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JEUX OUVERTS

par K.Selim

Les résultats officiels du premier tour de la présidentielle en Tunisie confirment amplement tout le bien que l'on pense de la qualité du processus démocratique tunisien. Les électeurs de ce pays qui semblent saisir qu'ils sont vraiment maître du jeu dans cette opération électorale ont fait un premier tri. Ils ont laissé dans la course l'octogénaire Béji Caïd Essebsi (BCE) de Nidaa Tounes (39,46%) face au président sortant Moncef Marzouki (33,43%). L'écart entre les deux hommes est de 6 points. C'est appréciable mais très loin du plébiscite que recherchaient les partisans de BCE.

Moncef Marzouki, fortement haï dans la très huppée banlieue nord de Tunis, peut même se prévaloir d'une grande prouesse. Les médias tunisiens, très partisans, l'avaient pratiquement enterré, il est toujours là. Et pas pour jouer les figurants. Face à Béji Caïd Essebsi qui a rapidement dégainé sur le thème de l'électorat présumé islamiste voire des djihadistes de son adversaire, Moncef Marzouki est dans une attitude offensive : il veut un débat télévisé en direct avec son adversaire.

Le deuxième tour de la présidentielle sera donc âprement disputé. Béji Caïd Essebsi, le «favori» des «bourges», des laïcs, des anti-islamistes, des éradicateurs et des «bénalistes» sur le retour, dispose d'une avance qui n'est pas irréversible. Il tentera, à tout prix - c'est dans la logique de la démarche de Nidaa Tounes -, de «caser» Marzouki dans le camp islamiste. Moncef Marzouki, vieux militant des droits de l'homme, n'est pas un islamiste mais un vrai réconciliateur. Il a accepté, tout comme Ben Jaafar qui en a payé lourdement le prix en étant quasi balayé par les électeurs, de cogérer la transition avec Ennahda. Marzouki, Ben Jaafar et Ghannouchi ont été trois acteurs majeurs de la transition et l'histoire, contrairement aux médias, finira par reconnaître le rôle éminemment positif qu'ils ont joué.

Marzouki, comme Ben Jaafar, a fait un choix de responsabilité qu'il a assumé. Son parti en a subi le contrecoup lors des législatives. Lui, reste car l'électorat tunisien n'est pas moutonnier et ne suit pas les médias dominants. Le président sortant a fait le pari que de nombreux Tunisiens comprendront qu'il a œuvré à éviter la confrontation entre les Tunisiens et à empêcher le retour à l'ancien système. Il a été manifestement entendu. Moncef Marzouki a été maintenu dans la course par un électorat diversifié où l'on retrouve des islamistes mais pas seulement eux. Il a été maintenu dans la course également par des Tunisiens aux convictions démocratiques et laïques qui n'oublient pas que derrière le manteau du «grand père Béji», il y a les vieux acteurs du système policier.

On peut le dire, l'électorat de Moncef Marzouki est plus varié que celui de BCE dont le seul ciment est l'hostilité voire la haine des islamistes. Il n'y a aucun mystère au fait que de nombreux électeurs islamistes ont choisi, malgré l'abstention de la direction d'Ennahda, à voter pour Moncef Marzouki. Il est même très probable qu'après le filtrage du premier tour, l'électorat islamiste se mobilisera encore davantage pour Moncef Marzouki. Le discours du candidat de Nidaa Tounes est le meilleur rabatteur de l'électorat islamiste possible pour Marzouki. On peut supposer que les électeurs de Hechmi Hamdi (islamiste) se placeront davantage sur Marzouki et ceux du président du Club Africain, le richissime Slim Riahi, sur BCE. Des positionnements «logiques».

La grande interrogation portera sur le choix de Hamma Hammami (7,82%). «Logiquement», il est plus proche de Moncef Marzouki que de BCE que ce soit au plan de la vision sociale ou de la méfiance à l'égard du vieux système policier. Mais à gauche, les passions idéologiques, cela s'est déjà vu, peuvent aussi amener à faire des choix où l'anti-islamisme prime sur tout le reste. Le deuxième tour sera passionnant à suivre car il y aura encore des leçons à tirer.