Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La République de la fraude !

par Cherif Ali

Titre emprunté au best-seller de Jacques Bacelon qui, lors de sa sortie en 1986, ébranla les plus hautes sphères politique et économique françaises et qui pourrait selon ce qu'a affirmé une journaliste, être merveilleusement adapté à l'Algérie !

En effet, c'est un véritable banditisme d'Etat qui a fini, dit-elle, par se mettre en place dans le pays, voire s'y ancrer, nos dirigeants ayant fait du triptyque prédation-répression-corruption, leur crédo !

La mise en place de l'observatoire de la corruption et la déclaration obligatoire du patrimoine des responsables, semblaient être des instruments qui pouvaient donner quelques résultats, au-delà du maigre sentiment de consolation qui émanait de leur existence même. Mais force est de constater qu'ils n'ont servi a rien, si ce n'est donner une image d' « honorabilité et intégrité » aux pouvoirs publics qui s'en « gargarisaient » !

Avec les interpellations-auditions-incarcérations en cascade ces dernières semaines, de ministres, Premiers ministres, walis ainsi que de personnalités du monde de la politique et des affaires, il a été donné aux Algériens de constater que dans les domaines de la corruption, plus que nulle part ailleurs, plus on est puissant, plus nos excès sont tolérés et que la lutte contre ce fléau ravageur a toujours été orientée vers le plus grand nombre et non vers ceux qui réalisent illicitement les plus gros profits.

Certes, aujourd'hui, les raccourcis sont faciles à prendre pour dire que la justice n'était pas libre, qu'elle répondait aux ordres «venus d'en haut» et que les protégés du système agissaient en toute liberté. Pourtant, opinion publique et médias ont de tout temps dénoncé de telles pratiques. Mais ni les juges ni les avocats n'avaient «marché» auparavant pour les démasquer. Ces derniers, tout au plus, quittaient des salles d'audience en signe de protestation contre «des abus» de ceux qui jugent, comme l'avait noté quelqu'un.

Il faut toutefois, faire la part des choses concernant les décisions des magistrats qui tantôt ordonnent la détention provisoire ou le placement sous contrôle judiciaire de la personne ( en l'occurrence premier ministre, ministre, wali ou homme d'affaires) même si dans l'esprit du citoyen « la preuve de sa culpabilité est faite » !

Pour l'heure, tout le monde s'interroge: «L'argent détourné peut-il revenir, un jour, en Algérie ?»

Certains l'affirment : «Il n'y a, quasiment, aucun espoir que l'argent détourné par des élites algériennes, corrompues, puisse un jour revenir profiter au peuple ». La preuve, disent-ils « les milliards détournés par Abdelmoumen Khalifa, dorment à l'étranger, impunément ».

Des ONG comme Transparency International ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales, ont recensé tous les biens que, décemment, des chefs d'Etat africains n'auraient pu s'offrir au vu de leurs émoluments officiels.

Comment aussi expliquer qu'un homme qui gagne 20 000 euros par mois, peut être en mesure de payer, rubis sur ongle, une des plus belles villas de la côte d'Azur, évaluée à près de 240 millions d'euros, soit l'équivalent de 2000 ans de salaire annuel de président ?

Comment tel autre, peut faire un chèque de 392 000 euros pour payer à sa compagne, son énième coupé sport de l'année ?

La question n'en reste pas moins intéressante, dès lors qu'elle restitue le sentiment partagé par la majorité des Algériens : « faut-il mettre une croix sur l'argent volé» ?

Peut-être pas à travers ces quelques exemples de l'étranger qui peuvent entretenir quelques espoirs, quant à la possibilité de sa restitution aux Etats :

1- L'exemple de Susane Thabet qui n'est autre que la femme du président déchu Hosni Moubarak. Pour éviter toutes poursuites, elle a remis une partie de sa fortune en autorisant le chef de «l'Autorité des gains illicites» du Caire, à retirer l'argent de ses comptes et de vendre une villa lui appartenant. Ses avoirs ont été remis à l'Etat. Cette femme de 70 ans a été accusée de s'être, illégalement, enrichie en abusant de la position de son mari président.

