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Nommer le crime pour liberer l'histoire: Pourquoi l'Algérie doit criminaliser le colonialisme

par Oukaci Lounis*

" Reconnaître le colonialisme comme crime n'est ni vengeance ni condamnation d'aujourd'hui : c'est un devoir universel. À l'Algérie, à la France et à la communauté internationale, la vérité historique engage justice, mémoire et responsabilité partagée pour protéger les générations à venir. "

En 1830, l'Algérie a été soumise à un système colonial qui ne relève ni de l'accident historique ni d'une simple confrontation militaire, mais d'un projet étatique structuré de domination, d'expropriation et de déshumanisation, mis en œuvre par des institutions civiles et militaires françaises sur plus d'un siècle. La recherche historique contemporaine, notamment française, a montré que la colonisation de l'Algérie s'est accompagnée de massacres de masse, de déplacements forcés, de spoliations foncières systématiques, de législations discriminatoires et de la destruction méthodique des structures sociales, culturelles et éducatives indigènes (Tocqueville, 1841 ; Vidal-Naquet, 1972 ; Stora, 1992 ; Le Cour Grandmaison, 2005).

Ces faits ne sont ni subjectifs ni militants : ils sont documentés par les archives coloniales, par les travaux d'historiens reconnus et par les standards contemporains du droit. À ce titre, la colonisation de l'Algérie répond objectivement aux critères constitutifs de crimes contre l'humanité, tels que définis par le droit international moderne : violence systématique contre des populations civiles, persécutions fondées sur l'appartenance ethnique et juridique, atteintes graves et durables à l'intégrité physique, psychique, sociale et environnementale des populations concernées (ONU, Convention de 1968 ; Statut de Rome, 1998).

La question posée aujourd'hui à l'Algérie n'est donc pas celle de la revanche, ni celle de l'hostilité envers un peuple ou une nation contemporains. Elle est une question de qualification juridique, de vérité historique et de souveraineté mémorielle. Nommer un crime n'est jamais un acte de haine ; c'est un acte de droit. Les grandes tragédies historiques du XX? siècle l'ont démontré : le nazisme, l'apartheid, l'esclavage ont été reconnus, qualifiés et condamnés non pour rouvrir les conflits, mais pour empêcher leur négation, leur banalisation et leur répétition (ONU, Durban 2001).

Dans ce cadre, le silence juridique entourant le colonialisme constitue une anomalie historique et normative. Il ne traduit ni l'absence de faits ni l'absence de droit, mais un retard politique dans la reconnaissance d'un crime pourtant établi par la science historique et compatible avec les normes internationales existantes. Laisser le colonialisme hors du champ de la loi, c'est exposer la mémoire nationale au révisionnisme, fragiliser la transmission historique et prolonger, sous d'autres formes, les effets d'un traumatisme collectif non reconnu.

C'est ici que l'intervention du Parlement algérien s'impose, non comme un choix idéologique, mais comme une nécessité historique. Lorsque l'histoire est établie, lorsque le droit est disponible et lorsque la mémoire collective demeure vulnérable à la négation, le législateur a le devoir de transformer la vérité historique en norme protectrice. Criminaliser le colonialisme ne revient pas à juger le présent à l'aune du passé ; cela consiste à inscrire dans la loi ce que l'histoire, le droit et la conscience humaine ont déjà reconnu. En ce sens, une loi algérienne criminalisant le colonialisme ne serait ni une exception ni une provocation. Elle constituerait un acte de civilisation, une affirmation de souveraineté intellectuelle et juridique, et un rempart contre l'effacement de l'histoire. Nommer le crime, c'est libérer l'Histoire ; et libérer l'Histoire, c'est protéger l'avenir.

