
Une panne d'idée, c'est quand vous n'avez pas envie de
réfléchir à la place du monde. Vous êtes sur un trottoir, et le pays est sur sa
route. Ou l'inverse. C'est une sorte de cessez-le-feu : vous n'interrogez
personne, ne demandez après personne et n'attendez personne. C'est une sorte
d'égalité insonore avec la création : elle tourne autour d'elle-même et vous
lui tournez le dos, à moitié ou au trois quart. Votre première préoccupation
n'en est même pas une : vous respirez et vous rangez vos convictions qui vous
servent de carburant en général : vous ne voulez pas vous sentir lié, ni
responsable, ni ligoté par la cause et l'effet. Rien. C'est votre univers sous
l'aisselle, face à l'univers qui vous enjambe. Vous ne ressentez rien, pas même
votre prénom dans vos chaussures, vous respirez et vous continuez à respirer
sans idée préconçue. La panne d'idée est un moment rare d'équilibre et
d'insensibilité : une sorte de nationalité de poteaux, sans fil. Le reste du
pays offre pourtant de l'humour : pendant que l'on soigne les féodaux en
Europe, il y a grève de la santé en Algérie. C'est une piste. Pendant que l'on
enquête doucement et lentement gracieusement sur Sonatrach, on met rapidement
en prison un chanteur de Raï à Oran pour mauvaise rime contre le DGSN. On peut
aussi creuser l'idée et la cervelle de Louiza Hannoun : cette étrange dame qui
va finir prophétesse à force de voir des complots partout. Ou parler de Soltani
et des 40 Islamistes et leurs fourberies dans les jarres où on les a enfermés.
Il y a des sujets quand on regarde et écoute. Sauf que cela ne sert à rien
quand le cœur est déchaussé. Donc Rien ce matin algérien. Rien d'intéressant :
on dirait que l'on doit écrire la même chronique sur le même pays pendant la
même heure. Rien d'innovant : des émeutes, des augmentations, des rumeurs, des
maladies, des indignations et des scandales et des dénonciations.
Ecrit il y a des mois : un peuple au-delà. Est-ce qu'il y a
une vie après la mort ? Oui et il y a des millions d'Algériens qui y vivent.
L'histoire du fameux film «sixième sens» : un homme tourne en rond et interroge
des gens qui ne lui répondent pas. A la fin du film, il découvre qu'il est mort
mais ne le savait pas. Imaginons plus grand : des millions qui ne savent pas
qu'ils sont morts et tournent en rond puis s'endorment et se réveillent le
lendemain, mais toujours dans l'au-delà. Peut-être que la France a tué tout le
monde entre 54 et 62 et que nous ne le savons pas. Plus probable encore : il
n'y pas eu de survivants après la décennie 90 et nous ne le savons pas. La
preuve ? On n'enterre jamais un pneu crevé. On le laisse se parler tout seul
dans les champs pendant des siècles.