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La fetwa Kessentini / esthétique des farfadets

par Kamel Daoud

Comment distingue-t-on un parti politique d'un autre ? Par le visage du leader, sa voix, son sigle et ses propositions et son histoire de militant. Dans un pays «aux allures démocratiques» selon l'expression humoristique de Farouk Kessentini, le fonctionnaire des Droits de l'homme en Algérie, les partis algériens sont indiscernables, les uns des autres. Sauf à retenir la barbe comme critère, le reste c'est de la photocopie, pâle et illisible. Montrés à la télé du régime, ces partis font de l'écho : appels au vote «pour sauver le pays», appels aux jeunes, appels au «sursaut». Pas d'avis sur l'armée, pas d'avis sur les «Services», pas d'avis sur Bouteflika et ses dix ans, pas d'avis sur les AE, pas d'avis sur le pétrole, pas d'avis sur les atteintes scandaleuses aux mémoires des Abbane Ramdane ou le reste de l'Histoire nationale, pas d'avis sur les scandales financiers ni sur la période Khellil, pas de bilan critique, pas de critiques. Ensuite, pas d'avis sur le reste : comment réaffecter l'argent «social» et celui des caisses noires, comment faire travailler les Algériens et pas les BRQ, comment réduire les accidents de routes ou contrôler les dépenses publiques, comment encourager l'entreprise ou le fisc juste, comment lutter contre la corruption. Pas d'avis sur les chefs de daïra détenteurs de la souveraineté sur le dos des maires, pas de propositions sur la décentralisation, les émeutes ou les arrestations abusives ou l'état d'urgence discrète ou le droit des marches ou la vraie indépendance de la justice ou AQMI. Rien sur les grandes questions, du blabla sur les petites.

A la fin, mis à part les sigles, l'Algérien moyen se perd dans ce jeu de farfadets. Les partis en concurrence ne disent rien. Vraiment. On dirait des rabatteurs de gibier électoral, pas des concurrents au régime du régime. Cela a rappelé au chroniqueur ces temps sombres et comiques de la Tunisie de Benali et ses élections Présidentielles : ce temps où un candidat fantoche à la Présidence tunisienne remerciait Benali, en expliquant qu'il vaut mieux voter Benali car c'est un grand leader !

La bataille pour les listes a donc fait rage mais celle pour les programmes n'a jamais existé et n'existera jamais. Ce ne sont pas des partis d'ailleurs, mais des fonctionnaires, des salariés de foire, recrutés pour chauffer la foule et obtenir la participation massive. Que croire quand on voit un leader remercier El Fakhama, appeler les Algériens à voter mais s'écraser comme un insecte devant les grandes questions. Images des Algériens mornes et silencieux, filmés comme des moutons dans les locaux de la SAS, en stupeur dans les salles de meetings par les caméras de l'ENTV. Avec les extraits dithyrambiques et exaltés de quelques caïds des anciens temps coloniaux, appelant à «sauver l'Algérie du complot» mais sans aucune proposition sur la souveraineté du maire sur le wali, du choix sur l'enquête d'habilitation et de l'éclairage sur les officines.

Ce pluralisme monolingue est affreux, routinier, triste, comique. Il n'y a rien dedans qui se mange : les islamiste appellent à appliquer la Charia, les salariés du régime appellent à appliquer le passé. Rien de neuf. Rien de beau et de joyeux. Comiques avec les burnous pour faire «monde rural», la harangue en colère façon Boumediene, pédagogiques comme un prêche du vendredi, menaçant comme l'annonce d'un jugement dernier. On ne pouvait pas nous trouver de meilleurs figurants ? Plus beaux ? Des gens plus intéressants, moins ratatinés par la mauvaise foi et les problèmes rénaux, plus expressifs ?

Et avec tout cela, vient Kessentini, le salarié des Droits de l'homme, qui nous explique comme un inquisiteur du Moyen-Âge, qu'il faut punir les abstentionnistes et les gens qui ne votent pas ! Réponse : on est déjà puni de subir ceux-là, les vôtres, les comme vous !