déposer le certificat médical exigé dans ce genre de cas. Selon des chiffres communiqués par la direction de la police judiciaire, les grandes villes enregistrent le plus grand nombre de cas de violence à l'égard des femmes. Alger vient en tête suivie de la wilaya d'Oran puis celle d'Annaba. L'enquête réalisée en 2009, par le réseau national des centres d'écoutes, en collaboration avec le centre d'information et de documentation sur les droits de l'enfant et de la femme (CIDDEF), sur un échantillon de femmes victimes de violence, indique que «l'agresseur type est un homme et est le mari de la victime dans 51% des cas. Abordant les facteurs de risque de violence, l'enquête a identifié les facteurs économiques défavorisés (chômage, problème de logement ?), les maladies mentales, l'alcoolisme, la consommation de drogue, les situations engendrant de graves frustrations chez l'agresseur telle la situation d'infériorité par rapport à la victime et les situations de fragilité particulière des victimes d'handicap (plusieurs victimes qui ont consulté les cellules d'écoutes souffrent d'handicap physique et/ou mental, certaines ont même été abusées sexuellement par leurs proches). Il y a aussi des victimes qui ont des antécédents honteux. Cette violence a aussi un impact sur les enfants. Dans ce contexte, l'enquête réalisée par le CIDDEF a révélé que 63% des enfants des femmes victimes de violence (touchés par l'enquête) souffrent de troubles psychologique, 15% de déperdition scolaire, 8% d'absentéisme, 6% de violence à l'école et 1% de vagabondage. Par ailleurs, le modèle patriarcal est à l'origine d'une autre forme de violence, notamment quant il s'agit du transfert du pouvoir paternel.

Deux femmes sur trois «acceptent» la violence conjugale

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, plus de deux femmes sur trois acceptent qu'un mari batte sa femme, selon les résultats de la troisième enquête nationale à indicateurs multiples (MICS3), pour la période 2006-2009, réalisée par le ministère de la Santé en collaboration avec d'autres organismes. Ces femmes disent accepter qu'un mari puisse battre sa femme si elle sort sans l'avertir, si elle néglige les enfants, si elle se dispute avec lui, si elle refuse d'avoir des rapports sexuels et si elle brûle la nourriture. L'enquête révèle que l'acceptation de la violence conjugale «est plus généralisée à l'est du pays par rapport aux autres régions, où 78,9% acceptent qu'un mari batte sa conjointe pour l'une des raisons évoquées». L'enquête fait ressortir une plus grande acceptation du phénomène en zone rurale avec 74,6% contre 62,7% en zone urbaine. Les femmes mariées sont «relativement» plus nombreuses à accepter cette pratique que les célibataires et les femmes divorcées ou veuves. L'enquête révèle que «plus le ménage est démuni, plus le recours à la violence paraît toléré et normal», la preuve est que 79,6% des femmes tolérantes sont issues des ménages pauvres. Le niveau d'instruction de la femme demeure le facteur «le plus discriminant» quant à l'acceptation de ce phénomène, puisque l'enquête indique que plus les femmes sont instruites, plus elles ont tendance à moins tolérer la violence conjugale.

 Il est expliqué, à ce sujet, que 85,7% des femmes jamais scolarisées acceptent la violence conjugale pour au moins une raison. Cependant, cette proportion diminue à mesure que s'élève le niveau d'instruction pour atteindre 40,5% auprès des femmes de niveau universitaire. Parmi les mesures prises pour faire face à ce phénomène, une banque de données et de collecte de statistiques sur le phénomène de la violence contre les femmes a été créée au niveau de la wilaya d'Oran. Parallèlement à la création de cette banque, il a été installé deux cellules d'écoute dans les services des urgences sociales et de suivi et de l'éducation en milieu ouvert (SOEMO), dirigées par des spécialistes en psychologie, en sociologie, en éducation, en médecine légale et de représentants d'associations féminines et sociales. Ces cellules d'écoute ont pour mission d'accompagner psychologiquement, socialement et juridiquement les femmes battues.

 Une autre cellule d'écoute psychologique et juridique est implantée au centre-ville, à «Haï El-Moudjahid» (ex-Miramar), au nouveau du siège de l'association FARD (Femmes algériennes revendiquant leur droit). Qu'elle soit tolérée ou bannie, la violence est vécue avec humiliation par la femme au foyer, au travail et dans la rue. La lutte contre ce phénomène concerne tout le monde, notamment l'homme.