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Manoeuvres européennes

par Moncef Wafi

La guerre de Ghaza n'a pas encore livré tous ses secrets que déjà les premières lectures d'une nouvelle reconfiguration de la région se font entendre. Si les grands perdants de ces trois semaines de combats restent les pays arabes et leur unité de façade, il n'en demeure pas moins que le plus grand danger qui guette les gouvernements arabes en place est l'intrusion, par la grande porte, de l'Otan dans le Proche-Orient. La rencontre, aux lendemains du cessez-le-feu, qui a réuni la ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni et son homologue américaine Condoleezza Rice, alors en poste, et à seulement quelques heures du sommet de Charm el Cheikh, a scellé le devenir de la souveraineté arabe sur la mer Rouge et la Méditerranée ainsi que sur le contrôle du canal de Suez. Un premier pas pris sous le prétexte tout américain de la lutte contre le terrorisme et qui appelle à la mobilisation des capitales arabes pour contrecarrer les desseins hégémoniques de Tel-Aviv. L'autre offensive est tout européenne puisque sous couvert humanitaire, Bruxelles qui s'autoproclame principal bailleur de fonds des Palestiniens, avec quelque 500 millions d'euros par an, commence ses démarches avec la « convocation », hier, des chefs de la diplomatie de l'Autorité palestinienne, d'Egypte, de Jordanie et de Turquie pour évaluer les besoins de reconstruction à Ghaza et tenter de relancer les efforts de paix. Cependant, les Européens l'ont clairement annoncé et ils ne veulent plus être cantonnés à leur rôle traditionnel de simples bailleurs de fonds. Cette nouvelle vision de l'humanitaire répond essentiellement aux besoins sécuritaires israéliens puisqu'elle est conditionnée par la légitimité du vis-à-vis et dans la logique de l'UE, cela ne peut-être que le représentant de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Une équation qui amènerait de fait à l'exclusion du Mouvement Hamas de toute représentativité à Ghaza.

En deux mots, les Européens font purement et simplement un chantage au riz en clamant que tant que Hamas est au pouvoir dans la Bande de Ghaza, il ne peut avoir d'aide à la reconstruction. Un discours prôné également, mais sous un emballage différent, par les Arabes après le sommet de Koweït qui avait appelé à plus de transparence sur la scène palestinienne pour commencer à reconstruire ce qui a été détruit. L'autre manoeuvre à peine avouée de Bruxelles est d'inviter, même si le mot est empreint de diplomatie, Ankara à jouer un rôle d'intermédiaire entre le Vieux Continent et les pays de la région pour fédérer la position arabe autour du projet européen. La Turquie qui se retrouve dans une position délicate, puisque candidat à l'adhésion à l'UE, devra certainement trancher en faveur de l'Europe et signifier elle aussi la rupture des ponts avec le Hamas. Ainsi, ce qu'Israël n'a pas réussi à accomplir après des années de blocus et 23 jours de barbarie, l'Europe est en train de le réussir en brandissant l'arme de l'euro avec la bénédiction toute complice des capitales arabes qui n'auront plus à supporter la colère de leurs rues.