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Le drapeau sur le gâteau : amnistie prochaine ?

par Kamel Daoud

Boumediene est mort une fois, Boudiaf a été tué une fois, Bouteflika meurt tous les jours. Avant-hier encore c'était la rumeur : Bouteflika aurait été à Genève et à Paris en même temps. Malade et très malade en même temps. Brusque ouverture sur un pays qui dépend d'un bulletin de santé et pas de ses institutions et constitution et qui a peur de l'avenir comme un homme de 80 ans alors qu'il n'en a que 51. Ce fut une journée « portes ouvertes » sur le constat national : on ne dépend de presque rien, tout est possible, le pays est fragilisé à l'extrême. Bouteflika a tout ramassé dans une seule main et sa main tremble trop pour indiquer un but ou un interrupteur.

Du coup, on s'est encore retrouvé dans ce vieux et plat cauchemar de la rumeur, des on-dit et des échecs de la fameuse « communication institutionnelle ». Puis tout s'est arrêté : l'homme est revenu après un contrôle médical, dit-on (si cela est vrai ou vraiment vrai) et il va faire son conseil des ministres, signer sa loi de finances alimentaire et changer des ambassadeurs, des juges et des walis. Rien de neuf sur la chaise qui roule. Sauf une autre rumeur. Et celle-là est immense, cosmique, énorme : une prochaine amnistie. Genre celle que l'on a offert aux fellahs du pays et qui depuis fréquentent plus les banques que les champs. Souvenez-vous : Bouteflika magnanime a décidé d'effacer les dettes des fellahs auprès des banques pour se faire réélire avec amour. En puisant dans sa poche ? Non, dans la notre et dans celle des futures générations. Depuis, le pays rural a bien compris la leçon et le message : la récolte n'est qu'un prétexte, l'argent tombe du ciel plus souvent que la pluie et récolter ne vient pas après labourer.

Pour le futur ? Une autre amnistie qui viserait apparemment les crédits de jeunes. Le milliard de centimes déjà gratuit deviendra offert. Le jeune qui devait faire semblant de travailler ne le devra plus. Vrai ? Non. Pour le moment. Juste des rumeurs. Juste une hantise. Juste une peur que cela devienne vrai. Là, génération de ceux qui travaillent pour manger, on va se sentir dindon de la farce, cancres de l'indépendance : notre jeunesse a été volée par les janvéristes et le FIS et notre présent sera dévalorisé par l'ANSEJ. Il ne restera alors de nous que l'hébétude. La hantise car si cela advient, les Algériens ne travaillerons plus jamais pour un siècle ou deux alors c'est tout juste s'il font semblant aujourd'hui. Le monde sera détruit, la gravité aussi, le sens de la terre et de la vie et la notion d'effort et des cycles. La terreur de voir qu'on a été idiot d'avoir travaillé, veillé, économisé, rusé et résisté et rêvé.

La terreur. Car déjà le pays a un corps de monstre : avec 60 milliards de dollars en chiffre d'importation (pour 38 millions de ventres et faites la division), nous sommes, vu du ciel, deux grandes lignes noires. L'une rectiligne et boursouflée, l'autre mince et fine : l'intestin et le pipe-line. Avec au bout, vers Alger, un mince petit trait qui ressemble à une virgule : l'index de Bouteflika, tremblant, signant la loi de finances prochaine avec une croix fragile comme nos ancêtres d'autrefois aux guichets de la Poste. Qui peut dessiner ce pays ? Beaucoup. Il est si facile : deux traits, une virgule et du jaune en désert tout autour. Si vous y ajoutez du vert et du rouge, cela rappelle un peu un drapeau. Qui semble planté sur un gâteau et pas sur une terre.