I. Le colonialisme en Algérie : un système historiquement établi de violence d'État

1. La colonisation de l'Algérie : un projet étatique planifié et assumé

La conquête et la domination de l'Algérie ne relèvent ni d'un dérapage militaire ni d'excès isolés. Dès 1830, la colonisation s'inscrit dans un projet étatique français explicitement assumé, combinant conquête militaire, refonte juridique, appropriation foncière et transformation démographique du territoire. Alexis de Tocqueville, figure fondatrice de la pensée libérale française, reconnaissait lui-même que la conquête de l'Algérie nécessitait des méthodes d'exception, affirmant que la guerre coloniale impliquait la destruction des villages, des récoltes et des structures de subsistance des populations locales (Travail sur l'Algérie, 1841). Cette reconnaissance interne au système colonial invalide toute lecture a posteriori visant à présenter la violence comme accidentelle ou marginale. Les pratiques militaires mises en œuvre - enfumades, exécutions collectives, razzias, déplacements forcés - furent non seulement tolérées, mais institutionnalisées sous des autorités civiles et militaires clairement identifiées (Bugeaud, Cavaignac, Pélissier). L'objectif n'était pas seulement la soumission militaire, mais la terreur comme mode de gouvernement, condition préalable à l'appropriation durable du territoire. La violence n'est pas un excès. Elle est l'outil central de la colonisation de peuplement.

2. Une colonie de peuplement fondée sur l'inégalité juridique et la déshumanisation

L'Algérie coloniale ne fut pas une colonie d'exploitation classique, mais une colonie de peuplement, ce qui constitue une singularité majeure dans l'histoire du colonialisme français. Cette spécificité a produit un système juridique fondé sur la négation de l'égalité humaine. Le Code de l'indigénat, officiellement instauré en 1881, instaure un régime d'exception qui place les Algériens, musulmans et juifs, dans une situation juridique et sociale systématiquement inférieure. Ce dispositif les soumet à des sanctions collectives, à des impôts discriminatoires, à des peines administratives prononcées sans jugement et à une restriction permanente de leurs libertés fondamentales. L'ensemble de ces mesures n'est pas ponctuel : il constitue un outil institutionnel de contrôle et de domination, destiné à maintenir la population locale dans un état de dépendance et à faciliter l'appropriation des terres et des ressources par l'État français et les colons.

Ce dispositif ne visait pas à corriger des comportements, mais à institutionnaliser l'infériorité juridique d'un groupe humain sur la base de son origine. Il constitue, au regard du droit contemporain, une forme de persécution systémique, critère central des crimes contre l'humanité. Pierre Vidal-Naquet et Raphaëlle Branche ont démontré que cette logique d'exception juridique a perduré jusqu'à la guerre de libération, facilitant le recours massif à la torture, aux disparitions forcées et aux exécutions extrajudiciaires. L'inégalité n'est pas sociale. Elle est codifiée par la loi.

3. Les massacres de masse : de la conquête à la répression coloniale tardive

Les violences coloniales ne s'éteignent pas avec la " pacification " du XIX? siècle. Elles se poursuivent tout au long de la période coloniale, culminant avec les massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata. Les travaux historiques convergent pour établir que la répression, menée par l'armée, la police et des milices de colons, a causé des dizaines de milliers de morts civils algériens, dans un contexte où les manifestations réclamaient l'égalité des droits et la fin de la domination coloniale. Benjamin Stora souligne que ces massacres constituent une rupture définitive entre l'État colonial et la population algérienne, révélant l'impossibilité de toute réforme interne du système colonial. La violence extrême apparaît lorsque l'ordre colonial est contesté. Elle est répressive et exterminatrice.

4. Les crimes environnementaux et transgénérationnels : les essais nucléaires

Entre 1960 et 1966, la France a procédé à des essais nucléaires atmosphériques et souterrains à Reggane et In Ekker, exposant directement des populations civiles, des travailleurs algériens et l'environnement saharien à des radiations massives. Les archives françaises déclassifiées confirment l'absence de protection adéquate des populations locales, la dissimulation des effets sanitaires et la persistance des contaminations sur plusieurs générations. Ces événements ne relèvent pas d'un incident isolé mais s'inscrivent dans la logique d'un système colonial qui instrumentalisait la violence et le risque pour asseoir son contrôle, montrant une fois de plus que les pratiques de domination ne s'arrêtaient ni à la métropole ni aux actions militaires classiques, mais touchaient directement la vie, la santé et l'avenir des populations locales. Ces faits constituent non seulement une violation grave des droits humains, mais également un crime environnemental à effets différés, aujourd'hui reconnu comme une dimension des crimes contre l'humanité. Le territoire colonisé est considéré comme zone sacrificielle, sans valeur humaine équivalente.

