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«?C'est le système qui est anti-moi»

par Kamel Daoud

De bon matin, vu et lu sur internet: «Je ne suis pas anti-système, c'est le système qui est anti-moi». Abyssale et vertigineuse comme une métaphore. Radicale comme correction de perspectives. Ca Moi, ce que je veux, c'est disposer de mon corps et de ma croyance. Me balader et disposer de la terre. Je veux le respect de ma différence et j'en respecterais celle des autres, un par un, Dieu par Dieu. Je voudrais que ce système vaste et carnivore ne me surveille pas comme un intrus, ne me mange pas, ne me dévore pas le temps de ma vie et me laisse créer, entreprendre, découvrir, voyager et croire. Le système est contre moi car il prend mon argent, mon temps avec ses dos-d'âne et ses faux problèmes, parle à ma place avec des propagandes et dresse mes voisins contre ma liberté et ses enfants contre mes enfants. C'est le système qui vient à moi avec le soupçon dans les yeux et des lois qui ne s'appliquent pas à lui mais seulement à moi. Je peux vivre en bon voisin avec lui s'il n'avait pas cette tendance à me voler, me trahir, me tromper et à vouloir me réduire à son service. En plus, il est anti-moi car moi je ne prétends jamais parler en son nom ou me faire passer pour lui alors que le contraire n'est pas vrai: il se prend pour moi, malgré moi, parle à ma place, dit qu'il me représente et ternit mon image dans le monde et dans l'histoire. Il dit qu'il est la terre et que je suis la semelle mais c'est lui qui me marche dessus sans jamais s'excuser.

Le système est anti-moi car il ne me laisse pas manifester alors que je le laisse manifester. Il prend mes enfants et leur donne ses idées alors que je ne touche pas à ses enfants. Il décide à ma place et je ne décide pas à sa place. Il peut acheter des armes, et moi pas. Il peut tuer et moi je ne peux que déposer plainte.

D'ailleurs, quand on dit de quelqu'un qu'il est «anti-système» (au lieu de dire que c'est le Système qui est anti-moi), cela diminue de sa révolte en la réduisant à une hargne. Cela laisse à penser que c'est le système qui est attaqué alors que c'est le contraire. Cela fait croire que c'est moi qui ai commencé les hostilités. Cela pousse à conclure que le système est un immeuble souverain et que je suis moi un casseur de vitres ou que le système est un ordre et moi un désordre. Et ce n'est pas vrai. Moi, je veux juste le bonheur, la liberté, le désir, la possibilité, le respect, la justice, la sécurité, la dignité, l'exactitude, la protection, l'affirmation et la jouissance. Et je me défends contre ce qui vient à moi pour m'en déposséder ou me menacer. Le système est anti-moi car il a les moyens, vient à moi, frappe à ma porte ou l'arrache ou la défonce, prend l'impôt et s'autorise l'arbitraire ou m'enlève l'espoir. C'est alors que je me défends, car il est anti-moi. Que je prends les armes ou les pierres ou que je change de pays ou que je me révolte. «Moi» a ses limites qui sont celles de l'Autre et un système est bon lorsqu'il est à mon service, limité par mes frontières et non lorsque je suis emprisonné dans les siennes. Un système est bon quand je suis sa limite, pas quand il est ma limite.

C'est le système qui tue votre temps, multiplie les bureaucraties, pousse à la ruine vos entreprises, vole vos voix et vos choix, ralentit votre rythme, menace votre paix, encourage la corruption, la mal vie, le sachet en plastique, l'arrachage des arbres et l'injustice et les émeutes et les désordres et le chaos. C'est lui qui donne de l'argent gratuitement et détruit mes enfants, c'est lui qui porte atteinte à mon honneur dans le monde par son personnel et ses représentants, c'est lui qui fait des erreurs qui me coûtent de l'argent à moi et à mes descendants, c'est lui qui tue et ne meurt jamais alors que c'est moi qui meurt et s'en va. C'est lui qui est contre vous alors que vous êtes contre le mur. Le système est donc anti-moi. Je me défends, c'est tout. Je ne suis pas le désordre, je suis l'espoir d'un ordre meilleur. Je ne suis pas le chaos, mais seulement un homme qui refuse le chaos que le système cache derrière son dos et dans son essence.