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Plages: A Aïn Franine, c'est encore possible !

par Ziad Salah

Collés presque l'un à l'autre autour d'une table en plastique, se protégeant sous un parasol, quatre Chinois, portant tous chemisette blanche et lunettes noires, se sont aventurés en fin de matinée à Aïn Franine. Une note d'exotisme sur une plage pittoresque.

Sur la route serpentée menant à Aïn Franine, Sabrina sort sa tête de la voiture et brise le silence régnant dans la voiture «oui, la mer est calme !». Quelques minutes plus tard, l'état vide du parking de la plage confirme son constat qui va s'avérer à moitié vrai. Des baigneurs d'un type particulier, ne disposant pas de véhicules, étaient là bien avant Sabrina et ses accompagnateurs. Un groupe de femmes d'âge mûr, portant des robes d'intérieur étaient déjà dans l'eau. Deux d'entre elles de constitution robuste essayaient de traîner une vieille pour la faire profiter des bienfaits de l'eau de mer. Risquant un pas derrière l'autre, elle semble consentante.

La scène apparaît très familiale, ce qui poussera Houari, chargé d'attirail de plage comme une mule, de forcer la cadence pour ne pas gêner cette intimité à ciel ouvert. Parce qu'il est accompagné de Lina et Romaïssa, ses deux filles encore en bas âge, il opte pour le coin le plus reculé de cette plage où des rochers constituent un brise-vague naturel. Sous la paroi d'un rocher, une femme s'empresse d'enfiler un « saroual ». Son mari donnait des cours de natation à son fils. L'autre, devant avoir douze ans au maximum, se débrouillait tout seul dans l'eau. L'épouse ne tardera pas à les rejoindre. Evidemment, elle gardera sa robe longue qui se collera à sa peau une fois mouillée. Au bout d'une heure, ce groupe décide de décamper. Ils n'ont pas ramené de nourriture, ce qui explique peut-être leur passage rapide. L'homme emporte avec lui une bombonne d'eau de mer. Pour des besoins thérapeutiques ? Allez savoir.



On sort les marmites !



Pendant que Houari, allongé sur une chaise longue, lisait tranquillement son journal, ses deux filles et leur cousine se barbouillaient dans l'eau. Leur jeune âge ne leur permet pas de prendre conscience de leur bonheur: disposer d'un bout de plage à elles seules. De temps à autre, Lina grelottante rejoint son père. Il l'enroule dans une grande serviette et la place sur la chaise pliante de couleur rose qu'il lui a ramenée. Ce qui s'apparente à une ostentation dans cette plage investie par les gens modestes. Vers la fin de la matinée, des groupes de jeunes, munis de sacs et surtout de l'inévitable bouteille d'eau, déboulent de partout. Certains d'entre eux, probablement habitant les environs de douar Belgaïd et connaissant les sentiers de ce terrain accidenté, n'empruntent même pas les escaliers permettant l'accès à cette plage. Des groupes de femmes, accompagnées de leur marmaille, débarquent. A l'aide d'un pare-soleil et d'un drap, on confectionne, on se crée un espace intime. Sans ménagement, elles traînent les gosses à l'eau. Ce qui donne des scènes de cris et même de hurlements. Mais on retiendra qu'après l'attente devant les portails des écoles, l'apprentissage de la natation aux enfants est désormais une tâche assumée de plus en plus par les femmes. Toutes, sans exception, portent des robes d'intérieur et ignorent ou répugnent le port du maillot. Décence oblige...

Vers midi, une sorte de logique semble avoir présidé spontanément et naturellement l'occupation de l'espace de cette plage grande sur plus d'un kilomètre. Les familles optent pour le milieu. Elles ne s'éloignent pas trop des deux escaliers dont l'un mène vers une sorte de buvette où l'on vend notamment l'eau et la limonade. D'ailleurs, en milieu de journée, on dégage les marmites des fonds des sacs. Parce que à la fois nourrissant et peut être consommé froid, le riz au poulet semble le plat préféré de ces estivants reproduisant, sans manière, la convivialité propre au «haouch». On ne peut pas prétendre que ces moments de repas manquent d'entrain.



Pantalon et hidjab...



Une certaine forme de pittoresque se dégage de ce transfert du regroupement familial d'un espace clos vers le plein air. Une fois rassasiés, enfants et femmes reviennent à la mer. Ici, on ignore ou on méprise allègrement les recommandations prodiguées par la télévision déconseillant l'exposition au soleil entre midi et deux heures de l'après-midi et surtout après le repas. Comme on ne se soucie pas de vêtir les enfants en bas âge. D'ailleurs, la plupart d'entre eux portent leur slip en guise de maillot de bain. Encore là, on choisit tout naturellement la proximité. Gardant le même accoutrement, les femmes fuient la chaleur des tentes bricolées pour allonger leurs membres inférieurs dans l'eau pour se procurer de la fraîcheur. Probablement on reprend une discussion entamée avant le partage du repas.

Des jeunes filles, habillées en pantalon long et gardant le hidjab, s'aventurent un peu plus loin. Elles ne peuvent pas résister à cet insondable appel de déploiement libre des corps qu'émettent les vagues. Quelques mâles, venus plutôt en vigiles, font des allées et venues entre les tentes et la mer. Après quelques brasses pour dissuader des intrus dans un territoire devenu familial par la force des choses, on revient au poste de garde pour griller une cigarette et siroter son café. Quant aux jeunes et quelques couples, ils préfèrent s'installer sur les extrémités offrant plus de discrétion. Surtout dans les creux des rochers offrant des abris naturels. Ici, la nourriture se limite au bout de pain avec des portions de fromage. Les plus argentés rehaussent ce casse-croûte par des tranches de pâté de volaille. Pour nager, on déserte en groupe le bord et on s'enfonce jusqu'aux rochers se trouvant à une centaine de mètres du large. On l'utilise pour plongeoir ou comme repère dans les courses qu'on engage. Certains, pour se protéger contre le soleil, enduisent leur corps et même leurs cheveux d'une argile puisée dans des endroits précis de cette plage. En somme, un écran protecteur naturel...

Sabrina, Lina et Romaïssa commencent à montrer des signes d'énervement à cause de la fatigue. Elles se sont dépensées plus de trois heures. En début d'après-midi, elles ont perdu l'avantage de se baigner seules sur une plage. Une nuée d'enfants a investi l'endroit. Quelques-uns pour pêcher à l'aide de bout de fer dont l'extrémité est aiguisée. D'autres se contentent de la moitié d'une bouteille de plastique. De temps à autre, des gendarmes, certains en treillis et d'autres en tenue spéciale plage, patrouillent. Des agents de la protection civile, installés pas loin d'une petite clairière, gardent un oeil sur les estivants. Pour eux, il n'y a pas de risque les jours de semaine. Le calvaire commence le jeudi et le vendredi. Parce que Aïn Franine demeure une des dernières plages encore à la portée des familles modestes. En haut, à côté de la source d'eau soufrée, un autre manège s'y déroule. On y reviendra...