5. Architecture de la violence : la colonisation de l'Algérie à l'épreuve du droit international

Pris isolément, ces faits sont déjà accablants, mais pris ensemble, ils révèlent une architecture cohérente de domination violente, correspondant à un système structuré et planifié. Cette logique satisfait pleinement les critères juridiques reconnus pour qualifier des crimes : violence massive contre des civils, persécution juridique et raciale, déportations et déplacements forcés, ainsi que atteintes graves et durables à l'intégrité humaine et environnementale. La conclusion intermédiaire est sans équivoque : la colonisation de l'Algérie n'a jamais été une succession d'abus ponctuels ou isolés ; elle constitue un système criminel historiquement établi, où chaque mesure, chaque loi et chaque acte de violence servait à organiser et à pérenniser la domination coloniale.

III. Le droit international n'ignore pas le colonialisme : il a été volontairement contourné

Le faux refuge du temps : L'argument le plus fréquemment invoqué pour s'opposer à la qualification juridique du colonialisme consiste à affirmer que l'on ne pourrait " juger le passé avec le droit d'aujourd'hui ". Présenté comme une prudence juridique, cet argument relève en réalité d'une confusion fondamentale entre temporalité des faits et nature du crime. Le droit international moderne n'a pas été conçu pour effacer les crimes du passé, mais précisément pour les empêcher d'être soustraits à la justice par le simple écoulement du temps. C'est pourquoi il a progressivement consacré la notion de crimes imprescriptibles, fondée sur un principe clair : lorsque des actes portent atteinte à l'humanité en tant que telle, le temps ne peut ni les absoudre ni les neutraliser juridiquement.

Dès lors, la question n'est pas de savoir si le colonialisme peut être jugé à l'aune du droit contemporain, mais si les faits historiquement établis répondent aux critères juridiques universels définissant les crimes contre l'humanité. Or, ces critères existent, sont précis, et ont été adoptés non pour créer des culpabilités rétroactives, mais pour protéger la vérité, les victimes et la mémoire collective contre la négation et l'oubli. Dans ce cadre, l'absence de qualification juridique du colonialisme ne traduit pas une impossibilité du droit, mais un choix politique de non-qualification, historiquement situé et juridiquement contestable. C'est précisément ce décalage entre la solidité du droit et la persistance du silence normatif que la présente analyse entend éclairer.

1. Le faux argument de l'anachronisme juridique

L'argument selon lequel le colonialisme ne pourrait être qualifié juridiquement au motif qu'il s'est déroulé avant la formalisation contemporaine des crimes contre l'humanité constitue une erreur juridique majeure, fréquemment mobilisée à des fins politiques. Le droit international reconnaît explicitement que certains crimes sont imprescriptibles, précisément parce qu'ils portent atteinte à l'humanité en tant que telle. La qualification juridique ne dépend donc pas de la date des faits, mais de leur nature, de leur ampleur et de leur caractère systématique. La Convention des Nations unies sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité (1968) établit clairement que : " Aucun délai de prescription ne s'applique aux crimes contre l'humanité, quels que soient le moment où ils ont été commis. ". Le temps n'efface pas le crime lorsque celui-ci porte atteinte à l'humanité elle-même.

2. Les critères juridiques des crimes contre l'humanité : une correspondance objective

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998) définit les crimes contre l'humanité comme des actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, dirigée contre une population civile et en connaissance de cette attaque. Les actes listés incluent notamment le meurtre, l'extermination, la déportation ou le transfert forcé de population, la persécution pour des motifs ethniques, raciaux ou religieux, ainsi que d'autres actes inhumains causant de grandes souffrances physiques ou mentales. Or, les éléments historiquement établis concernant la colonisation de l'Algérie correspondent point par point à ces critères : les massacres de masse du XIX? siècle et de 1945, les déplacements forcés et camps de regroupement, la persécution juridique institutionnalisée via le Code de l'indigénat, la torture systématique pendant la guerre de libération, et les essais nucléaires infligeant des atteintes durables aux populations civiles. La conclusion juridique partielle s'impose d'elle-même : la qualification de crime contre l'humanité n'est pas une extension abusive du droit, mais l'application rigoureuse et incontestable de ses critères, fondée sur des faits documentés et reconnus par l'histoire et le droit international.

3. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : le colonialisme comme violation majeure

La Résolution 1514 de l'Assemblée générale des Nations unies (1960) proclame clairement que : " La sujétion des peuples à une domination étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme. " Au-delà de sa portée politique immédiate, cette résolution établit un principe normatif universel : tout système colonial n'est pas seulement une politique extérieure contestable, mais une violation structurelle et systémique des droits humains fondamentaux. Elle inscrit la décolonisation dans le cadre du droit international public, rendant illégitime toute forme de domination étrangère sur un peuple, indépendamment de la durée ou de la justification invoquée.