2-Autre exemple, les banques suisses ont délivré au gouvernement Nigérien, un chèque d'un milliard de dollars, au terme d'un épilogue amiable d'une bataille judiciaire ente ces autorités et la Suisse, suite au décès de Sami Abacha, l'homme qui a dirigé le pays d'une main de fer pendant cinq ans et qui a délesté le trésor public, d'au moins, 2,2 milliards de dollars.

3-L'exemple aussi de Moussa Traoré : après six ans d'instruction, les cantons suisses de Vaud, Zurich, Genève et Neufchâtel, concernés par les dépôts contestés, se décident à reverser au gouvernement de Bamako 2,4 milliards de dollars, saisis sur divers comptes.

4-La même course de fond attend les autorités de la République Démocratique du Congo qui espèrent récupérer les 3,4 milliards de dollars identifiés en Suisse, comme appartenant à l'ex président Mobutu Sese Seko.

5-Un audit des comptes de Konan Bédié autre président africain déchu, a révélé l'existence de 3 à 4 millions de dollars. Ces affaires et d'autres, ont ouvert des brèches dans l'hermétique système bancaire suisse. Des hommes politiques et des ONG comme celles citées plus haut, élèvent la voix pour dénoncer la collision entre banques et dirigeants véreux, d'Afrique et d'ailleurs.

L'autre préoccupation c'est aussi de chercher à connaitre «la frontière entre l'argent privé et l'argent public?»

C'est la théorie des vases communicants en fait !

L'introduction de masses financières d'origine mafieuse, dans l'économie légale a créé des zones communes, de plus en plus grandes, entre les marchés criminels et les marchés légaux et ainsi, des pans entiers de l'économie en sont devenus indépendants. Des millions de travailleurs ont leur sort lié à ces marchés, par devers eux. Avec la crise financière mondiale, certains analystes affirment que «ce ne sont plus les mafias qui cherchent les banques, mais c'est les banques qui cherchent l'argent des mafias» !

Un marché criminogène, prenant sa source du vol, du racket, de l'informel. Il se met en place, partout dans le monde encourageant le blanchiment d'argent, la corruption et l'évasion fiscale. Tout cet argent navigue comme un poisson dans les eaux de la finance dérégulée et la politique peu regardante.     

Même les sociétés bénéficiant des placements du fonds souverain Libyen, ne savent pas, par exemple, s'il s'agit d'investissements de la part de Tripoli ou de Kadhafi. Ce fonds, convient il de le rappeler, gérait plus de 20 milliards de liquidités.

Cet argent, peut-il revenir un jour ?

Il faut agir dans ce sens, auprès des Etats concernés et des banques internationales et mettre la pression, en permanence et ne pas baisser les bras même si le secret bancaire suisse à encore de belles années devant lui avant d'être levé. Une votation organisée dernièrement dans ce pays a été favorable à son maintien.

Les Etats ne récupèrent que des miettes, comme l'Irak qui n'a pu rapatrier que 2 milliards de dollars, au prix, quand même, d'interminables batailles juridico-diplomatiques. Les détenteurs des comptes frauduleux numérotés, bien connus des banques, restent dans l'anonymat, mais leurs biens immobiliers, de par le monde, sont connus et peuvent être saisis, s'il s'avère qu'ils ont été acquis avec « l'argent détourné des peuples ».

La liste est malheureusement longue à telle enseigne que le journal entier ne suffirait pas à abriter les noms des corrompus de notre seul continent et de «leur argent» planqué en Suisse, en France, ou encore aux Bahamas dans les fameux comptes off-shore.

A cet effet, l'accent avait été mis, entre autres, sur l'«argent» du pétrole, et les «commissions» offertes dans le cadre de l'octroi de beaucoup de marchés de la compagnie pétrolière nationale Sonatrach.

