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LUGUBRE INTERREGNE

par  K. Selim

La crise survient justement dans le fait que le vieux se meurt et que le nouveau n'arrive pas à naître : cet interrègne est marqué par l'éclosion d'une grande variété de symptômes morbides ».

 La fameuse citation d'Antonio Gramsci illustre de manière saisissante la situation syrienne. Une impasse mortifère où la politique, ce fait de civilisation et de culture, disparaît totalement, le cycle répression-manifestation tournant au bras de fer total. Le régime syrien est bien fini politiquement et moralement. Mais le pays est plongé dans cet interrègne lugubre où rodent la mort et l'autodestruction.

 C'est Michel Kilo, un opposant respecté qui a connu à plusieurs reprises la prison, qui fait, avec ses propres mots, ce constat gramscien tragique. La Syrie est dans «une situation bloquée où le peuple demande la chute du régime, mais n'a pas les moyens de le faire partir, et où le régime veut faire rentrer les gens chez eux, mais n'en a pas les moyens non plus». Le risque de ce bras de fer à mort est qu'il aille jusqu'au bout de son infernale logique, un effondrement de ce qui reste d'Etat et le basculement dans la guerre civile.

 Pourtant, tout en exprimant son inquiétude, le vieil opposant est sans ambiguïté sur le fait que le régime est totalement responsable de la situation. «Ce qui se passe depuis sept mois n'est pas le fait d'un parti ou d'un complot, c'est la société tout entière qui a pris son sort entre ses mains pour proclamer son indépendance», a-t-il déclaré au journal Le Monde. Dans le même temps, cet homme incarne, avec un sens de la responsabilité qu'on ne peut que souligner, le dilemme de l'opposant de bonne foi dans une situation de polarisation extrême entretenue par un régime aveugle.

 Quitte à passer pour un naïf cherchant une voie médiane devenue improbable, l'homme continue d'espérer un début sérieux de réformes qui épargneraient à son pays une descente vers l'enfer de la guerre et la perte d'indépendance. Trouver une sortie dans une impasse ? Une quadrature du cercle. C'est cela qu'espère cet opposant. Il pense sans doute qu'il existe un problème pratique dans la revendication de «Iskat Ennidham». C'est une équation avec trop d'inconnues. Cela fait sept mois qu'en Syrie le régime est fortement contesté sans qu'il tombe.

 Au niveau externe, la Russie et la Chine lui ont évité une condamnation au Conseil de sécurité. Au plan interne, il compte aussi sur l'inquiétude face à l'inconnu d'importantes composantes du tissu social syrien. «Si la Syrie va à la guerre civile, je préfère la réforme, même limitée. Mais une réforme qui prépare une transition, c'est-à-dire qu'il faut qu'elle assure la liberté de la presse, l'abolition de l'article 8 de la Constitutio (qui donne au Baas un rôle dirigeant dans la société), la redistribution de la richesse nationale et, bien sûr, avant tout, le démantèlement de l'Etat sécuritaire. (..). Je ne veux pas que les Syriens perdent le contrôle de leur pays et de leur indépendance». Voilà des paroles raisonnables et sensées.

 Mais dans cet interrègne morbide, il paraît difficile de trouver au sein d'un régime moralement défait des hommes qui ont la lucidité et la hauteur de vue d'accepter d'écrire l'acte de décès du régime afin de laisser la Syrie vivre.