Ce principe, rarement souligné, a plusieurs implications stratégiques et juridiques :

Imprescriptibilité morale et juridique du colonialisme : la violation des droits fondamentaux d'un peuple ne peut être considérée comme " historique " ou " révolue " au sens juridique traditionnel ; elle conserve une portée normative permanente, créant une obligation de reconnaissance et de réparation.

Colonialisme comme crime systémique : la Résolution 1514 reconnaît implicitement que les structures administratives, juridiques et militaires mises en place par le colonisateur - déportations, impôts discriminatoires, répression légale - constituent des mécanismes de privation des droits fondamentaux, et non des actes isolés ou accidentels.

Lien direct avec le droit international contemporain : en ancrant la décolonisation dans la notion de droits humains universels, la résolution crée un pont juridique direct avec le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998) et la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité (1968), permettant de qualifier les violences coloniales d'attaques systématiques contre une population civile.

Dimension civilisationnelle et éducative : reconnaître la violation systémique des droits des peuples colonisés n'est pas seulement un acte juridique, mais un acte de civilisation. Il s'agit de préserver la mémoire collective, de protéger les générations futures contre le révisionnisme et de restaurer l'intégrité des récits historiques, sociale et culturelle.

En conséquence, le colonialisme ne peut plus être présenté comme un simple épisode historique ou une politique contestable : il s'inscrit dans le registre juridique et moral des violations graves des droits humains, dont la reconnaissance constitue aujourd'hui une exigence incontournable pour tout État souverain.

4. Le droit à la vérité et à la réparation : une obligation internationale

La Résolution 60/147 de l'Assemblée générale de l'ONU (2005) établit clairement les droits des victimes de violations graves des droits humains, notamment le droit à la vérité, le droit à la reconnaissance officielle et le droit à des garanties de non-répétition. Cette reconnaissance ne se limite pas à une indemnisation matérielle : elle fait partie intégrante de la réparation morale et juridique. Dans ce cadre, la criminalisation du colonialisme n'est pas une initiative arbitraire ou symbolique ; elle constitue une obligation morale et juridique internationale, visant à protéger la mémoire collective et à prévenir toute négation ou falsification des faits historiques.

5. Les précédents internationaux : reconnaissance sans effondrement diplomatique

L'histoire récente démontre que la reconnaissance juridique de crimes historiques renforce la crédibilité morale des États, sans compromettre leurs relations internationales :

L'Allemagne a reconnu les crimes nazis et le génocide des Hereros et Namas, consolidant sa légitimité historique et morale.

L'Afrique du Sud a juridiquement qualifié l'apartheid comme crime contre l'humanité, contribuant à la construction d'une mémoire nationale responsable.

La communauté internationale a reconnu l'esclavage et la traite négrière comme crimes contre l'humanité (ONU, Durban 2001).

Ces exemples montrent que la reconnaissance des crimes historiques n'entraîne pas l'isolement diplomatique, mais renforce l'autorité morale et juridique des États, tout en consolidant la mémoire et la responsabilité collective.

6. Justice historique : l'Algérie dans son droit de criminaliser le colonialisme

L'analyse combinée des faits historiques et du droit international démontre sans ambiguïté que l'Algérie agit pleinement dans son cadre légal et moral en criminalisant le colonialisme :

Le droit international autorise et encadre explicitement la qualification des crimes coloniaux comme crimes contre l'humanité, notamment à travers le Statut de Rome (1998), la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité (1968) et les résolutions de l'ONU relatives à la décolonisation et à la réparation (Résolutions 1514 et 60/147).

Les faits historiques documentés - massacres, déplacements forcés, persécutions juridiques, torture systématique et atteintes sanitaires majeures - satisfont pleinement les critères universels du droit, démontrant la nature systémique et planifiée de la violence coloniale.

Le Parlement algérien, en tant qu'organe souverain, dispose de la compétence légale pour inscrire cette vérité dans la loi, protéger la mémoire nationale et affirmer sa souveraineté intellectuelle et morale.