L'Algérie d'ailleurs, comme tous les pays demandeurs n'obtiendra, probablement pas, ou du moins en intégralité, le retour des sommes illégalement exportées, détournées, non déclarées etc., à moins de persévérer dans les procédures et de multiplier les actions judiciaires contre les banques et les paradis fiscaux. L'argent détourné est abrité entre autres, dans les paradis fiscaux, lieux idoines «pour planquer l'argent sale», mais aussi investi dans une variété d'activités légitimes qui assurent à ses détenteurs, non seulement une couverture pour le blanchiment de l'argent, mais un moyen sûr d'accumuler du capital, en dehors des activités prohibées. Il sert aussi à acquérir des villas, des appartements et des hôtels en Espagne et en Grèce où en plus de la bulle immobilière, sévit la crise.

En définitive peut-on dire qu'il est difficile de faire revenir l'argent détourné compte tenu des difficultés qui tiennent :

Du secret bancaire des banques dont on a parlé supra ? De l'absence d'une volonté politique ? Des difficultés procédurales à engager ? Du fait qu'une association de lutte conte la corruption, ONG ou organisation internationale, soit-elle, ne peuvent engager des poursuites en matière de corruption, car c'est un domaine réservé au parquet ? Parce que les preuves présentées aux banques, aux parquets étrangers ne sont pas probantes ?

Frontalement interpellé par le député socialiste Carlo Sommaruga sur la question des avoirs transférés illégalement en Suisse par le clan Bouteflika, le gouvernement helvétique a fourni une réponse pour le moins évasive qui dénote la gêne des autorités de ce pays sur le sujet. « Il est notoire que les banques suisses détiennent des avoirs algériens illégitimes. Pour prévenir leur disparition et le non-retour au peuple algérien, le Conseil fédéral entend-il geler ces avoirs ? »

À cette question, le représentant du Conseil fédéral s'est contenté de dire qu'en matière de lutte contre les avoirs d'origine illicite, «la Suisse a développé un dispositif s'appuyant sur deux piliers principaux : la prévention et la répression ». ( sources radar liberte Dz)

Et pourtant, il existe bel et bien un appui juridique international consistant en « un dispositif consacré dans la convention des nations-unies qui met en œuvre le droit à la restitution».

Peut-on, pour autant, parler de début de moralisation ?

Désormais, même l'ONU s'en mêle, car rappelez-vous, le conflit libyen n'était qu'à ses débuts, lorsque le conseil de sécurité a décidé à l'unanimité, le gel des avoirs de Kadhafi et de son immense fortune, tirée des ressources pétrolières.

Ou encore, l'exemple de Laurent Gbagbo, le président Ivoirien transféré au TPI depuis, dont la fortune « gelée » a était estimée à 5 milliards d'euros (3,35 milliards pour lui et 2,749 milliards pour sa femme Simone) !

Et même le FMI, réagit au motif que «les détournements renchérissent en moyenne de 10 % à 20 % les projets de développement des Etats où sévit la corruption ».

Faut-il agir ou baisser les bras et partant, encourager davantage la corruption et faciliter la fuite des capitaux ?

Nous n'avons ni la qualité, encore moins la prétention de développer le moindre «discours de la méthode », laissant le soin aux institutions publiques d'engager les mesures et autres mécanismes utiles, en ces temps où «fakhamet echaab » a décidé de demander des comptes à ceux qui ont (mal) géré en son nom 20 années durant !

Le chef d'Etat major de l'ANP en l'occurrence qui, après avoir pointé du doigt, le 2 avril, une « poignée de personnes » qui a accaparé les « richesses du peuple », est revenu à la charge en annonçant l'ouverture des dossiers de corruption qui ont défrayé la chronique durant les vingt ans de règne de Bouteflika. «La justice, qui a recouvert ses pleines prérogatives, est désormais en mesure d'entamer des poursuites judiciaires contre toute la bande impliquée dans les affaires de détournement et de dilapidation des fonds publics, et que la question s'étendra également aux affaires de détournement précédentes ; nous rassurons l'opinion publique que la question s'étendra à tous les dossiers précédents, comme l'affaire d'El Khalifa, de Sonatrach et du « Boucher » et autres dossiers relatifs à la corruption qui ont occasionné des pertes considérables au Trésor public ». Croisons les doigts !