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Algérie : la guerre informationnelle qui révèle une puissance que l'on voulait affaiblir

par Salah Lakoues

Depuis plusieurs années, l'Algérie est la cible d'une critique médiatique occidentale quasi permanente.

Présentée comme une puissance régionale en déclin, diplomatiquement isolée et prisonnière de ses " mauvais alignements ", elle est soumise à un procès en légitimité qui dépasse largement le cadre du débat journalistique ordinaire. Cette offensive narrative, loin d'être anodine, s'inscrit dans une stratégie plus vaste visant à contenir toute affirmation souveraine en Afrique du Nord et au Sahel à l'heure où l'ordre mondial bascule vers le multipolaire. Or, le paradoxe est là : en cherchant à affaiblir l'Algérie par la sur médiatisation critique, ses détracteurs contribuent en réalité à révéler son rôle central - celui d'un acteur pivot dont la stabilité, l'autonomie stratégique et le refus de l'ingérence constituent désormais un obstacle majeur aux nouvelles formes de néocolonialisme.

Alors que l'ordre international entre dans une phase de recomposition accélérée, l'Algérie fait l'objet d'une offensive informationnelle persistante dans les médias et think tanks occidentaux. Présentée tour à tour comme une puissance en déclin, un acteur isolé ou un partenaire " à risques " en raison de ses relations avec la Russie, la Chine ou l'Iran, elle est décrite à travers un prisme systématiquement négatif. Cette stratégie est pourtant en train de produire l'effet inverse de celui recherché.

Contrairement à une idée répandue, l'Algérie n'est pas invisibilisée. Elle est au contraire hyper-visible, mais selon une logique d'" invisibilisation sélective " : ses faiblesses supposées sont suramplifiées, tandis que ses réussites structurelles sont occultées ou requalifiées en menaces. Tensions avec certains régimes sahéliens, critiques de ses médiations régionales ou accusations récurrentes de complaisance envers des groupes terroristes occupent l'espace médiatique, pendant que sont passés sous silence des faits pourtant décisifs.

Parmi eux figurent la stabilité institutionnelle retrouvée après le Hirak, la victoire historique contre le terrorisme issue de la décennie noire, ou encore le rôle énergétique central de l'Algérie pour l'Europe du Sud. Le gazoduc Transmed, infrastructure existante et sécurisée, demeure l'un des piliers de la sécurité énergétique européenne, à un moment où les discours sur la diversification des approvisionnements se multiplient sans toujours reposer sur des alternatives crédibles.

Cette construction narrative s'inscrit dans un contexte plus large. La nouvelle stratégie américaine de sécurité nationale, rendue publique fin 2025, assume un recentrage sur les ressources critiques africaines. Dans ce cadre, plusieurs analystes, dont le géo politologue français Bertrand Scholler, évoquent une forme de " néocolonialisme 2.0 " : maintenir des États fragilisés par des conflits asymétriques afin de contenir l'influence chinoise et russe. Les trajectoires récentes du Mali, du Niger ou du Burkina Faso, après leur rupture avec la France et leur rapprochement avec Moscou et Pékin, alimentent ce débat.

C'est précisément ici que le cas algérien devient central. Par son refus de l'ingérence, sa doctrine sécuritaire défensive et sa diplomatie de non-alignement, l'Algérie constitue un verrou stratégique. Elle empêche la mise en place d'une architecture sahélienne entièrement exogène et limite la captation indirecte des ressources africaines par des dispositifs de projection politique ou énergétique. Ce rôle explique en grande partie l'intensité des attaques informationnelles dont elle fait l'objet. Or, cette stratégie se révèle profondément contre-productive. L'hyper-critique extérieure renforce la cohésion interne et nourrit une dynamique de légitimation souverainiste. L'État algérien est perçu, à tort ou à raison, comme un rempart face aux pressions étrangères. Cette perception favorise l'adhésion à des cadres alternatifs - BRICS, coopération Sud-Sud, diversification monétaire - non par idéologie, mais par calcul stratégique. Plus encore, cette surmédiatisation négative agit comme un aveu implicite : on ne mobilise pas une telle intensité narrative contre un acteur marginal. En cherchant à affaiblir l'Algérie, ses détracteurs confirment en réalité son importance géopolitique.

La responsabilité européenne, et française en particulier, est ici majeure. En s'enfermant dans des contentieux mémoriels non résolus, dans la question du Sahara occidental et dans un atlantisme rigide, Paris a manqué l'opportunité de construire un véritable partenariat stratégique euro-méditerranéen avec Alger. Le résultat est une marginalisation progressive de l'Union européenne en Afrique, pendant que d'autres acteurs avancent leurs pions avec constance. L'histoire pourrait retenir ce paradoxe : la guerre informationnelle menée contre l'Algérie, loin de l'affaiblir, aura contribué à la consacrer comme acteur pivot du nouvel équilibre africain. Dans un monde multipolaire, la stabilité, la continuité étatique et la souveraineté stratégique restent des atouts. Et c'est précisément ce que cette campagne cherche à nier sans y parvenir.