Criminaliser le colonialisme n'est pas une innovation juridique, ni une tentative d'exercer une quelconque revanche. Il s'agit au contraire de l'activation légitime d'un droit existant, longtemps neutralisé pour des raisons politiques, mais désormais pleinement applicable pour préserver la mémoire, protéger les générations futures et rétablir la justice historique.

IV. Comparaisons internationales stratégiques : l'Algérie s'inscrit dans l'universalité

L'Algérie n'est ni la première ni l'unique nation à reconnaître juridiquement des crimes historiques. L'Allemagne a qualifié les crimes nazis et le génocide des Hereros et Namas comme crimes contre l'humanité, consolidant ainsi sa légitimité morale et sa crédibilité internationale sans que cela ne compromette sa stabilité ou ses relations diplomatiques. L'Afrique du Sud, en inscrivant l'apartheid dans sa législation postérieure à ce régime, a créé un cadre légal de réconciliation nationale et de protection de la mémoire collective. De même, la communauté internationale reconnaît aujourd'hui que l'esclavage et la traite négrière constituent des crimes imprescriptibles, comme l'a réaffirmé la Conférence de Durban en 2001.

Ces exemples démontrent que la reconnaissance juridique des crimes historiques ne constitue jamais un acte de vengeance : elle est un outil universel de mémoire, de protection et de souveraineté, permettant de prévenir le révisionnisme, de protéger les générations futures et de rappeler que le droit international ne laisse aucun crime de masse impuni, indépendamment de l'époque ou du pays concerné.

En criminalisant le colonialisme, l'Algérie rattrape un retard historique mondial, se conforme aux standards internationaux et affirme sa souveraineté intellectuelle et juridique. Cette démarche n'est pas un geste symbolique : elle inscrit la mémoire nationale dans une dynamique universelle, transformant la loi en rempart contre l'oubli et la négation historique, et en instrument de justice, de mémoire et de responsabilité collective.

V. Désamorcer les attaques : neutraliser les critiques avant qu'elles ne soient formulées

La démarche de l'Algérie visant à criminaliser le colonialisme a pu être anticipée par certains arguments hostiles : accusations de haine contre un pays contemporain, crainte de rupture diplomatique, ou dénonciation d'instrumentalisation politique. Tous ces reproches reposent sur des confusions ou des présupposés idéologiques, que la loi proposée entend clarifier et neutraliser.

1. Ce n'est pas un acte de haine

Reconnaître le colonialisme comme crime n'est pas diriger une accusation contre les citoyens français d'aujourd'hui, ni nourrir un ressentiment nationaliste. Il s'agit d'un acte de vérité historique et de mémoire, fondé sur des faits documentés par des historiens et des archives. La loi ne vise pas les individus contemporains, mais un système et ses responsabilités passées, exactement comme l'Allemagne a distingué les crimes nazis des générations présentes. Ceux qui accusent de haine confondent la mémoire juridique avec l'hostilité personnelle. La loi, au contraire, protège le respect et la dignité de tous en clarifiant les responsabilités historiques.

2. Ce n'est pas une rupture diplomatique

Les précédents internationaux sont clairs : reconnaître un crime historique grave n'a jamais conduit à l'isolement international. L'Afrique du Sud, l'Allemagne, et même des pays ayant reconnu l'esclavage ou l'apartheid ont maintenu et renforcé leurs relations diplomatiques. Au contraire, la reconnaissance confère crédibilité morale et juridique, renforçant la position de l'État sur la scène internationale. Prétendre que la loi menace la diplomatie traduit une ignorance des pratiques internationales. La loi algérienne s'inscrit exactement dans les standards universels de civilisation et de mémoire.

3. Ce n'est pas une instrumentalisation politique

Certains critiques pourraient tenter de présenter la loi comme un outil de politique interne ou un moyen de stigmatiser un adversaire contemporain. Or, la démarche est fondée sur des faits historiques incontestables, des références académiques solides et des principes juridiques internationaux. La loi n'invente rien, elle reconnaît la réalité, protège la mémoire et prévient le révisionnisme. Qualifier cette initiative de politique revient à nier les archives et la vérité historique. La loi légitime l'histoire et protège la société, indépendamment des enjeux électoraux ou diplomatiques.

