La brèche est donc ouverte : il y a une adresse en Algérie
vers où on peut poster le courrier adressé à l'Algérie, quand on vit mal en
Algérie. Après le printemps « arabe », beaucoup ont essayé la formule de
marcher vers Alger, sur Alger, en Alger et vers El Mouradia. Cela a donné
quelques dinars mais n'a pas changé les choses. La mode a d'ailleurs vite été
enterrée. Avant, on avait essayé les lettres ouvertes aux ministres. Et avant, les
lettres ouvertes aux walis. Puis le peuple a compris : cela sert parfois, peu,
mais pas suffisamment. Il fallait trouver une meilleure adresse. Celle que,
même les nouveaux ambassadeurs, cherchent quand ils débarquent à Alger et se
posent la fameuse question du « qui commande ? ». Aujourd'hui, avec la lettre
Mali, on a l'adresse, mais sans la photo toujours. C'est au moins ça. C'est
mieux que d'envoyer des lettres à Bouteflika, qui lui-même, se contente, par
une sorte de mauvais humour, d'envoyer des lettres au peuple. La dernière étant
lue à Annaba, envoyée par Alger, sur le cas d'In Aménas. La poste va mal mais
le courrier se porte bien, apparemment.
La brèche étant ouverte, on va sûrement assister à un
déluge de lettres ouvertes sur tout ce qui traîne depuis 1999. Corruption,
vols, détournements, retards de paiement des chantiers, cupidité des walis ou
de leurs fils et filles, contrats extérieurs, douanes, foncier, agréments? etc.
Une avalanche sur tout ce qui a été mal fait depuis trois mandats. Un printemps
algérien mais avec des lettres. Les lettres ouvertes se multipliant quand les
voies sont fermées, comme on le sait. Une bonne chose ? Oui, pour apprendre à
écrire et bien formuler. Ou dénoncer car personne ne connaît l'adresse de la
commission nationale de lutte contre la corruption et les Algériens savent
qu'elle n'a pas de grades ou de divisions. Cela va consacrer la primauté du
militaire sur le civil, l'écrit sur la prise de parole, l'anonymat sur la
responsabilité. Après le dernier civil qui a toujours rêvé d'être militaire,
les Algériens rêvent d'un militaire à qui on offre un travail de civil :
Président par intérim ou par défaut. On s'enfonce cependant, encore plus et
plus profondément. On se trompe aussi. Etrange paradoxe de ce pays : on sait que
le Général Mediene existe alors qu'il ne parle pas, n'apparaît pas. Et on
constate que le peuple n'existe pas alors qu'on le voie partout et il apparaît
partout. L'un est gradé et l'autre est dégradé ? Oui, mais pas seulement.