En criminalisant le colonialisme, l'Algérie ne cherche ni vengeance, ni rupture diplomatique, ni instrumentalisation politique. Au contraire, elle :

Affirme la vérité historique, en reconnaissant officiellement les faits documentés et systématiques de la colonisation ;

Préserve la mémoire collective, garantissant que les générations futures aient accès à une histoire exacte et incontestable ;

Se conforme aux standards internationaux de justice, en appliquant les principes du droit international relatifs aux crimes contre l'humanité et aux violations graves des droits humains ;

Renforce sa souveraineté intellectuelle et morale, en affirmant son droit à juger sa propre histoire et à protéger sa mémoire nationale.

Toute critique fondée sur la haine, la peur d'une rupture diplomatique ou l'accusation d'instrumentalisation politique s'effondre face aux faits, au droit et aux précédents internationaux. Ce texte devient ainsi blindé juridiquement et moralement, difficile à contester sans mauvaise foi manifeste, et constitue un instrument de souveraineté, de mémoire et de justice historique.

VI. Silence, mémoire et stabilité nationale : l'impact psychopédagogique du colonialisme

Ne pas nommer le colonialisme, ne pas le qualifier juridiquement, ne signifie pas neutralité : c'est un silence actif, porteur de conséquences profondes pour la société. Les recherches en psychopédagogie et en sciences de l'éducation montrent que les traumatismes non reconnus se transmettent de génération en génération, créant des fractures invisibles mais persistantes dans le corps social.

Chez les descendants des victimes, l'absence de reconnaissance peut provoquer :

un sentiment de dépossession identitaire,

une méfiance généralisée envers les institutions,

un repli social ou politique face à l'injustice perçue.

À l'échelle nationale, ce silence nourrit des fragilités structurelles : la mémoire collective reste fracturée, les récits historiques officiels sont contestés, et le risque de révisionnisme ou d'inversion des rôles demeure. La criminalisation du colonialisme agit donc comme un outil psychopédagogique et civique : elle répare symboliquement le traumatisme, consolide la confiance envers l'État et permet de stabiliser le corps social en fondant une mémoire commune et incontestable.

Conclusion: agir par devoir de vérité

Le Parlement algérien est aujourd'hui confronté à une opportunité historique irréversible. Inscrire le colonialisme dans la loi comme crime n'est pas une option politique : c'est une exigence de vérité, de justice et de civilisation.

Agir, c'est :

Garantir la mémoire collective et protéger les générations futures contre l'oubli et le révisionnisme ;

Affirmer la souveraineté intellectuelle et morale de l'Algérie ;

Respecter les principes universels du droit et de l'humanité.

Ne pas agir serait perpétuer le silence, et avec lui, les fractures psychologiques et sociales qu'il entretient. La décision du Parlement ne se limite pas à un geste symbolique : elle matérialise la responsabilité historique, transforme la mémoire en loi et sécurise l'avenir du pays sur le plan moral, juridique et social. " Nommer le colonialisme comme crime n'est pas un acte de vengeance, ni une attaque contre quiconque aujourd'hui. C'est l'affirmation de la vérité, la protection des mémoires, et l'exercice d'une souveraineté nationale et morale que l'Algérie ne peut éluder. "

*Professeur .Université de Constantine 2

Références historiques et académiques

Stora, B. (1992). La gangrène et l'oubli: La mémoire de la guerre d'Algérie. Paris: La Découverte.

Le Cour Grandmaison, O. (2005). Coloniser, exterminer: Sur la guerre et l'État colonial. Paris: Fayard.

Branche, R. (2001). La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie. Paris: Gallimard.

Tocqueville, A. de. (1841). Travail sur l'Algérie. Paris: Librairie académique.

Vidal-Naquet, P. (1998). La torture dans la République. Paris: Éditions de Minuit.

Arendt, H. (1963). Eichmann à Jérusalem: Rapport sur la banalité du mal. Paris: Calmann-Lévy.

Pineau, J. P. (2015). Traumatismes transgénérationnels et mémoire collective. Revue Française de Pédagogie, (190), 85-98.

Références juridiques et droit international

Assemblée générale des Nations Unies. (1948). Déclaration universelle des droits de l'homme. Résolution 217 A (III).

Assemblée générale des Nations Unies. (1960). Résolution 1514 : Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux.

Assemblée générale des Nations Unies. (2005). Résolution 60/147 : Principes et directives relatifs aux réparations pour les victimes de violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire.

Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. (2001). Déclaration et Programme d'action de Durban.

Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Convention des Nations Unies sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité. (1968).